Cameroun - Politique. Cameroun: la République du y a foye(1)

Le Pays Jeudi le 28 Novembre 2013 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
En 2013, le président camerounais, Paul Biya, a bruyamment fêté ses trente ans d'exercice de pouvoir ininterrompu, à travers toutes les villes et tous les villages du Cameroun. Et, au cours de ces festivités, Biya a vanté ses « grandes réalisations » et invité le peuple camerounais à lui faire confiance et à le soutenir pour de nouvelles « grandes ambitions ».

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 Comme on le voit, Biya considère qu'il fait et doit continuer à faire rêver le peuple camerounais. Mais très sérieusement, où va le Cameroun avec et sous Biya ? Seul Dieu pourrait apporter une réponse solide à cette interrogation. Car, avec Biya, sous Biya, au-delà de l'image d'un pays où la danse, la fête, le football, la musique tiennent le haut du pavé, la situation morale, politique, économique, culturelle du Cameroun est accablante et terrible. Jamais Biya n'a voulu traiter avec « une opposition politique républicaine », jamais il n'a voulu pour son pays, d'une presse libre et indépendante. En 30 ans de pouvoir Biya, les Camerounais sont réduits à l'impuissance politique, voués à l'oppression, à l'humiliation et à l'injustice permanente. Le Cameroun de Biya, disons-le net, c'est « le royaume de l'arbitraire permanent et du ridicule ». Le spectacle surréaliste auquel on assiste avec les procès de Titus Edzoa, Marafa Hamidou Yaya, et Thierry Michel Atangana, constitue bel et bien une illustration emblématique des pratiques du pouvoir dans cet « empire de l'arbitraire ».
Rappelons que lorsqu'il accède au pouvoir en 1982, Biya va chercher, tout de suite, à renforcer son autorité en s'assurant la fidélité de ses « amis politiques sûrs ».
Il va leur confier les postes de commande les plus solides. Et parmi ses fidèles des fidèles, on compte Edzoa et Marafa, deux anciens secrétaires généraux à la présidence, accusés, plus tard, de « détournements de deniers publics », et condamnés à des peines allant de 15 à 20 ans de prison ferme.
Avant-hier, la Cour suprême du Cameroun devait se prononcer en cassation dans ce dossier politico-judiciaire qui suscite tant de passions. Mais au moment de rendre le verdict, comme dans un film d'aventure, le juge de la Cour suprême est subitement victime d' « une extinction de voix ». En attendant que ce juge retrouve sa voix et qu'il rende, enfin, sa décision (prévue le 27 novembre, hier donc), il ne faut cesser de rappeler que dans le Cameroun de Biya, politiquement, « être dauphin » ou désigné comme tel, est et reste dangereux. Avec les cas Edzoa et Marafa, jadis deux hommes importants du système Biya, on assiste au triomphe d'une justice transformée en instrument de torture morale et de chantage politique. Car, au Cameroun de Biya, la Justice repose sur « la loi du bon plaisir » du Prince. Aucun citoyen camerounais n'est à l'abri de l'arbitraire, ne bénéficie de la protection d'un appareil judiciaire juste. Très franchement, en trente ans de pouvoir, le régime Biya n'a fait qu'exceller dans son sport favori : nier l'humanité, la dignité des Camerounais.

A l'heure actuelle, le Cameroun souffre et le peuple camerounais vit dans un dénuement extrême, avec son cortège de famine, chômage et pauvreté inouïe. Et la corruption qui sévit de manière quasi industrielle, a détruit les liens humains et sociaux. Le pays s'est donc installé dans l'indifférence généralisée, le fatalisme et l'égoïsme. Mais par quelle aberration, sous le coup de quelle fatalité historique, le peuple camerounais, nourri de l'héroïsme indépassable de Ruben UM Nyobe, a-t-il accepté de sacrifier sa dignité au profit de ce système politique anachronique et clos ? Avant tout, il convient de souligner que dans la vision politique de Biya, et dans sa conception du monde, seul « l'arbitraire » fait tourner les roues de l'histoire des peuples. Le système Biya s'est bâti sur une conception du pouvoir qui se veut infaillible. Et Biya lui-même confond la force avec la moralité, et considère que la capacité de prendre et de garder le pouvoir par tous les moyens, constitue, à ses yeux, le seul titre de légitimité. Jamais Biya n'a voulu traiter avec « une opposition politique républicaine », jamais il n'a voulu pour son pays, d'une presse libre et indépendante. Biya n'est pas un tyran barbare, mais selon les justes mots de Raymond Aron, « un dictateur civilisé ».

