Cameroun - Politique. Alain Didier Olinga : « Pas encore en état de déployer tout son potentiel »

Yanick Yemga | Mutations Lundi le 18 Janvier 2016 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Expert en droit constitutionnel et en droit public, il analyse la mise en œuvre de la loi fondamentale du 18 janvier 1996.

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Vous êtes l’auteur d’un ouvrage de référence sur « la Constitution de la République du Cameroun ». Quel  regard le chercheur et l’universitaire que vous êtes, jette t-il sur la mise en œuvre de cette loi fondamentale qui souffle sur ses 20 ans ce jour ?
Le texte promulgué le 18 janvier 1996 n’a pas institué un paradis constitutionnel au Cameroun, mais il était porteur de grandes espérances démocratiques. Dans l’ensemble, on peut dire qu’il comportait, dans son contenu originel, quatre grandes options : une perspective claire en ce qui concerne la gestion de l’alternance à la tête de l’Etat, avec la limitation des mandats du président de la République ; une perspective claire en ce qui concerne le réaménagement fondamental de la structure territoriale de l’Etat, avec les régions, représentées au Parlement dans un Sénat ; une perspective claire sur le terrain de la régulation des institutions, avec la Chambre des comptes, la déclaration des biens et avoirs des hauts responsables de l’Etat, le Conseil constitutionnel ; enfin une perspective claire sur le terrain de la garantie des libertés, avec la constitutionnalisation du préambule, site d’énonciation des droits dans la loi fondamentale. Depuis le 18 janvier 1996, l’on a procédé à la suppression de la clause de limitation des mandats présidentiels, les régions n’ont pas été mises en place, le Sénat l’a été en l’absence des régions, la Chambre des comptes est en place et fonctionne plutôt de manière heureuse, le régime de la déclaration des biens et avoirs attend son effectivité, le Conseil constitutionnel attend d’être pourvu en responsables pour opérer dans le cadre législatif déjà en place. En somme, la mutation constitutionnelle du 18 janvier 1996 n’a pas encore été mise en état de déployer tout son potentiel. Il est vrai, le constituant avait prévenu les uns et les autres, en adoptant l’article 67 de la loi constitutionnelle selon lequel les nouvelles institutions seraient mises en place « progressivement », l’idée d’un délai à prescrire en la matière ayant été rejetée lors du débat constitutionnel. Naturellement, une Constitution n’a pas une vie propre, déconnectée de l’environnement socio politique. La Constitution est mise en œuvre dans le contexte des contraintes politiques et sociales ambiantes. L’analyse doit donc interroger et comprendre les forces socio politiques qui freinent ou poussent vers la mise en œuvre de la réforme de 1996. Visiblement, celles qui freinent semblent l’emporter pour le moment sur celles qui poussent à une évolution moins lente.
 
Qu’est qui peut justifier d’un point de vue technique ou politique, la non mise en place à ce jour des institutions comme le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice, voire les régions ?
Je ne saurais rentrer, n’en ayant pas le talent divinatoire, dans l’esprit de ceux qui ont, en droit, la capacité d’actionner les leviers nécessaires pour que ces institutions deviennent opérationnelles. La Haute Cour de justice, depuis l’indépendance, n’a jamais eu de visage institutionnel concret, alors même que sa compétence est explicite. Il faut dire que le texte légal en la matière devrait déjà être toiletté afin de l’arrimer à la nouvelle donne constitutionnelle. C’est la première étape. Une telle étape a déjà été franchie par le Conseil constitutionnel, dont pratiquement tous les textes fondamentaux existent. Il est seulement attendu que les responsables de la structure soient désignés par qui de droit, puis nommés par le président de la République. Le Conseil constitutionnel est un outil de la soumission de toutes les institutions à la loi fondamentale et le juge des élections nationales. Sa mise en place effective ne peut qu’être un plus dans l’enracinement de la démocratie dans un Cameroun en quête d’émergence. De nombreux Etats africains, y compris en Afrique centrale, expérimentent déjà une justice constitutionnelle exubérante. Nous sommes convaincus qu’une telle évolution institutionnelle, dans un Etat qui se veut un Etat de droit, dans une République que le chef de l’Etat veut « exemplaire », ne peut attendre davantage sans manquer de susciter inutilement des interrogations intriguées.
En ce qui concerne les régions, il s’agit là de l’une des plus grandes attentes vis-à-vis de la révision constitutionnelle de 1996. C’est vrai aussi que c’est une réforme dont il ne faut pas sous estimer l’importance, ce qui peut expliquer que l’on ait besoin ou qu’il soit nécessaire de se donner le temps de la mûrir. Visiblement, il y a en matière de décentralisation une démarche progressive. D’abord finaliser la décentralisation au niveau communal, puis enclencher la décentralisation régionale, ce qui ne manque pas de logique et peut se défendre. Deux données sont venues cependant brouiller quelque peu la perception des choses. La révision constitutionnelle de 2008 qui a constitutionalisé l’hypothèse de l’ancienne loi relative à l’élection des sénateurs, à savoir la mise en place du Sénat avant les régions. Ensuite, le dernier texte portant organisation administrative de l’Etat, lequel a fait disparaître les provinces au profit des régions. L’on a ainsi aujourd’hui, au plan juridique et sur les mêmes cadres territoriaux, deux régions : la région de la Constitution, collectivité territoriale décentralisée gérée par un Conseil régional élu, un exécutif symbolisé par un président de conseil régional élu en son sein, région auprès de la quelle se trouve un représentant de l’Etat nommé par le président de la République ; la région du décret portant organisation administrative de l’Etat, circonscription administrative à la tête de la quelle se trouve un gouverneur nommé par le président de la République. Il y a actuellement une grande confusion entre ces choses. En fait, deux logiques semblent s’affronter : la logique administrative, pour laquelle le Conseil régional risque à terme de n’être que le conseil de l’Etat pour les affaires régionales, la logique de démocratie locale et participative telle que conçue par le constituant en 1996. L’issue de la gestion de cette double approche reste incertaine. En tout état de cause, il faudra trancher, et agir en conséquence…
 
