Cameroun - Economie. Babissakana : «Le Gouvernement doit se fonder sur l’utilisation adéquate de la notation financière ou Credit Rating»

Investir au Cameroun Mercredi le 28 Décembre 2016 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Tour d’horizon de l’actualité économique sur le territoire camerounais au cours de l’année 2016 avec cet expert financier, qui est par ailleurs fondateur et CEO du cabinet conseils Prescriptor. Cette interview est également à lire dans notre magazine Investir au Cameroun de ce mois.

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Investir au Cameroun : L’un des évènements majeurs ayant marqué l’économie camerounaise en 2016 est l’entrée en vigueur des APE intérimaires avec l’Union européenne (UE). Que pensez-vous de ces Accords et quelles opportunités recèlent-ils pour le Cameroun sur le court, le moyen et le long terme ?

Babissakana : En résumé, l’APE ou l’accord de partenariat économique intérimaire est en réalité un accord de libre-échange entre l’Afrique centrale et l’Union européenne, qui a été signé et ratifié par le Cameroun. C’est un instrument juridique de coopération commerciale à long terme, qui semble porteur aussi bien d’opportunités ou d’impacts positifs que de menaces ou impacts négatifs pour le Cameroun.

La finalité première de ce type d’accord ou d’instrument de politique commerciale devrait être en stratégie économique nationale, d’accroître les exportations nettes (exportations comparées aux importations) du Cameroun en direction de l’Union européenne, afin de soutenir ainsi positivement la croissance économique et l’emploi dans le pays.

Or, les études relatives à l’impact et à la viabilité dudit APE indiquent, au regard des structures productives des deux parties, que les importations du Cameroun en provenance de l’Union européenne devraient connaître une augmentation plus forte et plus rapide que les exportations du Cameroun vers cette zone. Ceci induirait alors une croissance négative des exportations nettes du Cameroun en direction de l’Union européenne, avec toutes les conséquences négatives y relatives. Tous les autres aspects connexes ou annexes de l’accord viennent en opportunités ou en menaces de cette ligne de fond commerciale défavorable, qui peut difficilement être inversée.

L’APE en l’état, signé et ratifié par le Cameroun seul, est destructeur pour l’intégration régionale en Afrique centrale. L’union douanière dans le cadre de la CEMAC est le pôle principal d’exportations nettes positives dans le commerce extérieur du Cameroun. En l’absence d’un accord commercial régional entre l’Afrique centrale et l’Union européenne, le Cameroun devrait remettre sa ratification en cause.

IC : Au cours de la conférence économique «Investir au Cameroun, terre d’attractivités», organisée en mai 2016 à Yaoundé, l’opérateur économique camerounais Paul Kammogne Fokam a plaidé pour la signature des APE avec le Nigéria plutôt qu’avec l’UE. Qu’est-ce qui peut motiver pareille posture selon-vous ?

B : En stratégie économique nationale, un accord de libre-échange entre le Cameroun et le Nigéria aurait des résultats économiques différents et surtout inverses à ceux de l’APE avec l’Union européenne. Le principe, en stratégie économique, est de spécialiser les instruments par rapport à leurs avantages comparatifs. Un instrument de politique commerciale doit prioritairement être utilisé pour atteindre un objectif commercial.

De ce point de vue, un accord de libre-échange ayant pour objectif d’accroître les exportations nettes (exportations comparées aux importations) en direction du Nigéria est susceptible d’être un succès ou une réussite. En effet, au regard des structures productives des deux pays, les exportations nettes du Cameroun pourraient vraisemblablement croître, soutenant ainsi la croissance économique et l’emploi. D’où la posture de recommandation alternative prise par Paul Kammogne Fokam.

IC : En 2016, le FMI a continué de fustiger la politique d’endettement du Cameroun, alors que selon le Comité national de la dette publique, la dette du pays à fin juillet dernier représentait 27,3% du PIB, pour une norme de 70% admise dans la zone Cemac. A cet égard, le Cameroun est-il vraiment exposé au risque de surendettement comme le soutient par ailleurs la Banque mondiale?

