Cameroun - Musique. Cameroun - Engagement: Les notes politiques de la musique camerounaise

Christian Lang | Repères Jeudi le 03 Avril 2014 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Respectant la volonté du défunt, les restes de l'artiste musicien Lapiro de Mbanga ont été incinérés le week-end dernier aux Etats-Unis.

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En plus de cela, l'on retiendra que ce fut un artiste dont les relents politiques agrémentaient les compositions. D'autres artistes camerounais se sont également illustrés par des thématiques politiques: Longue Longue, Eboa Lotin, Valsero...

Lapiro de Mbanga avait son public cible: les couches populaires, les «gens d'en bas». Il leur parlait dans une langue fami¬lière: le pidgin. Les «Ndos», les «Taras» qui vivent dans les quartiers boueux et poussié¬reux (cela dépend de la saison), se retrouvaient dans ses com¬positions.

Ils avaient donc leur porte-parole en Lapiro de Mbanga. Ce qui a d'ailleurs justifié la popularité de cet artiste, originaire de la ville de Mbanga dans la région du Littoral. Lorsqu'il chantait «Mimba Wi», «Kop nié», «No make erreur», les vendeurs à la sauvette de Douala, Mbanga, Nkongsamba, Bafoussam, Yaoundé et des autres villes du Cameroun étaient en liesse.

Même effet lorsqu'il prévenait: «Jacques Chirac for Ngola don't commot for ultimatum», allusion faite à l'autorité municipale de Yaoundé d'alors, dont le management n'était pas toujours à l'avantage des petites classes, les vendeurs à la sauvette. Paroles de musicien, trame politique, option engagée. C'était cela, Lapiro de Mbanga: une voix forte qui savait dénoncer les tares qui, selon lui, minaient le bon fonctionnement de notre société.

L'artiste se définissait lui-même comme «un combattant de la liberté». Il croyait aussi que les astuces révisionnistes pour perpétuer le mandat présidentiel au Cameroun méritaient une dénonciation forte. L'artiste avait alors composé de chanson dans laquelle il était contre la révision de la «constitution constipée».

Sa proximité avec les couches populaires ne lui a pas porté bonheur en février 2008. Il a été soupçonné d'avoir instrumentalisé les jeunes qui ont vandalisé la ville de Mbanga en pleine émeutes de la faim. Cela lui vaudra trois ans d'emprisonnement à la prison de New Bell à Douala. Mais la séquence carcérale n'était pas de nature faire reculer l'artiste engagé qui se considérait comme un prédicateur.

«Je vais continuer à prêcher, à dénoncer les inégalités sociales au Cameroun. Ça fait 20 ans que je le fais, je vais continuer et le faire. Hier, Lapiro de Mbanga était connu en une certaine échelle. Mais, depuis mon emprisonnement, j'ai changé, j'ai augmenté en grade. Et je tiens maintenant être un avocat qui va vers des instances internationales pour que mon pays change. Parce que c'est ça dont il est question», affirmait-il lors d'une interview à Rfi après sa sortie de 'prison en 2011.

Mais il n’aura pas l’opportunité de voir le changement politique qu'il escomptait pour la terre qui l'a vu naître il y a 57 ans. La mort l'a vaincu le 16 mars dernier aux Etats-Unis.


LES TAQUINERIES DE VALSERO

Lors de la campagne électorale de la présidentielle 2011, on a entendu le candidat Garga Haman Adji faire des éloges sur un plateau de télévision au rappeur Valsero. L'homme politique démontrait qu'il connait très bien les chansons de l'artiste, ou du moins que les deux hommes avaient la même ligne de pensée politique.

Si M. Garga peut, publiquement, faire des éloges à l'artiste Valsero, tel n'est pas le cas pour certains commis de l'Etat. En tout cas, Valsero n'irait pas se pavaner allègrement clans les salons du ministère des Arts et de la Culture. Il y passe pour un paria, une espèce infréquentable dont les spectacles peuvent être interdits.

Que dit donc l'artiste pour hérisser le poil politique? Il dénonce les tares de la politique camerounaise,l'artiste critique la prépondérance des éloges et autres dithyrambes au chef de l'Etat, alors que les préoccupations du peuple ne sont pas prises en considération par le politique.

Dans Lettre au Président, l'artiste, entre autres, dit: « Excuse-moi Prési, mais il faut que je te parle. A ton nom ils parlent tous mais au nôtre personne ne parle. Ils défendent ta politique, paraît qu'ils suivent ton programme. Est-ce toi qui as décidé de nous exclure la gamme? Puis-je savoir Prési pourquoi pour nous ça ne marche pas? J'ai fait de longues années d'étude et je n’ai pas trouvé d'emploi. Je te rappelle que t'avais promis qu'on sortirait du tunnel. On y est toujours ce sont les mêmes qui tiennent la chandelle».

