Accident Train Camrail. Camrail : pour les avocats des victimes, « le verrou qui bloquait l’action judiciaire contre Bolloré a sauté »

Josiane Kouagheu | LeMonde Mercredi le 24 Mai 2017 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La commission d’enquête créée par le président Biya met en cause le transporteur ferroviaire. La filiale du groupe français en appelle à une expertise internationale.

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L’attente a été longue. Plus de six mois après le déraillement, près de la gare d’Eseka, du train 152 de la Cameroon Railways (Camrail) qui a officiellement fait 79 morts et plus de 600 blessés, la commission d’enquête créée par Paul Biya, président de la République, et chapeautée par le premier ministre a finalement livré son rapport. « Au terme de ses investigations, la commission d’enquête a établi la responsabilité, à titre principal, du transporteur, la société Camrail, dans le déraillement du train Intercity n° 152 », précise le communiqué signé de Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, lu sur les antennes de la radio nationale, mardi 23 mai.



D’après le rapport d’enquête, « la cause principale » du renversement des voitures est la « vitesse excessive » car le train roulait à 96 km/h sur une portion de voie qui présente une forte déclivité et où la vitesse est limitée à 40 km/h. Avant de quitter la gare de Yaoundé, capitale du Cameroun, le 21 octobre 2016, le convoi présentait de nombreuses « anomalies et défaillances » : surcharge et rallonge inappropriées de la rame, utilisation des voitures présentant des organes de freinage défaillants et non-prise en considération des réserves émises par le conducteur auprès de sa hiérarchie. Ce rapport de la présidence rejoint celui d’experts qui mettait déjà en exergue, en janvier, « la défaillance du système de freinage ».


Rien sans l’approbation de Paris

Pour de nombreux avocats constitués au sein des collectifs de défense des victimes du drame d’Eseka, la publication « officielle » des conclusions du rapport commandé par le chef de l’Etat accélérera les procédures judiciaires engagées en France et au Cameroun. Le 2 novembre 2016, Me Guy Olivier Moteng et ses collègues avaient déposé une plainte contre Camrail au tribunal de grande instance d’Eseka. Le procès n’a pas été ouvert jusqu’ici. « Je ne sais pas si le parquet attendait les conclusions de l’enquête gouvernementale. Si c’est le cas, il y a de fortes chances pour que le procès soit ouvert dans les jours à venir », veut-il croire.

Le 17 mai, un premier procès contre Camrail s’est ouvert au tribunal de première instance de Douala. Didier Vendenbon, directeur général de Camrail, Cyrille et Vincent Bolloré, de la société Bolloré Transport Logistics, actionnaire majoritaire de la société ferroviaire, ont été assignés devant le juge des référés par les familles de deux passagers disparus. Ces plaignants réclament les corps de leur épouse et fils, et à défaut les certificats de décès.



En une semaine, l’affaire a subi trois renvois. « Le verrou qui bloquait l’action judiciaire contre Bolloré a sauté. Les choses vont maintenant se faire selon les règles de l’art, assure Me Michel Voukeng, l’un des avocats des deux plaignants. Le rapport permet de s’attaquer aux hommes de seconde main qui exécutaient le travail sur le terrain mais aussi aux ordonnateurs qui sont basés à Paris. Au Cameroun, aucun directeur ne peut acheter un système de freinage ou changer des locomotives sans que Paris n’approuve. »

Selon cet avocat, le ministère public et les parties civiles disposent désormais de « preuves » pour poursuivre « au Cameroun et ailleurs ». Le groupe Bolloré, par exemple, l’actionnaire majoritaire qui fournit « l’assistance technique et financière » à Camrail. « L’absence de rapport faisait croire qu’il y avait une présomption de non-responsabilité. Le rapport indique bien que c’est Camrail la responsable. Nous allons l’introduire aux pièces de notre procédure », indique Me Michel Voukeng, qui déplore que le rapport gouvernemental « oublie » de mentionner les passagers portés disparus.


« J’attends toujours »

Pour les victimes et leurs ayants droit, Paul Biya a promis de débloquer 1 milliard de francs CFA (1,5 million d’euros) pour une « assistance complémentaire ». Le président de la République a par ailleurs exhorté Camrail à accélérer le processus d’indemnisation. Un processus contesté par les collectifs des avocats des victimes. « Nous contestons formellement le système d’indemnisation mis en place par Camrail. C’est un système forfaitaire. Nous contestons cette façon de brader les intérêts des gens », s’insurge Me Michel Voukeng. « Depuis des mois, nous sommes en pourparlers avec Camrail pour qu’elle puisse indemniser les victimes dignement. Nous sommes tous d’accord qu’une vie humaine n’a pas de prix », assure de son côté Me Guy Olivier Moteng.

Le Monde Afrique a fait plusieurs tentatives pour obtenir une réaction de la direction de Camrail. Le service de presse de la filiale de Bolloré a fini par envoyer par courriel une « note d’information » à en-tête de la société, mais non signée. Cette note indique « contester certains points importants (…) des rapports des experts de la commission ». Et précise : « Les experts de Camrail avancent l’hypothèse d’une défaillance ou d’un défaut de conception de ce matériel comme cause de cet accident et demande qu’une expertise internationale soit diligentée. » Le communiqué ajoute que « Camrail et ses assureurs sont mobilisés depuis la première heure et confirment leur détermination à finaliser l’ensemble des indemnisations corporelles et matérielles » des victimes.

Depuis l’accident d’Eseka, Thérèse Bakoubek n’a pas retrouvé « la santé et le sommeil ». La colonne vertébrale de cette mère de trois enfants vivant à Yaoundé, a subi un grand choc durant l’accident. Depuis, elle multiplie les voyages entre Douala et Yaoundé pour se rendre chez son kinésithérapeute et rencontrer les responsables de Camrail. « Ils me disent qu’ils vont m’indemniser de 4 millions de francs CFA, soupire la jeune femme. J’attends toujours. »

Par Josiane Kouagheu (contributrice Le Monde Afrique, Douala)

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