Affaire Ateba Eyene. Cameroun - Opinion - Affrontement Owona Nguini et Patrice Nganang: Ateba Eyene et Lapiro sont-ils des héros nationaux ?

Benjamin ZEBAZE | Ouest Littoral Mercredi le 16 Avril 2014 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La bataille entre Mathias Owona Nguini et Patrice Nganang qui vire à l’affrontement ethnique fait rage dans les réseaux sociaux et risque de détourner les Camerounais de l’essentiel.

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La bataille entre Mathias Owona Nguini et Patrice Nganang qui vire à l’affrontement ethnique fait rage dans les réseaux sociaux et risque de détourner les Camerounais de l’essentiel. Le point de vue de votre journal.

Depuis quelques jours, les Camerounais se délectent du spectacle offert dans les réseaux sociaux et ailleurs par les enseignants Mathias Owona Nguini et Patrice Nganang ; spectacle dans lequel tous les mots offensants, quelquefois inconnus des meilleurs dictionnaires de la langue française, ne semblent pas suffire à mettre k.o l’adversaire.


Deux hommes pourtant d’une grande qualité

Le problème est qu’il s’agit là de deux grandes personnalités qui, de toute façon, ont le même objectif : rendre meilleur ce pays que Paul Biya a méthodiquement détruit en trente années de gestion à l’emporte-pièce. J’ai, à titre personnel et en tant que Directeur de publication du journal Ouest littoral, hésité à entrer dans un tel débat, tant les nerfs des « mis en cause » semblaient être à vif. Difficile d’entrer en effet dans une telle querelle d’enseignants et de gros diplômés lorsque, comme moi, on n’a pas son certificat d’études primaires (Cepe ou Cep).

Mais impossible de rester tranquille lorsque deux personnes qu’on apprécie s’étripent inutilement dans ce que j’appellerais, un simple malentendu. Je ne connais pas à titre personnel Patrice Nganang. Mais c’est avec un plaisir certain que je fais publier ses textes dans mon journal parce nous partageons, et c’est le moins que l’on puisse en dire, la même « détestation » de ce que Monsieur Biya a fait de l’héritage de nos ancêtres.

Je connais davantage le docteur Mathias Owona Nguini, pour l’avoir côtoyé à l’université de Bordeaux (en France). Personne ne peut nier sa probité morale. Personne ne peut nier le fait qu’il est l’un des Camerounais les plus remarquables de sa génération. A moins d’être de mauvaise foi, on ne peut affirmer, malgré son itinéraire initiatique, qu’il ait quelque accointance que ce soit avec le régime de Paul Biya.

Pourquoi des gens qui, de mon point de vue, mènent le même combat s’affrontent-ils aussi violemment ? Sans doute parce qu’ils ne se connaissent pas assez et restent confinés à des clichés qui hélas, dominent la société camerounaise actuelle. Je retiens néanmoins de leurs échanges, quelques problèmes de fonds :
Lapiro de Mbanga et Ateba Eyene sont-ils des héros nationaux ?

A ma connaissance, tout serait parti d’une déclaration de Mathias Owona Nguini, lors des obsèques de Charles Ateba Eyene faisant de ce dernier un héros national. Patrice Nganang a failli « s’étrangler » face à cette déclaration. Selon lui, c’est l’origine tribale commune au défunt et à l’enseignant de droit qui justifierait une telle position. Il était anormal que Lapiro de Mbanga, mort dans la même période, n’ait pas eu les mêmes « honneurs » du professeur.
Je ne comprends pas que l’on puisse opposer deux « douleurs » et j’y reviendrai.

J’ai vécu une longue amitié avec Lapiro de Mbanga. Une amitié ponctuée de période de mésentente profonde et de retour au calme comme cela arrive entre personnages au caractère entier. J’ai même produit, au plus fort d’une période de divergence, toute une édition spéciale du journal «Challenge Hebdo » contre lui après avoir appris ses relations suspectes avec monsieur Fochivé. Sa réplique, dans une chanson, a été proportionnelle à l’attaque au point où pour lui, je n’étais plus que « Benjamin Chimpanzé ».