B : Du point de vue financier, le risque de surendettement du Cameroun reste très faible. Telles que formulées et présentées, je considère les recommandations du FMI et de la Banque mondiale non créatrices de valeur ajoutée pour le Gouvernement. Ma conviction est que le FMI, en particulier, peut difficilement apporter des solutions viables pour la transformation économique du Cameroun comme de plusieurs autres pays du continent. Une pondération assez faible devrait ainsi être affectée aux recommandations du FMI sur un endettement visant les investissements de transformation des structures économiques dans les pays africains.

Le gouvernement camerounais a la responsabilité de doter le pays des infrastructures appropriées pour le développement industriel accéléré. Pour construire ces infrastructures, le recours à l’endettement n’est pas une mauvaise chose. Dans une optique d’ingénierie financière optimale, l’effet de levier de l’endettement est un moyen sûr d’accroître la rentabilité des fonds propres investis par l’Etat. Par contre, la question qui doit nous préoccuper est celle de la qualité du management des projets d’investissement public. Le bon management des projets d’investissement est conditionné par l’usage des technologies modernes de management de projet.

C’est au niveau des capacités étatiques et privées nécessaires pour la maîtrise de ces technologies, que se trouvent les véritables enjeux et défis sous-jacents. Un bon management de projet permettrait de raccourcir les délais ou les cycles d’investissement, de maîtriser les contenus, les fonctionnalités et la qualité des ouvrages, de réduire substantiellement les coûts de construction et d’optimiser la rentabilité et l’impact des phases d’exploitation des ouvrages.

IC : Dans sa note de conjoncture sur l’endettement public à fin mars 2016, la CAA révèle que plus de 70% de la dette publique extérieure du Cameroun est soumise à un taux d’intérêt compris entre 2 et 3%. Et que sur la période mars 2015-mars 2016, par exemple, le Cameroun a payé des intérêts pour 81 milliards de FCfa sur sa dette. Qu’est-ce qui, selon-vous, explique le recours ces dernières années à l’endettement non concessionnel plutôt que concessionnel ?

B : Les besoins de financement de l’Etat étant de plus en plus important, le Gouvernement ne peut logiquement pas se contenter uniquement des emprunts ou financements concessionnels, qui, de toutes les façons, sont assez limités en termes d’offre disponible. Il se doit d’explorer les financements non concessionnels ou commerciaux sur le marché plus ouvert des capitaux à la fois local et international. Cette évolution de la position financière du Cameroun a d’ailleurs été reconnue par les bailleurs de fonds multilatéraux, à travers le relèvement et l’éligibilité du Cameroun aux guichets commerciaux de la Banque mondiale et de la BAD notamment.

IC : De votre point de vue, un tel choix stratégique est-il plus avantageux pour un pays comme le Cameroun?

B : C’est l’unique choix stratégique viable à long terme. Le financement international des pays modernes, en général, et des pays en développement, en particulier, est et doit être centré sur l’accès aux marchés des capitaux privés. Statistiquement, plus de 95% du financement international des pays en développement provient du marché des capitaux privés, contre moins de 5% seulement du marché des capitaux publics (financements bilatéraux et multilatéraux, concessionnels et non concessionnels).

L’entrée progressive et le succès durable et pérenne de l’Etat du Cameroun dans la phase d’accès aux marchés des capitaux privés pour l’accélération du développement économique et social du pays, passent par la formulation et l’adoption d’un modèle de croissance basé sur l’industrie, la science et la technologie. Ceci suppose de s’écarter de l’approche stratégique du FMI et de la Banque mondiale, qui consacre les stratégies de réduction de la pauvreté, exclusives de toute forme de politique industrielle digne de ce nom.

Pour bâtir progressivement une réputation financière crédible et attractive du Trésor camerounais garantissant l’accès durable et pérenne aux marchés des capitaux locaux et internationaux, le Gouvernement doit se fonder sur l’utilisation adéquate de la notation financière ou Credit Rating. La meilleure signalisation de la qualité de la signature de l’Etat du Cameroun et de ses politiques publiques doit être exprimée en permanence à travers la notation financière.

