Cameroun - Education. Quels enseignants pour quelle société? Au secours Monsieur le Président de la République

La Nouvelle Expression Lundi le 07 Octobre 2013 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
« Il serait paradoxal qu’au Cameroun, on ne donne pas à la fonction enseignante la place qui lui revient.». Le Cameroun sort d’un double scrutin important pour la consolidation de son processus démocratique. Au cours de la campagne ayant précédé cette élection, les hommes politiques de tous bords ont évoqué la nécessité de consolider la paix et de promouvoir le développement.

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 Quelques uns ont fait allusion à l’éducation et à la formation de la jeunesse. Des intentions somme toute louables mais qui ne manquent de susciter des questionnements, à la veille de la journée mondiale des enseignants(JME), édition du 5 octobre 2013. Au fait, tous ces enseignants qui écument nos écoles primaires, lycées et collèges, que valent-ils réellement ? Est-il normal qu’un enseignant vacataire perçoive 50000Fcfa comme salaire mensuel (32h/semaine au primaire, 20h au secondaire) ? Qu’est-ce que l’Etat attend d’un enseignant du public ou du privé qui « enseigne » dans trois ou quatre établissements (environ 50 heures/semaine) ? Qu’est-ce que l’Etat attend d’un bachelier qui « enseigne » les mathématiques dans une classe de sixième ? Qu’est-ce que l’Etat attend d’un licencié en droit qui « enseigne » le français dans une classe de troisième ? Qu’est-ce que l’Etat attend d’un enseignant qualifié qui passe dix années sans être recyclé, sans être inspecté ? Voilà des questions qui interpellent la communauté éducative au moment où l’on célèbre la JME. Une édition placée cette année sous le slogan : « Un appel pour les enseignant(e)s ! ». A travers ce thème, l’UNESCO veut mettre l’accent sur ​​le travail de qualité des enseignants. Car les enseignants, faut-il le rappeler, développent les capacités des élèves à construire un avenir durable en tant que citoyens enracinés dans leur communauté et capables de contribuer aux défis mondiaux. Les enseignants constituent la force la plus puissante pour promouvoir une éducation de qualité, fondement solide pour une paix et un développement durables. Toutefois, une éducation de qualité passe par des enseignants compétents, valorisés et motivés. La qualité de l’enseignement dépend dans une grande mesure des qualifications, des compétences pédagogiques et professionnelles des enseignants, ainsi que de leurs qualités humaines. A cet effet, Irina Bokova précise : « Les connaissances et les compétences professionnelles des enseignants constituent le facteur le plus important pour une éducation de qualité. En cette journée mondiale des enseignants, nous demandons que les enseignants bénéficient dès le départ d’une formation plus solide, ainsi que d’un développement professionnel et d’un soutien constant…» (www.unesco.org)

