Cameroun - Politique. Présidentielle 2018 au Cameroun : « Même si l’opposition présentait Barack Obama, elle perdrait ! »

Mathieu Olivier | Jeune Afrique Mardi le 07 Mars 2017 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Rarement le principal parti d’opposition avait à ce point paru empêtré dans ses querelles internes. En toile de fond : la succession de l’inamovible chairman, John Fru Ndi. Le Social Democratic Front trouvera-t-il un second souffle avant les élections de l’année prochaine ?

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C’était il y a moins d’un an, le 26 mai 2016. Le Social Democratic Front (SDF) fêtait ses 26 ans à Bamenda, son fief du Nord-Ouest, et son président, l’emblématique John Fru Ndi, annonçait pour le mois de février 2017 le prochain congrès du parti. Avec une ambition de taille : contrarier les plans du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qui espère bien conserver son hégémonie sur la scène politique nationale à l’issue des élections municipales, sénatoriales, législatives et présidentielle prévues en 2018.

     Le problème du SDF, ce sont ces jeunes qui ne savent pas dire non haut et fort.

Las, les semaines et les mois se succédant, le secret de polichinelle devint vite une information officielle : le congrès tant attendu ne se tiendrait pas en février mais en avril dans le meilleur des cas, et rien ne dit que la direction du Front n’annoncera pas un nouveau report. Mais que se passe-t-il au SDF ? La crise anglophone, la catastrophe ferroviaire d’Eseka ou le retour aux plans d’ajustement structurel prôné par le FMI ont fragilisé le président Biya… Pourtant, son principal adversaire ne chercherait pas à en profiter ?

Une quatrième campagne ?

Première des interrogations : celle qui touche à la personne du général en chef. John Fru Ndi n’a pas officiellement affiché ses intentions quant à l’élection de l’an prochain. Alors que Paul Biya semble bien sur la voie de se représenter, le chairman envisage-t-il de rejouer l’affrontement des trois dernières présidentielles, qu’il a perdues depuis l’élection ô combien contestée de 1992 ? Une part de son entourage l’y pousse, et, selon des cadres du parti, sa santé ne l’en empêcherait pas. Pourtant, le scénario n’est pas encore acté, et, face aux partisans du statu quo, certains ont choisi la fronde.

Peu nombreux, ils se gardent bien de le clamer haut et fort. Au Cameroun, il n’y a pas qu’au sein du RDPC qu’il ne fait pas bon afficher ses ambitions. Reconnaissants envers John Fru Ndi pour ses années de lutte, c’est avant tout à son entourage que les frondeurs souhaitent s’opposer. « Certains ne cherchent même plus à accéder au pouvoir. Ils veulent juste conserver la seconde place et les postes qui vont avec », confie l’un de ces frondeurs.

Dans leur ligne de mire, plusieurs cadres du SDF à l’exceptionnelle longévité : Joseph Mbah Ndam, vice-président de l’Assemblée nationale depuis 1997 ; Joseph Banadzem, président du groupe parlementaire SDF à l’Assemblée depuis 1997 ; Jean Tsomelou, son homologue au Sénat et nouveau secrétaire général du parti, élu député en 1997 puis sénateur en 2013 ; Awudu Mbaya Cyprian, questeur à l’Assemblée depuis 1997…

Profil bas

Mais la fronde nécessite un peu de discrétion. Courant 2016, le premier vice-président du parti, le député Joshua Osih, a esquissé un semblant de révolte alors qu’il était régulièrement cité comme un possible successeur du chairman, voire comme un éventuel candidat à la présidentielle.

Pour ce quadragénaire anglophone, la situation est vite devenue intenable. « Il a tenté sa chance en utilisant les médias pour tester le scénario d’un départ de Fru Ndi, croit savoir un responsable du parti. Mais les cadres du Comité exécutif national [NEC] l’ont très vite remis à sa place, et il est rentré dans le rang. » Chez les socialistes, on lave son linge sale en famille…

« Je ne serai pas celui qui plantera un poignard dans le dos du président Fru Ndi », se borne aujourd’hui à déclarer Joshua Osih. S’il n’a sans doute pas renoncé, il avance désormais masqué. « En réalité, le congrès est un moment délicat à aborder pour l’establishment. Il faut conserver l’apparence d’une culture démocratique mais décourager les ambitieux au profit des hommes liges », analyse un membre du parti.

Recul sur le terrain

« Le problème du SDF, ce sont ces jeunes qui ne savent pas dire non haut et fort », estime Bernard Muna, ancien directeur de campagne de John Fru Ndi. « Il suffit de regarder l’organigramme pour comprendre le problème », renchérit Abel Elimbi Lobe qui, excédé, a démissionné du SDF en novembre. Pour l’ancien secrétaire général à la communication, les postes prestigieux sont historiquement confisqués par les anglophones et, dans une moindre mesure, par les Bamilékés.

