International. Migrations :La Valette : un sommet d’hypocrisie

Émilien Urbach | L’Humanité Jeudi le 12 Novembre 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La réunion entre les dirigeants de l’Union européenne et plusieurs dizaines d’États africains s’est ouverte hier à Malte.

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L’Union européenne (UE) s’apprête à passer un nouveau cap dans sa politique d’externalisation de la gestion des migrations. À partir de demain [hier, ndlr], les États membres et les représentants des pays d’où partent ou transitent les exilés africains en quête d’un refuge en Europe se réuniront à La Valette, capitale maltaise. « Le sommet s’appuiera sur les processus de coopération existants entre l’Europe et l’Afrique, en particulier les processus de Rabat et de Khartoum relatifs à la migration et le dialogue Afrique-UE sur la migration et la mobilité », indique les documents préparatoires à la rencontre.



Les accords de Rabat, signés en 2006, et ceux de Khartoum, en 2014, ont été élaborés dans le cadre de l’AGMM (approche globale des questions de la migration et de la mobilité) créée en 2005 et mise à jour en 2012. Ces processus visent à délocaliser, sur le continent africain, les politiques sécuritaires de l’UE en matière de migration. Une logique dont les chiffres prouvent l’inefficacité : 25 000 de nos semblables sont morts depuis l’an 2000 en essayant de traverser la Méditerranée. Plus de 2 000 depuis le 1er janvier 2015, année record qui a vu 600 000 personnes atteindre les côtes italiennes et grecques. Malheureusement, ce sommet de La Valette va s’inscrire dans la lignée des précédents.

Au final, ces processus sont bâtis pour asseoir la domination occidentale sur l’Afrique et participent à légitimer des régimes africains dictatoriaux que fuient, justement, ceux qui choisissent l’exil. Décryptage.

1.-Une coopération économique peu regardante

À Malte, l’Union européenne déclare vouloir « s’attaquer aux causes profondes de la migration en œuvrant à la paix, à la stabilité et au développement économique ». Or l’aide publique au développement des plus grands pays donateurs, fléchée par l’ONU, a encore diminué pour la quatrième année consécutive. Elle représente, pour la France, 0,36 % de son revenu national brut, alors que l’objectif de l’ONU était fixé à 0,70 %. C’est avec ce même argument du « développement » que l’Europe forteresse a par exemple décidé, en septembre dernier, de verser 200 millions d’euros supplémentaires à Issayas, le dictateur qui règne sur l’Érythrée (lire page 5). Neven Mimica, commissaire européen à la Coopération internationale, y voyait un moyen de s’attaquer « aux racines profondes de la migration en Érythrée ». Entre-temps, un groupe d’experts de l’ONU a rendu un rapport accablant décrivant les collusions du gouvernement d’Asmara avec les trafics en tout genre et sa collaboration avec les djihadistes somaliens. Les enquêteurs se disent surtout « préoccupés par le manque général de transparence des finances publiques de l’Érythrée, en particulier à l’heure où un certain nombre d’organisations internationales se sont engagées à aider le pays ». Peu importe pour l’UE que le peuple Érythréen fuie, en réalité, un régime qui entretient les conflits interconfessionnels et contraint sa jeunesse à un service militaire à vie. L’aide au développement en Érythrée devrait ouvrir d’importants marchés aux industries européennes de l’énergie…

2- La migration légale réservée aux plus qualifiés

Les pays membres de l’Union déclarent que le sommet de La Valette sera aussi le lieu pour « améliorer le travail sur la promotion et l’organisation de filières de migration légales ». Mais les bureaucrates européens n’entendent pas parler du développement des infrastructures consulaires pour faciliter l’obtention de visas pour les personnes vulnérables. Ils discuteront plutôt de « la carte bleue européenne ». Calqué sur la Carte verte états-unienne, ce dispositif « vise à faciliter l’entrée, le séjour et le travail en France des travailleurs hautement qualifiés ». Et pour cause : le migrant pouvant en bénéficier devra justifier d’un contrat, dans le pays d’accueil, prévoyant une rémunération mensuelle une fois et demi supérieure au salaire brut moyen de référence. En 2014-2015, elle atteignait les 52 750 euros… 4 400 euros par mois !

3-Développer le bras armé 
de l’UE en Afrique

La réunion maltaise doit également permettre de « s’attaquer plus efficacement à l’exploitation et au trafic des migrants ». Pas sûr, là non plus, que le sort des réfugiés africains soit la principale préoccupation des dirigeants européens. Il s’agit surtout de développer le bras armé de l’Union et son industrie sur le continent noir. Plus de dix missions militaires sont en cours en Afrique, dont Eucap Sahel et Eunavfor Med. Elles font partie de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Or le Conseil européen, réuni en décembre 2013 à son sujet, s’est fixé comme objectif de « renforcer l’industrie de défense et d’améliorer (…) la visibilité » de la PSDC. Créée en 2002 pour prévenir les conflits et lutter contre le terrorisme, elle s’est, depuis, vu ajouter la mission de combattre l’immigration irrégulière.

4-Accroître les retours pour dissuader les candidats

Autre objectif à l’ordre du jour de La Valette : « Coopérer plus étroitement en ce qui concerne les retours et les réadmissions. » Sur ce sujet, le ton a été donné lors de la réunion du Conseil de l’Europe du 8 octobre dernier, prônant la politique du chiffre (« Il convient que l’accroissement des taux de retour ait un effet dissuasif »), l’usage de l’enfermement systématique (« Les États membres devraient renforcer leur capacité de rétention (…) et prendre des mesures pour éviter tout usage abusif des droits ») et la mise en place de mesures d’éloignement en dehors du cadre démocratique (« Frontex doit (…) être habilitée à organiser des opérations de retour conjointes de sa propre initiative »). Lors de cette même réunion du Conseil, les ministres de l’Intérieur européens avaient été très clairs sur la façon dont ils comptaient mener les discussions avec les pays africains : « Pour améliorer la coopération des pays tiers (…), il y a lieu de recourir à un subtil dosage entre mesures d’incitation et pressions. » Point de ce langage dans la com’ officielle annonçant la rencontre de Malte. Les communiqués de presse évoquent une rencontre « dans un esprit de partenariat » visant à trouver « des solutions communes à des problèmes communs ». Bref, à La Valette, c’est surtout l’hypocrisie qui atteindra des sommets.


 

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