Cameroun - Politique. GOUVERNEMENT : Il faut sauver le soldat Yang

RAOUL GUIVANDA | L’Oeil du Sahel Vendredi le 29 Mai 2015 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Défié par ses ministres, le Premier ministre semble abandonné par le chef de l’Etat.

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Depuis ses bureaux de Matignon, Manuel Valls doit  observer, de loin, son homologue camerounais avec commisération. S’il ne lui a fallu que quelques heures en août 2014 pour obtenir que François Hollande, le président français, congédie Arnaud Montebourg alors en charge de l’Economie et du Redressement productif et Benoît Hamon en charge de l’Education nationale, c’est-à-dire deux poids lourds du gouvernement qui s’étaient investis, le temps d’un week-end, à défier publiquement son autorité en contestant et en moquant la ligne économique du gouvernement français, le flegmatique Philemon Yang, chef du gouvernement camerounais, doit se contenter, pour sa part, de subir publiquement la défiance de ses ministres sans que son patron, Paul Biya, ne le protège de son pouvoir monarchique. Au contraire.

 

«Le Premier ministre ressemble à un boxeur groggy, coincé dans un coin du ring, qui doit répondre aux coups qui pleuvent sur sa crédibilité. Sa fortune, c’est qu’il n’existe pas une véritable opposition, capable de structurer un discours politique autour de la démission du chef du gouvernement afin de le mettre définitivement K.O.», croit savoir d’ailleurs un de ses ministres. Dire que le Premier ministre est combattu à visage découvert est un doux euphémisme. En public comme en privé, ses ministres rejettent son autorité comme on répugne la peste. D’où la vraie interrogation aujourd’hui : à qui fait-il encore peur ?

 

DÉFIANCE

 

Le 22 mai 2015, c’est avec effarement que les auditeurs du journal parlé du poste national de la Crtv, ont dû suivre l’annulation par le Premier ministre camerounais, de la décision de sa ministre en charge de la Culture, d’octroyer un agrément à la Société camerounaise civile de musique (Socacim) pour la gestion collective du droit d’auteur de l’art musical. Nouvelle étape de l’affrontement public que se livrent les deux personnalités depuis plusieurs semaines. «L’affaire Ama Tutu», comme il convient désormais de l’appeler, rentre dans l’espace public dès le 16 mars 2015. Le secrétaire géné- ral des services du Premier ministre signe ce jour-là, une décision portant création d’un comité ad hoc «chargé de faire des propositions en vue du règlement général des différends qui perdurent dans la gestion du droit d’auteur et droits voisins du domaine de l’art musical».

 

Sa mission : soumettre au PM ses propositions sous quinzaine, en vue de l’assainissement de ce milieu. Si le ministère des Arts et de la Culture (Minac) y est certes représenté, mais il s’agit ni plus ni moins, d’un désaveu, au moins implicite, du chef de ce département ministériel par le patron du gouvernement. Le comité est à peine créé que des responsables du Minac contestent déjà sa légitimité et son expertise. Dans le même temps, une faction en bataille pour le contrôle de la gestion du droit d’auteur et réputée proche de la ministre commence à s’activer pour créer une société de gestion du droit d’auteur.

 

Informé, le PM demande à sa collaboratrice par fax le 27 avril 2015, de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire échec à cette entreprise et d’attendre que le comité ad hoc rende sa copie. Peine perdue, le lendemain 28 avril, cette faction réussira à créer la Socacim à Mbengwi dans le Nord-Ouest, dans le sillage d’une cérémonie de remise de guitares à des artistes présidée par… Ama Tutu Muna. Le 29 avril, pris de colère, Philemon Yang adresse une demande d’explication à sa ministre. Ama Tutu Muna explique à son chef qu’elle n’est d’aucune manière mêlée à cette affaire qui procède exclusivement des artistes concernés. Elle promet de mieux s’informer et de lui adresser ensuite un «rapport circonstancié».