Cela n’a pas altéré longtemps notre amitié de telle sorte que pendant les huit années où j’ai organisé un festival à Dschang, c’est lui qui en était une des chevilles ouvrières. Pendant toutes les réunions des opposants ou de ceux qui en tenaient lieu, c’est dans ma voiture que nous nous déplacions aussi bien pour Bamenda qu’ailleurs. Mais est-il raisonnable au nom de cette amitié, de conclure qu’il est un héros national ?

Je n’ai jamais rencontré physiquement Charles Ateba Eyene. Ce que je sais de lui est ce que j’ai vu, entendu et lu dans les médias. Tout cela fait-il de lui un héros national ?

Je n’ai pas la science infuse de nos deux enseignants. Mais je pense qu’au moment où tout est galvaudé dans notre pays, il faille faire attention à certaines formules. De mon point de vue, un héros national c’est quelqu’un qui a eu une attitude « incontestablement » irréprochable face à l’injustice et la tyrannie. Une personne qui, dans l’adversité a toujours maintenu le cap, quelques fois à ses risques et périls.

Quitte à m’attirer les foudres de certains, mon ami Lapiro de Mbanga et Charles Ateba Eyene n’entrent pas dans cette catégorie où je classerais les Ruben Um Nyobé, Ossendé Afana, Felix Roland Moumié, Ouandié Ernest…

Lapiro de Mbanga a été un excellent auteur-compositeur. Il a eu le génie d’adoucir la souffrance des « sans voix » de notre pays en concoctant un genre musical idéal pour eux, qui s’est imposé par la suite à tous les Camerounais. Il ne faut pas être un expert dans le domaine musical pour comprendre qu’avec les chansons « Mimba wi », « No make erreur », « Kop ngnié » et surtout « Fongô mahô », Landjo Sandjo Pierre Roger a tutoyé, au-delà de la justesse des textes, un sommet sur le plan purement artistique.

Son bilan politique est incontestablement mitigé. Mais dans les vrais livres d’histoire, son apport décisif dans la conscientisation du peuple contre les abus du régime au cours des années 1990 sera inscrit à l’actif de son bilan. Son rôle déterminant dans la libération de Célestin Monga et Pius Njawé après un procès mémorable sera aussi inscrit en bonne place.

Hélas ! Une divergence sur les moyens de lutte entre certains opposants de l’époque et lui le conduira entre les mains de Fochivé et ternira son image. L’homme a certes refait surface, mais l’erreur originelle restera gravée les mémoires.

Selon le Docteur Mathias Owona Nguini, Charles Ateba Eyene est un héros national. Se faisant, il a utilisé son droit le plus absolu. Peut-être a-t-il dit cela sous le coup de l’émotion après la perte d’un ami ? A mon humble avis, il a eu tort, tout comme Patrice Nganang qui lui a opposé la reconnaissance de Lapiro. On ne peut, comme je le disais plus haut, opposer ni deux émotions, ni deux douleurs.

Ateba Eyene était sans conteste un homme brillant. Sa maîtrise de la langue française et son niveau de culture étaient plus qu’au-delà de la moyenne. Personne, à moins d’être là-aussi de mauvaise foi, ne peut dire qu’il n’était pas courageux, ni qu’il ne prenait pas de risques énormes face au pouvoir « satanique » qui nous gouverne. Mais on ne m’empêchera pas de penser que le véritable courage eut consisté à rompre définitivement avec le système en adoptant une posture que le Docteur Mathias Owoma Nguini assume avec « bravoure » (expression que j’emprunte « honteusement » à mon ami Charles Atangana Manda).

Il faut quand même rappeler que ce dernier était un absentéiste notoire au Ministère de la culture qui l’employait, au point que la ministre avait été obligée de pondre un communiqué de presse pour le rappeler à l’ordre. Qu’il a été pendant de très nombreuses années, un des plus grands défenseurs du « Renouveau » et de celui qui l’incarne. Que sa joie a été immense lorsqu’il a été fait membre suppléant du Comité central du Rdpc dont on sait pourtant, qu’il n’a aucun pouvoir sinon celui de nuisance. Faut–il rappeler par exemple ici, que le docteur Mathias Owona Nguini a toujours refusé toutes les propositions du pouvoir en utilisant cette formule qui m’est restée en mémoire: «Ils m’ont pris pour un mboutoukou».

