Cameroun - Politique. Exclusif - Jean-Jacques Ekindi: Ce que j’ai dit à Biya…

Frédéric BOUNGOU | Le Messager Mardi le 08 Janvier 2013 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le 3 janvier dernier, son aparté avec Paul Biya et Fru Ndi sous les ors du palais de l’Unité a retenu l’attention de l’opinion. Que pouvait bien se dire ce trio a priori improbable, se demandaient alors certains.

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Il a le verbe haut et son bouc est devenu, au fil des années, une sorte d’identité remarquable. Jean-Jacques Ekindi, est surtout connu comme « le chasseur du lion », celui qui dans les années 90 s’était juré de déloger Paul Biya du palais présidentiel d’Etoudi. Présenté comme l’une des valeurs montantes du Rdpc à l’orée du retour au multipartisme, il est devenu l’un des redoutables adversaires politiques de son ancienne formation politique, le Rdpc qu’il a quitté pour protester contre son immobilisme.

A l’Assemblée nationale, ses sorties sont redoutées par ses anciens camarades qui le tiennent en haute estime. Notamment grâce à la pertinence de ses points de vue qui ne s’embarrassent pas d’un radicalisme de mauvais aloi.

Le 3 janvier dernier, son aparté avec Paul Biya et Fru Ndi sous les ors du palais de l’Unité a retenu l’attention de l’opinion. Que pouvait bien se dire ce trio a priori improbable, se demandaient alors certains.

Dans l’entretien suivant qu’il nous accordé, le célèbre chasseur du lion lève un pan de voile sur cet épisode de la vie politique du Cameroun, dresse le bilan de l’année écoulée, se projette dans l’avenir, évoque le calendrier politique et énonce les raisons de son engagement contre la construction de la cimenterie Dangote sur les berges du Wouri…

F.B.


M. le Coordonnateur du Mp, on est à l’aube de l’année 2013, quel est votre message aux Camerounais et que retenez-vous de l’année écoulée?

Tout d’abord je présente mes meilleurs vœux de bonheur, de prospérité, de paix et de concorde au peuple camerounais. Qu’il connaisse une grande réussite dans ses entreprises collectives de toutes natures qui le conduisent à un parfait épanouissement par la grâce de Dieu. Pour ce qui est de l’année écoulée, attendue comme la suite de l’année électorale 2011, elle devait être celle des grandes réalisations, elle devait voir le Cameroun tout entier se transformer en un vaste chantier dans les domaines les plus divers. De ce point de vue-là, il y a du désenchantement car en dehors des chantiers de production énergique annoncés et engagés depuis longtemps (avant 2012), mise à part la pose de la première pierre de Mem’velle, 2012 n’a donné à voir rien de vraiment nouveau, mais plutôt beaucoup de paroles, de discours et de promesses. « Au commencement était la parole » dit la Bible, nous attendons que celle de 2011 se transforme enfin en réalisations de 2013 et des années suivantes.

Du point de vue législatif, en 2012 a été adoptée la loi portant Code électoral sur laquelle beaucoup de démocrates fondaient de grands espoirs après le fiasco du 9 octobre 2011 (élection présidentielle, ndlr). Hélas, cette loi bruyamment chahutée à l’Assemblée nationale a renforcé le fossé entre le Rdpc qui entend profiter de ce texte pour imposer ses majorités électorales soviétiques, et tous les autres partis politiques qui en seront les victimes désignées.

Politiquement, le gouvernement a présenté un projet de loi « prorogeant le mandat des députés pour une période de 6 mois, éventuellement renouvelable », lequel a été adopté par le Parlement. Cette loi, discutable sur le fond -toutes les dispositions auraient dû être prises en temps opportun pour que les élections municipales et législatives se tiennent à bonne date- est condamnable sur la forme car l’indépendance du législatif et de l’exécutif n’autorise pas le président de la République à rédiger l’acte de prorogation des mandats législatifs. Cette loi de circonstance est en outre inopportune puisqu’elle introduit de nouveaux éléments d’incertitude dans les mandats électifs en leur enlevant « la régularité » qui fonde un régime démocratique.