De telles conditions sont-elles réunies au Cameroun ? Ici, l’engagement- pris dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement(OMD)- de porter la part des dépenses publiques d’éducation à 22 % du budget n’est pas respecté. En effet, depuis 2009, la part de l’éducation est en chute libre : 20,8 %( 2009) ; 19,4 %(2010) ; 16,3 %(2011) ; 14,5 %(2012). Ces coupes budgétaires sont causes de nombreux dysfonctionnements qui empêchent le pays de se doter « d’un système de connaissances performant pour pouvoir bâtir une recherche scientifique moderne et créative»2, comme firent l’Allemagne, la France, les Etats-Unis, la Chine, etc. Par ailleurs l’insuffisance des fonds mis à la disposition des établissements scolaires amène de nombreux responsables à user de toutes sortes de rafistolages. A titre d’exemple, on peut relever la cacophonie notée ces dernières années dans la gestion des APEE. Dans la même logique, les activités d’encadrement pédagogique sont complètement au ralenti ou se déroulent dans des conditions assez drôles: non planification des séminaires et stages, suivi pédagogique approximatif des enseignants résidant hors des chefs-lieux de régions, formation approximative des inspecteurs régionaux, absence de formation des responsables administratifs (directeurs, proviseurs, censeurs…), etc. En outre, le corps enseignant est frustré par le système (opaque) de promotion, déjà maintes fois décrié. Beaucoup d’enseignants font allusion à des pratiques mafieuses qui entoureraient les promotions des responsables éducatifs. D’autres soutiennent que les deux «critères» qui déterminent depuis les années 93-95 la promotion des gestionnaires sont l’ethnie et le parti. Voici un témoignage : «Je suis professeur de français depuis plus de vingt ans. Je suis originaire du Sud et j’ai un cousin qui est un proche collaborateur du ministre. Mais j’ai choisi de ne pas me compromettre; j’ai choisi de ne pas militer…Avec ces gens là, il n’est pas question de famille, il faut militer, sinon…» Roger Kaffo écrit à ce sujet: « Par moment, la profession vous ôte toute votre détermination à exceller. D’abord vous vous rendez compte qu’on fait complètement litière de l’excellence, qu’il n’ya pas de critère, que vous ne progressez jamais.» En fait, l’excellence est évoquée dans les discours, mais les faits sont là et les chiffres parlent d’eux-mêmes: 100 % de délégués régionaux, 100 % de directeurs (services centraux), et une grande majorité de sous-directeurs appartiennent à un même parti. Si ces statistiques s’avéraient exactes, on serait bien en droit de s’inquiéter. Doit-on nécessairement appartenir à un « clan » pour être promu à un poste de gestionnaire à l’éducation? Les acteurs nommés sur cette base peuvent-ils mener des débats intellectuels contradictoires et fructueux, ou sont-ils de simples courtisans condamnés à écouter, à applaudir ? Lesdits acteurs peuvent-ils ou doivent-ils piloter tous seuls le destin de tout un peuple, en excluant les autres compétences ? Les réponses à ces questions semblent évidentes vu le contexte d’émergence qui commande la contribution de toutes les expertises. Dans son discours de prestation de serment (novembre 2011), le Chef de l’Etat déclare: «En plaçant mon mandat sous le signe des grandes réalisations, je vous invite tous à faire montre de plus d’audace, de plus de créativité, de plus d’innovation(…) Tous ensemble, Camerounais des villes et des villages, de l’intérieur et de l’extérieur, sans discrimination de quelle que nature que ce soit, nous pouvons, mieux, nous devons résolument transformer le Cameroun en un chantier de l’émergence (…)» Un discours qui semble être en contradiction avec les pratiques des élites politico-administratives qui ont plutôt choisi la voie de l’inertie, du clientélisme, de l’incompétence. Pour conclure, je pense qu’il ya trois gros problèmes qui minent le corps enseignant dans le secteur public : l’insuffisance des salaires, l’absence d’un programme de formation continue et le non respect du mérite dans les nominations. Dans le secteur privé, la question du statut des enseignants se pose avec acuité. Qui peut être enseignant dans ce secteur ? Comment mettre à sa disposition des outils pédagogiques et un salaire décent? Pour bâtir une école de developement4, nous devons aborder ces questions vitales et y apporter des réponses concrètes5. Compte tenu de ce que j’ai vu et entendu pendant une vingtaine d’années, je me permets enfin de m’adresser à Monsieur le Président de la République.

Au secours Monsieur le Président de la République

Excellence, Monsieur le Président de la République,
Les enseignants restent confiants dans l’avenir. Ils placent leur vocation au-dessus de leurs revendications ; ils souhaitent que la compétence soit le creuset de l’excellence, que l’émulation remplace la discrimination. Au lieu de l’abdication, ils choisissent l’abnégation. Au lieu de la grève, ils optent pour le rêve. Malgré toutes les pesanteurs, ils restent des bâtisseurs. Malgré les railleries de l’entourage, ils mettent le cœur à l’ouvrage. Dans les classes surpeuplées, ils acceptent le risque d’être surmenés; ils acceptent de souffrir que de voir les apprenants périr.
Les enseignants attendent cette « réflexion d’ensemble sur l’avenir de notre système éducatif dont l’un des objectifs devrait être de réhabiliter la fonction enseignante… »1. Ils attendent également des mesures concrètes notamment la revalorisation de leurs primes, les palmes académiques, le rééchelonnement indiciaire, la planification des stages et séminaires de formation ; ils souhaitent être reçus par le Président à l’occasion de la journée des enseignants et à d’autres occasions officielles. Autant de choses qui leur permettront de retrouver le « feu sacré », de promouvoir une éducation citoyenne, de participer à la construction d’une « République exemplaire » et prospère.

Emmanuel Nkunke Ngouaba
Enseignant et analyste éducatif, Inspecteur pédagogique régional

 

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