 

Le chef du gouvernement est dans l’attente de ce «rapport circonstancié» lorsqu’il apprend par un communiqué signé de la Minac et lu au poste national de la Crtv, le 18 mai 2015, que celle-ci a accordé l’agrément à la Socacim, le 15 mai 2015, c’est-à-dire trois jours plus tôt. Nouveau camouflet; nouvelle colère à l’Immeuble Etoile, le siège de la Primature. Yang demande à Ama Tutu de rapporter sa décision sous 48 heures. La ministre ne s’exécute pas. Le 22 mai, le chef du gouvernement est obligé de la rapporter lui-même à travers un communiqué lu sur les ondes de la même radio. Va pour la Culture. Place à l’agriculture. Le 17 avril 2015, Essimi Menye, en charge de l’Agriculture et du développement rural (Minader), nomme trois inspecteurs généraux et deux directeurs par intérim dans son département ministériel. Quelques jours plus tard, les nouveaux promus sont installés dans leurs fonctions par le secrétaire général dudit ministère.

 

DÉCONVENUES

 

Le problème, c’est que les nominations des sous-directeurs et assimilés, et des chefs de service, dans l’administration camerounaise, doivent obtenir au préalable le visa des services du Premier ministre. Mais voilà des mois que Essimi Menye a introduit son projet de nominations à la Primature à cet effet. Des mois qu’il attend et qu’il ne cesse de relancer son patron par diverses voies. Mais le dossier reste désespérément «en étude». En privé, le ministre s’impatiente et ne manque plus d’y voir la main de certains adversaires politiques qui essayent de torpiller sa marche vers «l’agriculture de seconde génération», son petit dada. Las, après avoir attendu des mois que sa copie obtienne enfin le précieux visa, Essimi Menye décide de passer outre le 17 avril, s’essuyant les pieds sur l’autorité de son chef.  

 

Réaction courroucée de la Primature : le 29 avril 2015, un arrêté du PM lu sur les antennes du poste national de la Crtv annule ces nominations pour «vice de forme, de procédure et de compétence». Quid des fonctionnaires nommés par Essimi Menye ? Ils occupent leurs nouveaux bureaux, comme si de rien ne s’était passé. Il faut dire que Philemon Yang est un habitué de grosses déconvenues. Le 7 juin 2014 déjà, c’est en mondovision que le chef du gouvernement a subi l’un des plus humiliants actes de ce «Yang Baching», au terme d’un match des Lions indomptables contre la Moldavie au stade Omnisports de Yaoundé, avant leur départ pour le Coupe du monde brésilienne.

 

Courroucés par une sordide affaire de primes, les footballeurs décident tous de s’engouffrer dans les vestiaires après la rencontre, ignorant le Premier ministre venu leur remettre, comme de tradition, l’onction du peuple camerounais à travers le drapeau national. C’est à Volke Finke, le coach allemand des joueursrebelles, que Yang finira, humilié, par remettre le drapeau vertrouge-jaune. En plus de leur caractère inadmissible en République, les actes d’humiliation à l’encontre du chef du gouvernement ont un dénominateur commun : aucun de leurs instigateurs n’a été jusqu’ici vraiment sanctionné. Et on met le doigt sur deux des questions qui étreignent la météo politique au Cameroun : pourquoi le président de la République laisse-t-il son Premier ministre se faire autant ridiculiser ?

 

De fait, les Camerounais auraient pu réclamer que le président de la République reprenne en main son gouvernement où se multiplient les couacs, les improvisations et les conflits de personnes, s’il ne participait, hélas, lui-même, à la déchéance de son Premier ministre. En voici un exemple parmi tant d’autres. Quelques jours après que Yang Philemon eut déclaré infructueux, le 21 février 2014, un appel d’offres lancé le 11 juin 2013 pour la conception, la construction, la maintenance et l’exploitation du pipeline Limbé-Douala-Edéa-Yaoundé pour le transport des produits pétroliers de la Société nationale de raffinage (Sonara), le chef de l’Etat l’a sommé de revenir sur sa décision, et de réattribuer le marché au consortium 3PL formé d’entreprises nigérianes, sud-coréennes et russes qui avait remporté l’appel d’offres auquel dix sept entreprises avaient soumissionné.