Par le truchement d’une corruption effrénée, en violation de toutes les lois à lui opposables (urbanisme, environnement, dangers, santé etc), le groupe Dangote a imposé la construction de son usine de ciment au lieu dit « Base Elf » tandis que le gouvernement, par faiblesse, par lâcheté ou par corruption, refusait délibérément de mettre fin à ce scandale.

Dans la chronique politico-judiciaire, l’affaire Marafa Hamidou Yaya a mis à nu des comportements déviants au plus haut sommet de l’Etat, comportements dont on se doutait mais dont on connaît maintenant les acteurs et les mécanismes de mise en œuvre.

Les Lions Indomptables ont touché le fond avec leur élimination de la Can par le Cap Vert. Le Pib et le budget de l’Etat sont en augmentation sensible malgré la crise dans la zone euro et les difficultés de l’économie américaine. Enfin, les inondations ont fortement endeuillé le pays dont la réponse à pareilles catastrophes est à revoir. Au total, 2012 a été une année qui entraîne un peu plus le Cameroun dans des chemins difficiles car au total, aucun problème fondamental n’a connu un début de solution.


Dans son adresse à la nation le 31 décembre dernier, le président de la République pense que les critiques sont sévères (il parle de myopie politique et d’affaiblissement de la mémoire) et dénotent d’une certaine mauvaise foi. Que lui répondriez-vous ?

Je n’ai rien de spécial à lui rétorquer, c’est sa vision des choses. Il est certain que de par le monde, il y a des myopes politiques et des gens de mauvaise foi. Ce n’est qu’en les identifiant, mais surtout en énonçant les propos ou les actes qui en feraient des myopes ou des gens de mauvaise foi qu’un débat pourrait s’ouvrir. Le président n’a nommé personne, c’est sans commentaire.


Dans la même veine, il pense que l’investissement repart et que l’avenir se présente sous de meilleurs auspices…

Dans les réalisations de 2012 et dans les prévisions budgétaires de 2013, l’investissement public s’accroît. L’investissement privé, les investissements directs étrangers, le peu d’auto investissement des entreprises basées au Cameroun, l’activité d’investissement réduite des banques et le manque de dynamisme de la Douala stock exchange (bourse nationale), la faiblesse de l’épargne consacrée à l’investissement par l’économie, les surliquidités dans les banques, l’extraversion de notre économie prouvent, s’il en est encore besoin, que l’investissement est très loin de son optimum, et qu’il ne faut pas confondre le Bip (Budget d’investissement public), et l’investissement dans l’économie camerounaise. Quant à l’avenir, malgré le frémissement de quelques agrégats macroéconomiques, il est fondamentalement incertain.


A votre avis, au-delà de la sempiternelle mauvaise gouvernance, que faudrait-il faire pour relancer véritablement l’économie nationale ?

C’est un vaste programme qui touche tous les aspects de la vie des Camerounais (mode de consommation, propension à l’épargne, valeurs productives, valeur-travail, structures sociales, systèmes économiques, système monétaire, cadre administratif et juridique, intégration dans l’économie-monde, interrelations entre les sphères politique et économique, système de formation, d’implication et de sanction des élites, interrelations entre le secteur public et le secteur privé, système d’organisation et de régulation des marchés, système d’information…). En tous cas, on ne peut pas relancer l’économie avec des déclarations aussi lapidaires telles que : « y-a-qu’à… » C’est beaucoup plus compliqué, mais au départ, il faut de la bonne gouvernance, mais à elle seule, elle ne suffira pas. Je vous renvoie à mon livre sur ce sujet.


L’horizon 2035 vous paraît-il réaliste pour faire du Cameroun un pays émergent et quid du Dsce et son application sur le terrain ?