Le Gouvernement a déjà pris la bonne option depuis 2003 en se faisant noter par Standard & Poor’s, Fitch Ratings, et très récemment par Moody's Investors Service. Il nous semble maintenant indispensable de passer à l’internalisation de la notation financière dans les processus de gestion financière de l’Etat et des politiques de financement de l’économie.

IC : La loi de 2013 portant incitations à l’investissement privé au Cameroun a déjà accouché de plus de 70 conventions entre l’Etat et des entreprises, pour un volume d’investissements annoncé à près de 1000 milliards de FCfa. Quelle appréciation faites-vous de cette loi qu’a semblé critiquer Christine Lagarde, la DG du FMI, lors de son passage au Cameroun en janvier 2016 ?

B : Cette loi, qui ouvre l’accessibilité aux incitations similaires à un large éventail de secteurs d’activités pose un problème crucial en termes de politique industrielle. C’est apparemment une bonne chose de signer de multiples conventions d’attribution des incitations avec des perspectives de performance attractives. Mais, l’évaluation des réalisations effectives et surtout la prise de mesures conséquentes lorsque les performances projetées ne sont pas effectives ne semblent pas garanties. D’où le champ ouvert aux manipulations et au gaspillage possible des ressources publiques accordées aux opérateurs privés.

IC : Parmi les bénéficiaires de cette loi jusqu’ici, l’on retrouve non seulement de modestes entreprises, mais aussi des multinationales réalisant déjà des bénéfices importants, et qui n’ont forcément pas besoin de ce type d’appui étatique pour réinvestir. N’est-il pas nécessaire d’améliorer le ciblage des bénéficiaires pour plus d’efficacité et d’efficience ?

B : Le système d’incitations spécifiques défini dans la loi 2002-004 du 19 avril 2002 portant charte des investissements en République du Cameroun, est fondé sur une différenciation sectorielle comme fondement de base pour le ciblage stratégique et instrumental nécessaires pour une politique industrielle crédible. La loi sur les incitations ne respecte pas cette option importante. L’opportunisme des agents économiques est déployé depuis la mise en application de cette loi, pour obtenir des incitations et des avantages, y compris pour les secteurs ou les entreprises pour lesquels les interventions de l’Etat ne sont pas réellement nécessaires.

IC : Le déficit énergétique a toujours été présenté comme l’un des principaux freins au développement des entreprises au Cameroun. Mais, en 2016 le très stratégique barrage de Lom Pangar a été mis en eau, celui de Memvé’élé débitera 200 MW à partir de juin 2017, année au cours de laquelle devront également débuter les travaux de construction du barrage de Natchigal, d’une capacité de 400 MW. Peut-on dire que le Cameroun sort la tête de l’obscurité ?

B : Le déficit énergétique est important et croit année après année. Avec les projets d’aménagements hydroélectriques que vous citez, le Cameroun évolue vers une bonne trajectoire pour réduire le déficit, mais pas encore pour le faire disparaître. La priorité du gouvernement doit être d’investir massivement dans l’accroissement des capacités de production d’énergie électrique. En cohérence avec l’option d’accélération de l’industrialisation, le Cameroun a irrémédiablement besoin d’une capacité minimale de 4 000 à 5000 MW à l’horizon 2020.

IC : Au cours de la conférence de presse annonçant la tenue de Festicacao 2015 à Yaoundé, le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, a déclaré que «le cacao est la valeur sûre de l’économie camerounaise». A l’aune de la conjoncture internationale autour du prix du baril du brut, principal produit d’exportation du Cameroun, êtes-vous du même avis ?

