Affaire Marafa. L'après-Biya et l'après-pétrole hantent le Cameroun

Le Jour Mardi le 05 Février 2013 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Marafa Hamidou Yaya. La tribune de l'ex-secrétaire général à la présidence de la République publiée dans Le Monde du 30 janvier 2013.

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Quelques mots suffisent pour décrire la situation générale de mon pays, le Cameroun : il vit dans la stabilité, mais cette stabilité est stérile -et à terme insoutenable. Au cours des trente années de présidence de Paul Biya, la paix civile n'a connu que trois menaces sérieuses, en 1984, 1991 et 2008, de surcroît contenues rapidement. C'est une réussite certaine, en soi et par contraste avec l'histoire récente, voire immédiate, de nombreux pays du continent. Mais qu'a produit cet avantage crucial, joint à des atouts humains indéniables et des ressources naturelles diversifiées ? Le développement d'un fonctionnement social et politique intégrateur, animé par un esprit de sollicitude et de concorde ? Non, la relation entre le pouvoir et la population est au mieux faite d'indifférence, au pire de crainte et de méfiance.

La croissance économique et la réduction de la pauvreté ? Non, celle-ci a au contraire augmenté : selon les chiffres du FMI, entre 1982 et aujourd'hui le PIB par habitant est tombé au Cameroun de 800 à 650 en dollars 2000, alors que sur la même période il a plus que triplé dans les pays en transition du continent, passant de 400 à 1300 dollars. Il faut donner son vrai nom à la paix civile qui règne au Cameroun : elle est une sorte d'équilibre de la peur réciproque entre le gouvernement et le peuple. Les racines en sont dans l'histoire du pays. La tentative de coup d'État de 1984 et les émeutes de Douala de 1991 et de 2008 ont été vécues par le Président Biya et son entourage comme une série de profonds traumatismes qui les ont enfermés dans une obsession unique : ne pas s'exposer, préserver le statu quo en ne prenant aucune initiative. Au sein de la population, ces périodes de troubles ont réveillé le souvenir des horreurs de la répression des maquisards de l'UPC, qui a commencé en 1955 pour ne s'achever qu'en 1970.

Ce face-à-face tendu a laissé s'installer un système non coopératif entre l'Etat et le peuple, qui au quotidien vaquent chacun à ses affaires, sans se rendre de comptes. L'État observe, impuissant peut-être indifférent, la dégradation du système de santé et du système éducatif, la déforestation spéculative et l'exode rural de populations s'agglutinant dans des villes qui n'ont aucun emploi à offrir, sont sans eau potable, sans électricité, sans moyens de transport, et où se développent l'économie informelle et l'insécurité. Le peuple, lui, observe désabusé un État tantôt incapable d'organiser des élections législatives -et donc contraint de prolonger indéfiniment le mandat des députés actuels- ou de mettre en place le Conseil Constitutionnel et le Sénat qu'une loi votée en 1995 rend responsables d'assurer la transition en cas de vacance du pouvoir ; tantôt capable, comme en 2008, de réviser en un temps record la Constitution pour abolir le nombre maximum de deux mandats présidentiels.

De même, il voit une justice apparemment démunie contre la corruption subie au quotidien par les citoyens, mais d'une efficacité sans pair lorsqu'il s'agit de neutraliser des rivaux réels ou possibles au terme de procédures instrumentalisées. La même logique viciée de confrontation crispée entre l'Etat et la société civile s'est mise en place dans l'économie nationale, ou on observe à partir des années 1980 une déformation sous l'effet de l'accroissement de la manne pétrolière. Celle-ci a contribué jusqu'à hauteur de moitié aux recettes budgétaires du pays, rendant ainsi l'État peu tributaire des autres secteurs de l'économie et lui donnant le moyen de se retrancher dans sa sphère. C'est ce qui explique que peu d'attention et peu d'efforts aient été consacrés à l'assainissement de l'attractivité générale du pays pour les investisseurs privés nationaux et étrangers, dont la perception est nettement négative. En termes de corruption, le Cameroun est classé 134e sur 183 pays dans l'indice de Transparency International, et en termes de facilité à faire des affaires, il est 161e au palmarès Doing Business de la Banque Mondiale.

La question n'est pas que cette situation de repli autarcique est déplorable ; elle n'est simplement plus soutenable. Les réformes ne peuvent plus attendre. Sur le plan politique et social, que le Chef de l'État et son entourage le veuillent ou non, il y aura bientôt un après- Biya. Il faut espérer que les frustrations et les ressentiments ne profitent pas de ce vide pour s'exprimer de manière explosive, mais on peut légitimement le craindre. Sur le plan économique, les réserves pétrolières s'épuisent : de 3 barils par habitant en 2000, la production est tombée à 1 en 2011 ; même si un effet prix maintient la contribution aux recettes de l'État à un niveau encore élevé. Surtout; la pression démographique est forte - d'ici à 2025, en l'espace de deux septennats à peine, la population aura presque doublé, passant de 20 à 35 millions. C'est pourquoi le Cameroun doit de manière urgente diversifier son économie et trouver des relais de croissance dans des secteurs créateurs à la fois de richesse et d'emplois.




Ces sources sont clairement identifiées: gains de productivité dans l'agriculture (cacao, café, coton, banane), développement des services (banques et transports), qui sont déjà le premier contributeur à la croissance, rattrapage du retard dans les industries manufacturières et investissement massif dans les infrastructures. Les réformes qui placeront le pays sur la voie du rétablissement de liens participatifs entre l'État et le peuple et du développement d'une économie inclusive, quelles sontelles ? Toutes celles nécessaires à la réalisation d'un objectif central, que je mettrai toute mon énergie à servir : l'avènement d'une société de confiance.

Les Camerounais attendent du chef de l'État actuel qu'il installe sans attendre des mécanismes efficaces de garantie de la sécurité juridique des biens et des personnes ainsi que les institutions qui permettront une transition démocratique et pacifique à la tête de l'État, et de manière générale l'établissement d'un état de droit. Je n'ai aucune fausse modestie, voire pas de modestie du tout, pour ce qui touche à mon pays. Il fait vivre ensemble, et dans une concorde dont j'espère qu'elle ne cessera jamais, plus d'une centaine de groupes ethniques parlant 250 langues et vivant dans une variété de milieux sans équivalent ailleurs en Afrique.

Il est entré avant le reste du continent dans l'ère postcoloniale. Successivement sous protectorat allemand, puis sous administration et mandats français et britannique, il a bien été dominé par les puissances coloniales, mais sans jamais avoir été une colonie et jamais au point que l'esprit d'indépendance qui caractérise son peuple, et que celui-ci place avant toute autre valeur, ait pu être éteint. Deux spectres hantent le Cameroun : le spectre de l'après-Biya et le spectre de l'après-pétrole. Je le dis sans hésiter : mon pays a la capacité d'en triompher.
 

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