Il interpelle en plus le Président de la République à mettre fin à la misère des couches sociales défavorisées, en lui rappelant que c'est son travail. Parce que: «Le peuple n'en peut plus, les jeunes en ont marre, on veut aussi goûter au miel sinon on dégage! Je dis Prési arrête ça! C'est ça ton travail! Oui Incha Allah! Je le jure quelqu’un fera le travail! Le peuple n'en peut plus, les jeunes en ont marre, on veut aussi goûter au miel sinon on dégage» !

Des paroles du genre n'attirent pas les caresses des gouvernants. Avant d'être entendu par la classe dirigeante, Valsero se fait entendre par les masses populaires en étant très présent dans les radios urbaines de Yaoundé et en animant des tranches d'antennes au ton engagé.


EBOA, ENNEMI DE LA PRÉVARICATION

Certains Camerounais ont la facilité de croire que l'enrichissement illicite et ostentatoire est un phénomène nouveau au Cameroun. Surtout lorsque l'on considère tous ces anciens ministres et directeurs généraux qui sont épinglés dans le cadre de l'opération épervier, une opération dite d'assainissement des mœurs et de restauration de la morale publique au Cameroun.

L'on n'oublie pas cependant qu'en son temps, alors qu'Ahmadou Ahidjo trônait sur le Cameroun, l'artiste musicien Eboa Lotin s'était attaqué à l'ostentation, à l'accumulation démesurée des biens dans un contexte marqué par la pauvreté d'une large frange de la société. Il était contre la multiplication des biens immobiliers, les luxueuses villas et les comptes grassement fournis en banque.

Tout ceci en puisant dans le panier du contribuable camerounais qui peine à s'offrir un train de vie décent. Certaines sources ont souvent cru que cette critique de la gestion malencontreuse de la fortune publique était personnellement destinée au Président de la République d'alors, M. Ahmadou Ahidjo. Une chose est sûre: le coup de gueule de l'artiste Eboa Lotin n'a pas pris une seule ride, sa critique s'adapte très bien à la société camerounaise actuelle.

L'artiste, en suivant les montants abyssaux des détournements de deniers publics, se retourne certainement et continuellement d'amertume et d'indignation dans sa tombe.


LONGUE LONGUE: NON À L'EXPLOITATION

M. François Xavier Verschave a publié des livres pour dénoncer l'exploitation des ressources naturelles et minières en Afrique noire au bénéfice de l'occident. Il est l'auteur, entre autres, de «Noir Silence» et de «La Françafrique. Le plus long scandale de la république».

Dans ces publications et d'autres écrits, Verschave dénonce le prélèvement des ressources de nos pays pauvres au bénéfice des réseaux occidentaux qui ont des ramifications et des complicités au sein des régimes africains et de la classe dirigeante française. L'artiste Longue Longue n'a pas eu besoin d'un exercice éditorial similaire à celui de Françoise Xavier Vezrschave qui a noirci des centaines de pages pour dénoncer l'exploitation de l'Afrique.

L'artiste a juste eu besoin de quelques minutes de chansons pour lancer son cri de détresse, «Ayo Africa». A sa manière, l'artiste musicien s'est inscrit en faux contre le prélèvement impuni de nos ressources et la trop grande importance accordée aux blancs, ces «ouvriers» qui deviennent «des patrons chez nous». Sans prononcer de termes savants, Longue Longue dénonçait le néocolonialisme et la perpétuelle hégémonie de l'occident sur l'Afrique.

L'Afrique, un continent qui subit les politiques économiques importées. Le Cameroun n'est pas en marge de cette domination économique qui se décline par les privatisations qui décharnent notre tissu social. L'artiste engagé s'est insurgé contre ces privatisations en prévenant: «ne privatisez pas le palais d'Etoudi»!

En attendant que l'artiste épuise sa peine privative de liberté dans une prison française pour une affaire de mœurs, aucun indicateur ne fait croire que le message de Longue Longue est passé. Mais il a eu le mérite de dénoncer ce qui ne va pas.


NDEDI, LA CONFIDENCE A PATOU

M. Paul Biya, de temps en temps, ose souvent sortir de sa mièvrerie verbale. Dans certains de ses discours, le Président de la République se permet de dénoncer le laxisme, l'immobilisme et la sclérose de l'administration camerounaise. Il fustige aussi la corruption et les égoïsmes qui ont acquis des titres fonciers dans certains services publics.

Ces sorties présidentielles sont abondamment relayées par des thuriféraires dont le zèle trahit parfois la démesure. Mais une chose est évidente: les multiples dénonciations inopérantes du Chef de l'Etat sont très bien résumées dans un titre de l'artiste musicien Ndedi Eyango. Dans sa chanson «Patou», il décrit la corruption et le tribalisme.

Il parle, pour le fustiger, du remue-ménage qui règne dans l'administration au Cameroun où «chacun est patron». Ici, chacun est maître de soi-même et «décide comme il veut». Entre temps, l'artiste a pris des rides, a changé de look, mais rien n'a changé dans le fonctionnement de l'administration au Cameroun. «Patou» est toujours d'actualité, les maux décriés s'étant plutôt agrandis. 

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