B : L’avantage économique comparatif du cacao camerounais a été impulsé par les colonisateurs, qui ont introduit par contrainte la culture de ce produit. La production du cacao depuis lors est une composante non négligeable de la valeur ajoutée créée chaque année par l’économie camerounaise. Mais, en l’absence d’une industrialisation substantielle de la filière, la principale valeur du cacao camerounais est contrôlée et partagée par les industriels étrangers.

IC : Depuis cette année, le Cameroun implémente un plan national de relance des filières cacao-café, avec pour objectif d’atteindre une production cacaoyère de 600 000 tonnes en 2020. Avec une production moyenne de 210 000 tonnes depuis 5 ans, cette ambition est-elle toujours réaliste à pratiquement 3 ans de l’échéance ?

B : En termes de stratégie économique globale, je me demande quel est la pertinence de fixer un objectif d’accroissement de la production cacaoyère de 600 000 tonnes en 2020, si la composante industrialisation n’est pas formellement articulée. Qu’est ce qui est fait actuellement des 210 000 tonnes de cacao produits ? Je trouve cette option stratégique dénuée de toute dimension de transformation économique. L’exigence de modification qualitative des structures productives de l’économie camerounaise requiert de mettre l’impératif d’industrialisation du pays au premier rang et de subordonner les autres options stratégiques.

IC : Parlant de l’objectif d'augmentation de la production cacaoyère à l'horizon 2020, le plan gouvernemental prévoit de transformer localement la moitié des 600 000 tonnes projetées. Cela permet-il de mettre un bémol à votre appréciation de ce plan de relance?

B : Cet objectif de transformation est d’autant irréaliste que le niveau de performance actuel en la matière reste très faible. C’est par défaut que cet objectif de transformation semble avoir été mis en exergue. L’on constate que ce n’est pas la stratégie industrielle qui a déterminé le design de la stratégie de relance de la production du cacao. D’ailleurs, le Plan directeur d’Industrialisation du Cameroun est encore en cours d’élaboration et d’adoption.

IC : Selon vous, sur quels leviers faut-il agir pour réussir ce pari, même avec quelques années de retard sur les délais initiaux ?

B : Ce que vous appelez pari ne semble pas en être un. Dans une économie, il n’est pas indispensable de chercher seulement et absolument à augmenter la production d’un produit agricole primaire. La question centrale doit être celle du contrôle de la valeur du produit, en ayant un positionnement crédible dans sa chaîne de valeur complète. La question reste posée pour la filière cacao. Que contrôle le Cameroun dans la chaîne de valeur de la filière cacao ? Quel contrôle envisagé en 2020 ? C’est de la réponse à ces questions que dépend une réelle stratégie économique de la filière cacao.

IC : Depuis le lancement des grands projets au Cameroun en 2012, l’on assiste à une sorte de printemps chinois. Quel regard portez-vous sur la nouvelle dynamique de la coopération entre le Cameroun et l’Empire du Milieu, qui est devenu le premier bailleur de fonds de notre pays ?

B : Dans un cadre de coopération bilatérale, la Chine est le premier fournisseur du Cameroun, avec en l’occurrence 18% des importations en 2014 et le deuxième client après l’Espagne avec 15% des exportations au cours de la même année. La Chine étant au plan international une puissance financière de premier plan, utilisant les méthodes de financement à conditionnalités plus souples et moins interventionnistes, ses guichets financiers représentent une opportunité importante pour le Cameroun.

La question principale réside dans les capacités du Gouvernement à négocier les aspects liés à l’acquisition technologique dans le cadre des projets. Cette capacité de négociation est aussi et surtout liée à celle de la qualité du management des projets d’investissement public. Un management des projets de bonne qualité permettrait de mieux structurer les financements bilatéraux, de maîtriser les contenus, les fonctionnalités des ouvrages, de réduire les délais de construction et d’optimiser la rentabilité et l’impact d’exploitation des ouvrages. Notre recommandation est d’approfondir la coopération avec la Chine, par le recours à divers instruments juridiques ayant trait au commerce, à l’investissement, à la technologie et au financement.

Interview réalisée par Brice R. Mbodiam pour le magazine Investir au Cameroun.

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