Par respect pour la mémoire du défunt et de sa famille, je n’irai pas plus loin : je doute cependant que dans le contexte actuel, notre jeune compatriote, certes emblématique, puisse être considéré comme un héros national ; comme un exemple à suivre sans réserve par la jeunesse camerounaise. Ceci d’autant plus que son attitude pendant les événements de 1990 à l’université de Yaoundé où il est accusé par des témoins oculaires d’avoir pactisé avec le pouvoir dans une sanglante répression contre les étudiants en grève n’a jamais été clarifiée. Sur ce point, Mathias Owona Nguini peut et doit comprendre la colère d’un « parlementaire » qui voit une personne qui, à tort ou à raison, est de son point de vue un « traître », être érigé au rang de héros national.


La question de l’homophobie

Dans tous ces échanges, la question de l’homophobie mérite que l’on s’y attarde puisque Patrice Nganang a clairement indiqué que « le pouvoir était homophobe, antisémite et bamiphobe ». J’ai du mal à voir ce que l’antisémitisme vient faire ici puisque Paul Biya est allé tellement loin dans sa déculottée, au point de confier à un citoyen de l’Etat-juif (aujourd’hui décédé), le soin de mettre en place une armée parallèle (Le bir) afin de mater et de massacrer sa propre population (événements de 2008).

Je reviendrais plus loin sur le caractère « bamiphobe » du régime qui, à mon avis, ne se discute pas. Mais en ce qui concerne l’homosexualité, je n’ai pas les certitudes de mes « amis » même si a priori je pense que chacun a le droit de faire de son postérieur ce qu’il veut.

J’ai quand même du mal à comprendre qu’aux charmes d’une femme (et vice-versa), un bipède normalement constitué puisse préférer son semblable. Dieu nous ayant créé différents et le phénomène d’homosexualité allant en s’amplifiant de part le monde, je suis bien obligé d’accepter que certains puissent avoir une sexualité différente.

Ayant, au cours de mon itinéraire professionnel été témoin des drames au sein de la communauté homosexuelle camerounaise (des Camerounais ordinaires), je peux témoigner que les sentiments amoureux sont ici tellement profonds, que le moindre incident se termine quelquefois par mort d’homme.
Ce que je n’accepte cependant pas, c’est qu’à l’homosexualité volontaire, étrangers et membres du pouvoir aient installé dans notre pays ce que j’appellerais une « homosexualité contrainte ». C’est ce que, à juste titre, le pauvre Ateba Eyene a dénoncé avec vigueur jusqu’à son dernier souffle. Dans certains cercles puissants autour du pouvoir, on utilise un véritable chantage à l’emploi et à la promotion sociale pour massacrer, au propre comme au figuré, le postérieur de nos compatriotes. De nombreuses victimes de l’opération « Epervier », ministres, directeurs généraux des sociétés d’Etat sont ainsi traumatisés depuis leur douloureuse et terrible « initiation ». Ce n’est pas acceptable et nombreux sont ceux qui, à la suite d’Ateba Eyene, devraient s’en indigner publiquement.


La question du tribalisme

Question délicate dans ce pays où la simple évocation d’un nom, la critique ou non de l’action gouvernementale fait de son auteur un tribaliste. Patrice Nganang a eu, de mon point de vue, tort de vouloir enfermer Mathias Owona Nguini dans ce carcan tribal. Depuis son retour d’Europe, ce dernier a, par ses actions courageuses, prouvé qu’il évoluait au-delà de toute contingence tribale.
En revanche, son père Joseph Owona (Ancien multi-ministre, Secrétaire général de la Présidence de la République, actuel patron du football camerounais) est bel et bien un apôtre du tribalisme. Si je n’utilise pas une autre formule pour qualifier ce monsieur, c’est tout simplement à cause de mon vocabulaire limité : son action autour de Paul Biya a été néfaste pour la nécessaire cohésion sociale et l’histoire saura me donner raison.