L'après- Biya fera, qu'on le veuille ou non, du Cameroun, la plus grande zone de troubles de l'Afrique centrale

En donnant une apparence démocratique et républicaine à son régime, Biya a réussi à « mystifier » complètement les grandes puissances occidentales, sourdes aux multiples rapports de leurs ONG dénonçant les violations massives des droits de l'homme au Cameroun, et le trucage des élections dites libres et transparentes.
Comme si pour l'Occident, le régime Biya, c'était le régime du moindre mal. De même, Biya a réussi sa mystification en leur vendant l'illusion suivant laquelle, seul son mode de gouvernance assure la stabilité, et l'unité nationale du pays.
Ainsi, il a cédé à la tentation païenne de se poser lui-même comme valeur suprême, de surcroît comme un être immortel. Or, ne nous voilons pas la face : l'après- Biya fera, qu'on le veuille ou non, du Cameroun, la plus grande zone de troubles de l'Afrique centrale. En 30 ans de règne absolu, la politique de Biya a créé un ressentiment des citoyens camerounais les uns envers les autres. En vérité, avec le Cameroun de Biya, nous avons affaire à « un pays séparé du monde, un pays à part », bref, à une véritable République du y a foye. Mais il faut ajouter que le régime Biya a réussi à exploiter l'esprit de lucre et de jouissance des Camerounais.

Quant aux intellectuels camerounais (du moins ceux qui ne vivent pas en exil), si certains ont agi en lâches, d'autres, constitués d'honnêtes gens, sont revenus de leurs rêves illusoires après avoir vainement défendu l'idée selon laquelle, seul le régime Biya offrait le seul espoir de progrès et de développement à leur pays. Cela dit, on peut vite céder à la tentation en affirmant que, du fait de sa résignation, de son stoïcisme, le peuple camerounais mérite bel et bien son sort. Mais au fond, la résignation des Camerounais s'explique par la crainte d'une guerre civile. Et comment éviter une telle perspective socio-politique tragique ? En s'attelant à recréer, dans ce pays de toutes les incapacités politiques, les véritables conditions politiques de la dignité de chaque Camerounais.
Bien sûr, le peuple camerounais garde une confiance inébranlable dans son avenir, dans son destin. Mais, sans la mise en ouvre d'une démocratie vivante, faite de pluralité de points de vue, de débats et de conflits constructifs, la joie, l'unité, la concorde, la justice, la liberté, la solidarité, ciments du pacte social, toutes ces nobles vertus nécessaires au progrès de toute nation resteront des mythes politiques inefficaces. Le peuple camerounais doit donc poursuivre efficacement la lutte pour la liberté et la démocratie.
Par-delà sa souffrance sidérante provoquée par 30 ans de règne sans partage de Biya, sa voix peut encore se faire entendre.
Le Cameroun est d'abord face à une exigence de « reconquête morale », condition indispensable à toute reconquête politique sérieuse et durable.
En aucun cas, le régime « inquisitorial » de Biya ne peut sceller, une fois pour toutes, le destin de ce grand peuple et de ce beau pays. Oui, on peut encore faire du Cameroun, un Etat, une société démocratique, viable et prospère.
Avec ou sans Biya, aucune fatalité ne poursuit ce pays.

(1) République du y a foye : terme utilisé par le chroniqueur de RFI, Mahamane, pour railler toutes ces républiques bananières sur le continent africain ; y a foye, termes Bambara et nouchi ivoirien signifiant il n'y a rien.

 

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