En 10 à 20 ans effectivement, avec une restructuration de son économie, une meilleure intégration à l’économie sous-régionale, régionale et mondiale, un taux de croissance soutenu et un développement endogène, le pays peut aborder le seuil de l’émergence en 2035, même avant. Mais est-il en mesure de faire les réformes nécessaires ? « That is the question ! »

Quant au Dsce, il a déjà l’énorme avantage d’exister. Pour le rendre efficace, pour qu’il oriente et dynamise l’économie camerounaise, il faudrait le revoir de fond en comble tant dans le fond que dans la forme. Mais il peut constituer une bonne base de travail.


On est passé de budget-moyens à un budget-programme présenté aujourd’hui comme la panacée que le Cameroun attendait. Peut-il être aussi efficace et réussir là où le budget-moyens a échoué ?

Qu’il soit programme ou des moyens, le budget est une prévision financière des actions du gouvernement. Ces actions elles-mêmes sont organisées en programmes plus ou moins cohérents et plus ou moins pertinents avant d’être déclinées en budgets. Ce n’est pas la forme du budget qui fait la réussite d’une politique gouvernementale. Cependant, le budget-programme est un outil autrement plus puissant que le budget des moyens. Dès lors, il va de soi qu’un ouvrier qui dispose d’un bon outil ne peut être plus efficace que lorsque l’outil est de moins bonne qualité. Cependant, l’outil ne saurait ni masquer les carences de l’ouvrier, encore moins pallier à son incompétence. Il faut des institutions, un gouvernement et une administration compétents, dévoués au service public, engagés et maniant au mieux le nouvel outil qu’est le budget programme. L’échec sera toujours le fait des hommes et non celui des formes de budgets. Souhaitons que le gouvernement des hommes s’améliore avec le nouvel outil.


Sur le plan politique, on annonce les sénatoriales pour cette année ? Au Mp dites-vous "Ouf, enfin" ?

Nous ne disons rien car le sénat dans sa forme actuelle où le président de la République y désigne discrétionnairement 30% des sénateurs nous semble plus dangereux qu’autre chose. Il se posera comme une chape de plomb sur la démocratie Camerounaise.

Quels sont les préalables d’une telle élection de votre point de vue ?
Si la Constitution ne peut être modifiée pour que le sénat à la fois libre et indépendant, puisse être une véritable émanation de la souveraineté populaire, nous avons peu de chose à en attendre. Il nous semble néanmoins souhaitable, pour la cohérence de la volonté populaire exprimée à travers les urnes, que les élections sénatoriales aient lieu après les élections municipales. A titre d’exemple, il serait malsain que les élections municipales et législatives expriment une opinion politique camerounaise diversifiée, avec plusieurs partis apparaissant de manière significative dans les mairies et à l’Assemblée nationale, et que le sénat se présente comme un monolithe formé de 100% de sénateurs Rdpc. Cette situation est hautement probable si les élections sénatoriales devaient avoir lieu avant les municipales.


Lors de la cérémonie de vœux au palais de l’Unité, on vous a vu en aparté avec votre hôte. Que vous êtes-vous dit ?

Nous nous sommes souhaité les vœux pour 2013. Nous avons échangé sur le processus électoral, les inquiétudes qu’inspire Elecam quant à sa capacité à conduire à bon terme les inscriptions biométriques. Le président a souhaité que toutes nos formations politiques s’impliquent dans l’enregistrement biométrique des électeurs. Les élections à venir que le président voudrait voir tenir dans les délais prescrits sont malheureusement tributaires des performances d’Elécam. Le Chairman du Sdf a développé que les conseillers municipaux actuels, élus par un scrutin contesté conduit par l’Onel seront peu qualifiés pour élire le sénat. Pour tous ces problèmes, nous avons suggéré une rencontre entre partis politiques qui permettrait la mise en œuvre de cette coopération en vue d’établir le meilleur fichier électoral possible et d’aboutir à des élections apaisées. Le président en a pris bonne note puis il a évoqué comme exemple à suivre, les élections au Ghana qui n’ont pas suscité de contestation majeure. Nous lui avons opposé qu’au Ghana, tous les acteurs sont d’accord sur le code électoral qui fait consensus, alors qu’au Cameroun, le Rdpc veut passer en force et n’admet même pas qu’un véritable débat soit envisagé sur cette question. Le président en a convenu et a demandé au secrétaire général du Rdpc de s’occuper de cet aspect des choses avec les autres formations politiques. C’est l’essentiel de ce que nous nous sommes dits.


