Lutte contre Boko Haram. Cameroun : Comment repousser la menace Boko Haram ?

Le Monde Jeudi le 30 Juillet 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Après les attentats dans le nord du Cameroun, l'inquiétude monte dans les grandes villes du sud, comme ici à Yaoundé, où s'est rebdu le président nigérian le 29 juillet.

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Le Cameroun vient d’être secoué coup sur coup par trois attentats suicides. Perpétrés par Boko Haram à Fotokol le 13 et à Maroua les 22 et 25 juillet, ils ont fait des dizaines de de morts. Si le pays avait déjà subi de nombreux raids et enlèvements de la part de Boko Haram, il n’avait jamais connu d’attaque de ce type.

Cette « première » marque-t-elle donc une escalade ? Ou, bien pire, une contagion ? Les crises qui bouleversent le monde arabo-musulman s’importent en Afrique subsaharienne et, en parallèle, l’islamisme fanatique progresse dans son instrumentalisation des segments les plus vulnérables de la société, en particulier les jeunes et les femmes.
Vers une politisation de l’islam

15 % des musulmans de la planète vivent en Afrique subsaharienne, où ils représentent 30 % de la population de cette région. Selon le Pew Research Center, en 2030, le Nigeria sera le pays africain comptant le plus grand nombre devant l’Egypte. C’est dire si l’Afrique et le Cameroun en particulier, voisin du Nigeria, situé sur la ligne de frontière entre l’Afrique musulmane et l’Afrique chrétienne et dont 20 % de la population est de confession musulmane, ne peuvent rester à l’écart des mutations qui touchent le monde musulman. Ces mutations, initiées depuis une trentaine d’années, vont dans le sens d’une politisation de l’islam, c’est-à-dire d’un dévoiement graduel de la religion à des fins de conquête du pouvoir et de contrôle social.

Dans les années 1980, c’était le cas de l’islamisme perçu comme libérateur, celui qui a chassé les Soviétiques d’Afghanistan ou qui s’est attaqué à la dictature des généraux en Algérie et au régime du Shah d’Iran. C’était le cas, ensuite, de l’islamisme extrémiste des talibans qui a mis en place un régime ciblant les intellectuels, les artistes, les jeunes, le patrimoine historique. Depuis récemment, c’est le cas de l’islamisme dans son expression la plus radicale, aspirant à l’asservissement total des populations au moyen d’une terreur mondialisée, le djihadisme terroriste qui sévit en Somalie, au Kenya, au Mali, au Nigeria, au Niger, au Tchad, et maintenant au Cameroun.

De ce point de vue, le serment d’allégeance de Boko Haram à l’organisation de l’Etat islamique a une signification plus prégnante et plus sinistre que celle d’un simple alignement sur une interprétation dévoyée de la religion et la pratique d’une violence inouïe. Il formalise l’entrée de groupes terroristes locaux dans une stratégie globale de lutte pour le pouvoir. Ce n’est pas un choc des civilisations entre le monde musulman et l’Occident auquel le monde fait face, mais à une guerre pour le contrôle des lieux saints de l’islam et des plus importantes réserves pétrolières de la planète.


Eliminer les archaïsmes nocifs

Face à cet islamisme conquérant, assoiffé de pouvoir, quelle riposte le Cameroun doit-il adopter ? La bataille militaire est bien sûr d’une importance critique, et immédiate. Avec nos alliés régionaux et nos soutiens internationaux, dont la France, et avec le courage de nos soldats, auquel il faut rendre un hommage particulier, nous la remporterons. Mais la lutte pour arracher les membres les plus vulnérables de nos sociétés à la tentation ou à l’emprise de l’islamisme sera de longue haleine.

La première défense à organiser, c’est celle des femmes et des jeunes. Les bombes humaines des deux attentats de Maroua ont été des fillettes et des jeunes femmes, dont certaines vivaient de mendicité. Comme mes nièces vivant dans l’Extrême-Nord, j’imagine qu’elles avaient la soif d’apprendre, le rêve de se réaliser par le travail et l’entreprise, l’ambition d’être indépendantes et de construire une famille dans laquelle elles auraient été les égales de leurs maris. C’est sans aucun doute la conscience désespérée que rien de tout cela ne se réaliserait pour elles qui les a poussées vers ce geste sanglant et absurde, et non une quelconque foi ou idéologie.