L’un des temps forts de ces 20 ans, fut la révision constitutionnelle d’avril 2008. En l’état actuel des choses, y a t-il des gages d’une “stabilité constitutionnelle” ?
Si la stabilité constitutionnelle est affaire de rythme de retouches de  la loi fondamentale, alors l’on peut dire qu’une seule révision constitutionnelle depuis 1996, ce n’est certainement pas un signe d’instabilité constitutionnelle. Bien au contraire ! Par comparaison, entre 1972 et 1996, la Constitution avait fait l’objet de retouches en 1975, 1979, 1983, 1984, 1988 et 1991… Mais si la stabilité constitutionnelle va au-delà de cet aspect purement quantitatif, pour questionner la pratique institutionnelle, ce qui fait passer de la simple stabilité constitutionnelle à lastabilité institutionnelle, alors il faudrait intégrer d’autres variables d’analyse. La révision constitutionnelle de 1996, avec la séquence importante de 2008, a renforcé l’institution présidentielle, dont on ne fait un compartiment du pouvoir exécutif que par habitude de présentation des choses, mais qui doit être présentée pour ce qu’elle est, à savoir un pouvoir à part, le pouvoir présidentiel, et ce dans le cadre d’un présidentialisme renforcé. Au lendemain de la révision de 2008, nous avons proposé la formule d’hyper présidentialisme. Dans une configuration institutionnelle de ce type, et avec une forte emprise de l’ex parti unique sur le jeu institutionnel malgré le pluralisme partisan indéniable,  la stabilité ne peut être appréciée que si le test de la transition ou de l’alternance au sommet de l’Etat est vécu avec succès et sans couacs. Tant que ce test majeur n’a pas été expérimenté, le discours sur la  « stabilité constitutionnelle » ne convainc et ne rassure que faiblement.
 
Des indiscrétions évoquent la création d’un poste de vice-président. En cas de confirmation, cela ne risque t-il pas d’alourdir ou de complexifier l’architecture institutionnelle ?
L’idée d’un vice-président n’est pas inintéressante a priori. Lors de la fédération, de 1961 à 1972, le Cameroun a connu une telle institution et cette expérience de notre histoire constitutionnelle peut utilement servir. L’institution du vice-président peut faciliter la continuité à la tête de l’Etat. Le président et le vice-président seraient tous élus au suffrage universel et en même temps, ce qui signifie que le Vice-président n’est pas un président suppléant. Il remplacerait, le cas échéant, le Président et achèverait son mandat, en tant que Président. Maintenant, la formule n’est pas impérative. Avec quelques clarifications textuelles et procédurales, le schéma  actuel, confiant au président du Sénat l’intérim à la présidence de la République, est aussi fonctionnel. Chaque formule a ses mérites. Tout est question de cohérence et de clarté des choses dans l’option choisie.
 
Ces deux dernières décennies ont également été marquées au Cameroun par l’avènement en 2014 de la loi anti-terroriste. Votre collègue Maurice Kamto a affirmé qu’il s’agit d’une” loi liberticide” qui de surcroit viole notamment l’esprit du préambule de la Constitution. Quel est votre avis ?
Le terrorisme est, en lui-même, une atteinte grave à plusieurs droits fondamentaux. Il faut donc l’adresser et le combattre. Lutter contre le terrorisme peut impliquer de contraindre, au-delà des marges habituelles, l’exercice de certaines libertés publiques, sans justifier pour autant de les atteindre dans leur substance. L’équilibre en la matière n’est jamais facile à réaliser, comme on le voit avec les discussions sur une question similaire dans le contexte français. Mais le chercher et trouver la meilleure formule combinant efficacité de la lutte et garantie des droits est une sujétion régalienne. D’où la prudence avec laquelle il faut légiférer en la matière. Cette prudence devrait conduire, avec une instance telle que le Conseil constitutionnel, à lui soumettre, dans le cadre de la procédure consultative, ou même dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, des projets de texte ou des textes déjà votés et en attente de promulgation, afin qu’il se prononce sur leur conformité à la Constitution, dont le préambule énonçant les droits et libertés fait partie. Cela n’éteindrait certes pas toute controverse au plan scientifique, mais devrait pouvoir circonscrire les termes du débat politique et citoyen sur des questions aussi importantes que la lutte contre le terrorisme, ainsi que les limites dans lesquelles cette lutte doit être menée.
 
Propos recueillis par Yannick YEMGA

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