Pensez-vous que votre interlocuteur est vraiment sincère ?

Je pense que le président n’a absolument rien à gagner à ne pas se montrer sincère lors d’échanges aussi brefs, pris sur le vif. La suite des évènements nous apportera une réponse sur votre question.


Comment le Mp prépare-t-il les prochaines échéances électorales et quid de son alliance avec l’Udc ?

Le Mp essaie d’abord de voir clair sur la loi électorale et milite très activement pour sa modification. Ces élections seront très différentes selon que la loi électorale aura été modifiée ou pas. Nous travaillons donc d’abord sur la modification de ce code avec d’autres formations politiques, des actions sont en préparation à ce sujet. Notre alliance avec l’Udc est au point mort.

On vous voit très engagé contre un projet de cimenterie à Douala, pourquoi?
Dans le cadre du « collectif sauver Douala de la pollution », je suis engagé à fond, non pas contre un projet de cimenterie, ni contre un groupe industriel, mais pour le déplacement du site d’implantation de cette usine de ciment. Nous ne sommes pas dans une logique où il faut choisir entre un site (la Base Elf) préservé et une usine de ciment qui crée des emplois et produit du ciment. Nous voulons les deux à la fois, à savoir préserver la base Elf et implanter l’usine de ciment dans un lieu plus propice, et il n’en manque pas. Ainsi, nous aurons les emplois, le ciment, un site moins pollué et des installations moins dangereuses.


Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de jouer le jeu du groupe français Lafarge (Cimencam)?

Ils font de la diversion car le groupe Lafarge avec lequel je n’ai aucune relation n’a rien à voir dans cette affaire. Ceci est d’autant plus inexact que nous souhaitons vraiment que le groupe Dangote produise du ciment au Cameroun et établisse une véritable concurrence avec le groupe français Lafarge qui a tant fait souffrir les Camerounais en 2008. Nous avons du reste saisi le ministre du Commerce pour les pratiques d’abus de position dominante que nous avons observées à Cimencam en son temps.


Revenons sur le projet, votre engagement ne compromet-il pas les centaines d'emplois que la cimenterie devrait créer ou pensez-vous que cela est inférieur au mal que la pollution pourrait générer

Encore une fois, il ne s’agit pas de choisir entre le mal de la pollution et la création d’environ deux cents emplois. Il faut avoir les deux, c’est simple, c’est facile et peu coûteux. Mais la crispation émotionnelle charriée par ce problème vient de ce que le groupe Dangote et ses supporters ont usé de moyens illicites comme la corruption, le faux en écritures publiques, et forts de cela, ont foulé aux pieds toutes les lois et règlements du Cameroun. Cela est inadmissible. Qu’il s’agisse des lois sur l’environnement, sur l’urbanisme, sur les dangers, sur la santé publique, sur la préservation des sites culturels, ils ne respectent rien et traitent le Cameroun comme une République bananière. Je ne peux pas l’accepter en tant que député, comme je ne peux pas accepter non plus que la pollution vienne envahir le cœur de Douala alors que d’autres solutions existent. Nous, « le collectif sauvons Douala de la pollution » continuerons donc à lutter pour qu’on déplace cette implantation industrielle vers la grande périphérie de Douala. Nous invitons d’ailleurs tous les résidents de Douala à aller s’exprimer au cours des audiences publiques qui ont lieu du 7 au 9 Janvier 2013 à la salle des fêtes d’Akwa, à la chefferie de Bonassama et à la chefferie Deido.

Entretien avec Frédéric BOUNGOU 

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