 

Dans ce dossier, le désaveu public du Premier ministre par le chef de l’Etat s’est accompagné de la perte de son crédit dans le petit cercle des diplomates accrédités à Yaoundé. «Le Premier ministre avait fait le pari d’attribuer ce marché de 435 millions de dollars à Blaiz Energy, entreprise canadienne associée à la Scdp. C’est la raison pour laquelle il a refusé de signer l’adjudication du marché et de le déclarer infructueux en dépit de tout bon sens et alors même que ne restait plus qu’à 3PL et au gouvernement, la signature de la convention. Un véritable scandale. Pour dénoncer cette forfaiture, les ambassadeurs de Russie et de la Corée du Sud ont cosigné une lettre adressée au président de la République dans laquelle ils condamnaientles manœuvres obscures de son Premier ministre.

 

C’est donc à la  suite de cette salve diplomatique rare que le chef de l’Etat l’a rappelé à l’ordre, l’instruisant de réparer luimême, et publiquement, sa méprise.Désormais, il a profil bas devant ces diplomates puisque chacun sait ce qu’il s’est réellement passé», commente un proche du dossier. Que Paul Biya livre ainsi au discrédit son Premier ministre n’a qu’une seule explication : il ne le considère pas comme tel. «Depuis 1992, le Cameroun n’a qu’un seul Premier ministre, c’est le secretaire général de la présidence de la République», regrette un ministre en fonction. Raison sans doute pour laquelle Paul Biya peut bien montrer un agacement vis-à-vis de son gouvernement, comme lors de son discours du 31 décembre 2013, qui ailleurs aurait sonné le glas de l’équipe en place, sans y donner une suite politique.   

 

DÉMISSION

 

 

 Un tel désaveu, sous d’autres cieux, aurait conduit le Premier ministre à remettre sa démission. Mais Yang Philemon, dont les mauvaises langues laissent entendre qu’il n’a jamais pris la mesure de sa fonction, n’est pas homme à accomplir un tel sacrifice pour son honneur. «Il a perdu de sa superbe. C’est désormais un homme tiraillé entre la défiance de ses ministres et le doute. Bien sûr qu’il aurait pu trouver refuge dans le travail, mais voilà un chef de gouvernement dont le pays est censé être un vaste chantier qu’on ne voit jamais sur le terrain. Tous ces grands projets présidentiels, il aurait dû en être le chef de chantier, sillonnant le pays pour donner de la voix. Mais que fait-il ?

Eh bien, rien du tout», analyse Bakoura Issa, un homme d’affaires installé à Yaoundé. Toutefois, s’il doit continuer d’être ballotté par un de ses ministres chaque 24h, la question du maintien de Philemon Yang dans l’exercice de ses fonctions doit cependant être clairement posée. Ou les frondeurs, dont certaines indiscrétions laissent à penser qu’ils agissent avec le soutien de la présidence de la République, ont raison de leur patron et Philemon Yang est débarqué. Ou c’est l’autorité du Premier ministre qui est rétablie et les frondeurs éjectés du gouvernement. Ou, que tous soient mis à la porte, Yang et les frondeurs. Sauf à croire que le chef de l’Etat encourage lui-même en sourdine ce désordre gouvernemental pour mieux justifier demain, l’échec annoncé de ses promesses électorales. Yang Philemon, simplement un bon fusible ? Pourquoi pas !

 

«Je ne désapprouve pas sa politique, parce qu’il n’en a pas une, mais la méprise dont il est victime de la part de ses ministres est inacceptable. Certains disent qu’il est dans le déni de la réalité, je ne le pense pas. Sa stratégie consiste à sous-estimer la défiance dont il fait l’objet de la part de ses ministres, comme s’il s’agissait des affaires mineures car après tout, que peut-il faire à un ministre sans l’accord du chef de l’Etat ? Il a évalué ses ministres il y a quelques années et les moins performants sont toujours là, en poste plus que jamais. Comme c’est un Premier ministre sous-performant, dont les résultats économiques

 

 

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