Il faut agir immédiatement pour l’émancipation des femmes, abolir la polygamie. Un projet de loi portant création d’un code de la famille est déjà disponible depuis des années. Adoptons-le sans attendre ! Il y a une douzaine d’années, j’avais accompagné le roi du Maroc lors d’une visite au Cameroun. Il m’avait confié que sa plus grande fierté était l’adoption d’un tel code dans son royaume. Je mesure aujourd’hui combien cette fierté était sage et justifiée.

Mais allons encore plus loin dans l’élimination des archaïsmes nocifs. Fixons un minimum légal pour éviter les mariages précoces et développons le planning familial, en particulier dans les zones rurales. Interdisons et luttons contre les pratiques telles que l’excision et le massage à la pierre brûlante des seins des jeunes filles pour freiner leur croissance. Inscrivons dans la loi l’égalité de traitement des hommes et des femmes en matière d’héritage.


Investir massivement dans l’éducation

Outre les femmes, les jeunes sont un instrument et une cible privilégiée des islamistes. L’Afrique compte 200 millions de personnes de 15 à 24 ans laissées sur le côté de la route par cette croissance africaine tant vantée par les observateurs. Le Cameroun ne fait pas exception. Et les terroristes recrutent massivement parmi cette population énergique mais désœuvrée et sans perspectives. Rappelons que Al-Chabab, qui sévit en Somalie et au Kenya, signifie précisément « jeunesse » en arabe.

Il faut rendre la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans sur tout le territoire camerounais, et l’assortir d’un service civique obligatoire de deux mois. Une loi peut être votée dans ce sens dès la rentrée et appliquée dès janvier 2016. Le nord du pays a particulièrement besoin de cette initiative pour pouvoir jouer son rôle de rempart contre la contagion de l’islamisme fanatique. Le taux d’inscription des enfants dans l’enseignement primaire n’y est que de 35 %, contre près de 65 % dans certaines parties du sud.

Il est urgent de mettre en œuvre la réforme de l’Etat civil engagée il y a plus de dix ans, et pour laquelle la France nous a apporté un soutien financier. Comment les dizaines, voire les centaines, de milliers de nos compatriotes qui n’existent toujours pas sur les registres gouvernementaux pourraient-ils ne pas se sentir marginalisés, ignorés, méprisés ?



Ces mesures, en particulier l’instauration de l’enseignement obligatoire, demanderont sans doute une mobilisation considérable. Mais un pays comme le Cameroun, qui ambitionne d’accueillir la CAN en 2019 et s’est lancé dans un grand programme de construction de stades, doit être capable de recruter les enseignants et de construire les écoles nécessaires.
 

Vigilance face à l’instrumentation de l’islam

Il faut enfin étendre cette bataille pour les corps, les cœurs et les esprits au terrain religieux, en définissant la pratique de l’islam qui convient à notre société et qui contribuera à la construction de notre avenir. Comment ? Au quotidien, nous devons exercer la plus extrême vigilance face aux expressions de cette religion instrumentalisée. L’interdiction récente du voile intégral, dont le port dans le nord du Cameroun est d’ailleurs un phénomène récent, tout comme la surveillance accrue des lieux de prêche extrémistes, vont dans le bon sens.

Il faut en étudier d’autres, pouvant aller jusqu’à un couvre-feu dans les régions les plus exposées au fanatisme. Un autre élément clé de cette stratégie d’endiguement de l’islamisme meurtrier, qui n’a de religion que le nom, doit être la participation des élites, en particulier musulmanes, à l’effort d’éducation des plus vulnérables. Le silence de ces élites est l’allié de Boko Haram, car les populations l’assimilent à un soutien implicite. « Si je reste assis en silence, je commets un péché », disait Mossadegh. Moi, Camerounais musulman, je condamne ces crimes, je refuse et dénonce le silence.

Marafa Hamidou Yaya ministre de l’intérieur du Cameroun de 2002 à 2011. Condamné à vingt-cinq ans de prison pour corruption, il est reconnu comme prisonnier politique par la communauté internationale.


Marafa Hamidou Yaya Ministre de l'intérieur du Cameroun de 2002 à 2011

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