USA. Le meurtre qui réveille les démons de l'Amérique

Le Monde Jeudi le 29 Mars 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Avec ses blocs de maisons proprettes crépies d'ocre disposés autour d'un étang, ses pelouses au cordeau, ses pépiements d'oiseaux et sa piscine, le lotissement clos Retreat at Twin Lakes évoque plus une publicité de promoteur immobilier que l'épicentre d'un fait divers propre à enflammer l'Amérique. Suite à la crise immobilière, les 263 habitations ont perdu la moitié de leur valeur et les mises en location se sont multipliées, drainant une population multicolore, au grand dam des premiers résidents. Mais un meurtre raciste, ici ?

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C'est pourtant là, dans cette allée piétonne ponctuée de barbecues à roulettes, que s'est écroulé Trayvon Martin dans la soirée du 26 février. Ce lycéen de 17 ans a été touché en pleine poitrine par une balle de 9 mm tirée par George Zimmerman, 28 ans, "capitaine" autoproclamé du programme de surveillance du voisinage. Le garçon regagnait le domicile de son père, situé dans le lotissement, après avoir acheté un sachet de bonbons Skittles et une cannette de thé glacé Arizona. Il pleuvait et il avait relevé la capuche de son sweat-shirt.

BOUQUET DE DAHLIAS

Son meurtrier, obsédé par de récents cambriolages, patrouillait en voiture. Il a appelé le numéro d'urgence, le 911, pour signaler un comportement "suspect" : "Il a la main à la ceinture." La victime était noire et sans arme, le tireur est le fils d'un Américain blanc et d'une Péruvienne. Il n'a pas été poursuivi et vit aujourd'hui dans un lieu tenu secret.

Après le meurtre, qu'il ne nie pas, la police de Sanford l'a laissé en liberté, arguant de la loi "Stand our ground" de Floride, qui protège "le droit [des personnes] à demeurer" à l'endroit où elles se trouvent en cas d'agression et à "opposer la force à la force, y compris mortelle".

"Trayvon Martin est mort et George Zimmerman est libre", résume Cheryl Bryant, une mère de famille venue déposer un bouquet de dahlias écarlates sur le petit mémorial situé à l'extérieur du lotissement. "Ma sœur est mariée à un Noir et j'ai peur pour mes neveux. Je protesterai jusqu'à ce que la police arrête le meurtrier." Elle porte épinglé à son chemisier un emballage de Skittles, signe de reconnaissance des protestataires.

ENREGISTREMENTS TÉLÉPHONIQUES

Au pied d'un panneau routier, à l'extérieur du lotissement fermé par des grilles automatiques, s'entassent bougies, fleurs, peluches, ballons aux couleurs nationales et photos souriantes de Trayvon Martin. "Mon frère s'habille comme Trayvon, s'inquiète Tiffany, une étudiante en droit noire. Depuis l'élection d'Obama, je m'étais prise à rêver que nous ne verrions plus ça."

Il a fallu trois semaines de pression sur la police locale pour que les enregistrements des conversations téléphoniques entre George Zimmerman et le 911, ce soir-là, soit rendus publics et que l'affaire prenne une dimension nationale. Ils attestent que le policier de permanence a demandé au patrouilleur de ne pas suivre le jeune homme : "Vous le suivez ? OK, Vous n'avez pas besoin de faire ça." Ils font entendre aussi un appel au secours s'achevant par un coup de feu. Les parents de la victime assurent reconnaître sa voix; George Zimmerman, lui, a affirmé aux policiers que le garçon lui avait donné un coup de poing sur le nez et cogné la tête sur le trottoir.

FIASCO POLICIER

Mais les policiers n'ont pas appelé de médecin et n'ont procédé à aucun examen toxicologique. Ils ont omis d'interroger le témoin- clé qu'est la petite amie de Trayvon Martin, avec laquelle il conversait sur son portable pendant le drame. Ils ont juste gardé l'arme, un pistolet dont le port, en Floride, nécessite une simple déclaration au ministère de... l'agriculture. "Comme pour une autorisation de cultiver des tomates", a relevé, mardi, le responsable d'une association opposée aux armes.

Pareil fiasco policier ranime le souvenir d'enquêtes biaisées pour des motifs raciaux. Les récentes fuites faisant état de traces de marijuana retrouvées dans le sac à dos de Trayvon Martin dans son lycée de Miami énervent encore plus ses défenseurs. "Cela n'a aucun rapport avec ce qui s'est passé le 26 février. Il n'a commis aucun acte de violence", proclame son avocat, Benjamin Crump.

"GRAND JURY" LE 10 AVRIL

Dans tout le pays, des manifestants portant des sweats à capuche réclament "justice pour Trayvon Martin". Le New Black Panther Party promet 10 000 dollars de récompense pour la capture de George Zimmerman. Un couple de retraités, dont l'adresse avait été présentée comme celle du meurtrier, a dû déménager après avoir reçu des menaces de mort. Al Sharpton, un prêtre baptiste, militant connu des droits civiques, a mis en garde: "Sanford risque de se transformer en Selma [ville d'Alabama emblématique des luttes pour les droits civiques des années 1960]."

Pour calmer la tension, l'administrateur de la ville, Norton Bonaparte, a nommé un Noir chef de la police. La police fédérale s'est saisie de l'affaire et un "grand jury" statuera le 10 avril sur le sort du meurtrier.
"George n'a fait que son travail et s'il était noir, personne n'en parlerait, lance Franck Taaffe, un voisin et compagnon de patrouille. Cet hiver, il avait empêché un cambrioleur, un Noir, de pénétrer chez moi." Carlee, une institutrice, elle aussi résidente du lotissement, hausse les épaules : "Ces gens-là ne nous protègent pas. Ils se prennent pour des policiers." Si le meurtrier reste en liberté, prédit-elle, "ce sera violent".

Philippe Bernard (Sanford, Floride, envoyé spécial)

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