S’il y a bien une figure à opposer sur une affiche afin de matérialiser le caractère tribaliste et « bamiphobe » du régime, c’est bien celle du professeur Joseph Owona. Il a été pour moi plus qu’un excellent et intègre professeur de droit en 1982. Son entrée dans la cour de Paul Biya en a fait un hideux personnage. C’est sous lui par exemple que dans les concours d’entrée dans la fonction publique (Enam et autres), les résultats sont devenus aussi iniques en réservant jusqu’à 80% des places aux ressortissants des ex-provinces du Centre, du Sud et de l’Est. La loi fixant les quotas qu’Ahmadou Ahidjo avait fait voter a été remplacée par une autre qui donne des pouvoirs de « tripatouillages » au ministre de la fonction publique : un ancien ministre (Benjamin Amama) s’est d’ailleurs offusqué de cette pratique, ce qui lui a valu un départ précipité du gouvernement.

Joseph Owona peut être considéré comme le père de notre constitution actuelle. Même si ses proches essayent de le défendre, l’histoire retiendra que c’est à la suite des travaux coordonnés par lui qu’on a pu inscrire dans la constitution des textes créant deux types de Camerounais : les autochtones qui ont tous les droits, que l’on oppose aux allogènes. En croyant s’attaquer aux Bamiléké, on a ainsi allumé le feu partout au Cameroun, comme on a pu le constater lors des dernières élections couplées.

Les dernières nominations du professeur au sein du football illustre assez mes propos : sur les quatre adjoints qu’il a imposés au coach des Lions indomptables, deux (50%) sont originaires de l’ancienne province du Centre-Sud. Cette façon de faire résume le personnage.

Mais doit-on faire porter à Mathias Owona Nguini les fautes de son père ? Non seulement on ne peut et ne doit le faire, mais en plus, je peux comprendre qu’il soit fâché avec moi du fait que je traite son géniteur de cette manière.
Je sais aussi que depuis 1990 que j’indique que monsieur Biya donne les postes les plus importants et surtout là où il y a de l’argent aux gens de son ethnie, je passe auprès de certains pour un dangereux tribaliste. J’ai aussi utilisé à souhait l’expression « les mêmes gens » comme Patrice Nganang ». Mais qui est finalement tribaliste ? Celui qui dénonce ou celui qui pratique ? On a qu’à voir quelles sont les principales victimes de l’opération « Epervier » pour s’en convaincre ; une liste qui aurait encore pu être longue si Paul Biya ne s’était montré extrêmement « généreux » envers les Gervais Mendo Ze et autre Bekolo…
J’aimerais une fois pour toute apporter les précisions suivantes : je suis de mère Bakoko-Bassa et de père Bamiléké. Mes trois enfants sont de mère Bassa et Beti de la grande famille des Gilbert Andzé Tsoungui et Mbarga Mboa. Mon père a été le parrain du ministre Mbarga Mboa. Jeanne Irène Biya (La première épouse de Paul Biya) l’amie de ma mère ; elle me berçait sur ses cuisses de passage à Dschang. Ma dernière fille est de mère Douala et a une grande mère Sierra Léonaise. Difficile d’être tribaliste au sens où on l’entend au Cameroun avec un tel entourage.


La voie de la sagesse tracée par le père Ludovic Lado

Devant tout le bruit fait autour de cette divergence entre nos deux promoteurs compatriotes, je ne peux que me joindre au père Ludovic Lado en priant Dieu, s’il le faut, pour que cette joute écrite s’arrête au plus vite. Qu’elle s’arrête au plus vite dans la mesure où elle ne peut que donner du grain à moudre à tous ces gens tapis autour du pouvoir qui pensent que la jeunesse n’est pas prête à prendre la relève.

Mon vœux le plus cher, pour en finir, est que toutes les personnes de bonne volonté œuvrent pour une pacification des relations entre les deux « belligérants » dont je reste persuadé que le combat est le même. Faire autrement serait détourner les Camerounais de l’objectif qui doit être le leur : se battre pour l’instauration d’une société meilleure dans notre cher et beau pays.

Benjamin ZEBAZE – Ouest Littoral 

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