« Comment voulez-vous attirer les gens du Littoral ou, plus difficile encore, ceux du Sud et du Centre ? » se désole le conseiller municipal de Douala V. « Le SDF est confisqué par les rentiers », résume quant à lui Célestin Djamen, secrétaire national aux droits de l’homme, qui dénonce une véritable scission avec le terrain et les électeurs camerounais.

    Comment voulez-vous prétendre à un destin national quand vous êtes incapable de proposer des candidats sur tout le territoire ?

Le mal est-il donc si profond ? Certains chiffres sont inquiétants. En cinq ans, la première formation d’opposition du Cameroun a perdu une partie de son implantation territoriale. Alors que le SDF avait présenté 103 personnes aux législatives de 2007, il n’en a soutenu que 64 en 2013. Pis, non seulement ce nombre est déjà bien insuffisant pour espérer contrôler une Assemblée de 180 députés, mais le parti était aussi absent de l’Adamaoua, du Centre, de l’Est, de l’Extrême-Nord et du Sud, soit de cinq des dix grandes régions qui composent le pays ! « Comment voulez-vous prétendre à un destin national quand vous êtes incapable de proposer des candidats sur tout le territoire ? » soupire Abel Elimbi Lobe.

Autre symbole : en 1996, le SDF dirigeait 70 communes sur 360 et comptait 43 députés. À l’heure actuelle, il n’a plus dans son giron que 23 mairies et un contingent de 18 députés, tandis que le RDPC, qui ne se prive pas de s’appuyer sur une administration qu’il contrôle, caracole toujours en tête avec 148 représentants à la chambre basse.

Arrangements

Faut-il y voir le résultat de stratégies ambiguës ? Une chose est sûre : la présidentielle de 2011 a beaucoup coûté au SDF. Après avoir tergiversé, le parti avait appelé au boycott… puis fait machine arrière sous la pression du RDPC. Même chose en 2013 : le SDF a d’abord milité pour organiser les municipales avant les sénatoriales, afin de renouveler les grands électeurs préalablement au deuxième scrutin, a convaincu l’opinion… puis changé d’avis après l’intervention du directeur du cabinet civil de Paul Biya, Martin Belinga Eboutou, auprès de John Fru Ndi.

    Le SDF peut espérer s’appuyer sur sa base dans la région de Bamenda, aujourd’hui en conflit ouvert avec Yaoundé.

Ces retournements ne sont pas du goût de tout le monde. Chez les militants, on leur a trouvé un surnom : « la danse mafia ». « Un pas en avant, trois pas en arrière », résume l’un d’eux. « Les électeurs ont intégré le fait que le SDF pouvait aussi chercher à tirer profit d’arrangements électoraux avec le pouvoir… Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait ensuite une forme de sanction », constate un membre du parti. Si le SDF a toujours nié une quelconque alliance avec le RDPC, notamment lors des sénatoriales de 2013, les soupçons sont tenaces.

Crise anglophone

Le SDF saura-t-il relever la tête ? « La dynamique est pour le moment trop faible pour réaliser un hold-up électoral », déplore Joshua Osih. Et il ne reste que peu de temps pour mobiliser les militants. Certes, le SDF peut espérer s’appuyer sur sa base dans la région de Bamenda, aujourd’hui en conflit ouvert avec Yaoundé. Le comité directeur du parti s’était d’ailleurs réuni fin janvier afin de discuter de cette crise, qui a vu avocats et enseignants se mettre en grève avant que la grogne ne s’étende à une bonne partie de la population.

L’occasion paraît belle. Mais encore faudra-t-il réunir les fonds pour faire campagne au-delà du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Au bas mot, ce sont plusieurs milliards de francs CFA qui sont jugés nécessaires pour espérer contrer la machine du RDPC, accolée à celle de l’État.

Défaite programmée

« L’alternance semble impossible », déplore Célestin Djamen. « Nous avons obtenu beaucoup depuis 2007, notamment la création d’Elecam, mais c’est encore insuffisant », reconnaît Joshua Osih. Il y a pourtant peu de chances pour que l’organe électoral soit réformé, pour que la biométrie soit instaurée ou pour que le Cameroun se convertisse à une élection du chef de l’État à deux tours.

« Tout est contrôlé par le RDPC et la présidence. Dans ces conditions, le débat autour du candidat du SDF est secondaire : même si l’opposition présentait Barack Obama, elle perdrait ! » ajoute le premier vice-président du parti. D’autant que d’autres formations, notamment le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, de Maurice Kamto, n’hésitent pas à contester au SDF sa place de premier parti d’opposition, pariant, à plus ou moins court terme, sur son affaiblissement. Pour les socialistes, il est urgent de réagir. Avant qu’il ne soit trop tard.

Mathieu Olivier - envoyé spécial à Yaoundé

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