Cameroun - Corruption. Responsabilité présumée du FMI présumée dans une escroquerie financière qui a englouti plusieurs dizaines de millions de dollars de fonds publics camerounais

Médiapart Mercredi le 24 Avril 2013 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le Fonds monétaire international (FMI) va-t-il devoir se défendre devant la justice américaine ? Le tribunal du district de Columbia, aux Etats-Unis, va devoir répondre à cette question, après une plainte déposée par un ancien salarié de l’institution pour « harcèlement » après son licenciement.

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L’affaire, peu banale, est potentiellement très gênante pour le FMI, car elle dépasse largement le simple cadre du droit du travail pour pointer sa responsabilité présumée dans une escroquerie financière qui a englouti plusieurs dizaines de millions de dollars de fonds publics camerounais. Le gardien de l’orthodoxie financière pourrait se voir accusé de complicité de corruption.

C’est un ex-conseiller principal de l'administrateur du FMI pour l'Afrique, Eugène Nyambal, qui est à l’origine de la procédure judiciaire en cours. En 2009, ce ressortissant camerounais a été brutalement limogé de son poste, sans explication, avant de se voir aussitôt interdire l’accès aux locaux du FMI ainsi qu’à une banque privée louant une annexe du FMI. Dans sa plainte déposée contre son ex-employeur, Nyambal fait le lien entre son licenciement et les réserves qu’il avait exprimées quelques mois plus tôt au sujet d’un projet soumis au FMI par les autorités du Cameroun.

A l’époque, le gouvernement camerounais, dont le ministre des Finances était un ancien salarié du FMI, demandait à l’institution de Bretton Woods l’autorisation de débloquer des fonds pour l’exploitation d’un gigantesque gisement de cobalt-nickel situé à Nkamouna, dans le sud-est du Cameroun.

Mais pour Nyambal, soutenu aujourd’hui par Government Accountability Project (GAP), une ONG américaine réputée qui protège les fonctionnaires et salariés dénonçant des cas de corruption, de nombreux indices montraient que cette opération financière était risquée, comme le détaille sa plainte.

Premier élément inquiétant : l’opacité régnant dans le secteur des industries extractives au Cameroun, présidé par Paul Biya depuis 1982 et connu comme l’un des Etats les plus corrompus du monde. Le FMI a lui-même pris la mesure de la « mal gouvernance » en 2004 : il avait dû interrompre un programme de prêts conclu avec le Cameroun, une partie des revenus pétroliers du pays n’ayant pas été versée dans les caisses de l’Etat comme prévu.

Le profil de Geovic Cameroun (GeoCam), l’entreprise minière devant exploiter le site de Nkamouna, n’était à l’époque pas plus rassurant : c’est une filiale d’une compagnie américaine, Geovic Mining Corp., créée en 1994 dans le Delaware, qui a pour particularité de n’avoir jamais exploité nulle part le moindre minerai.

Schéma sur l'organisation de Geovic, qui provient d'un document de la UNITED STATES SECURITIES AND EXCHANGE COMMISSION
Geovic Mining Corp. dit elle-même dans ses différents rapports financiers, y compris ceux de 2007 et de 2008, que rien ne garantit qu’elle générera un jour des bénéfices et même qu’elle pourra mettre en production Nkamouna : « Nous sommes une société en phase d'exploration et n'avons pas d'antécédents d'exploitation en tant que société d'exploitation. Toutes les recettes et les bénéfices futurs sont incertains », écrit-elDépenses fictives ?

Dans sa plainte contre le FMI, Nyambal soulève un autre problème : GeoCam a obtenu en 2003, par décret présidentiel, son permis d’exploitation du gisement de Nkamouna en violation de la Convention minière signée avec le Cameroun. Selon cette dernière, l’entreprise avait en effet l’obligation de présenter une étude de faisabilité, ce qu’elle n’a pas fait. L’étude en question n’a été réalisée qu’en 2011.

Autre souci : le flou entourant l’identité des actionnaires camerounais de GeoCam, qui possédaient au début du projet près de 40% des parts de l’entreprise. En 2008, le gouvernement camerounais a, selon GAP, refusé de communiquer au FMI leurs noms. Il est apparu plus tard qu’ils étaient quatre : Jean-Marie Aleokol, secrétaire d’Etat à la Défense de 2004 à 2007 et proche du président Biya. Les autres sont un couple d’inconnus et une nièce d’un ancien Premier ministre, Simon Achidi Achu, président depuis 2003 du conseil d'administration de la Société nationale d’investissements (SNI), une agence d’investissements de l’Etat camerounais.

En 2006, le Cameroun est devenu actionnaire à 39,5% de GeoCam en rachetant, justement via la SNI, les parts de ces quatre privés camerounais : une partie (20%) pour lui et l'autre au portage pour le compte de ces citoyens. Il s’est également engagé à contribuer aux augmentations de capital pour ces derniers. Or, remarque GAP dans un de ses rapports envoyés au FMI, les lois camerounaises n’autorisent pas l’Etat à acheter des actions pour le compte d’individus. Il s’agit donc d’une mesure illégale qui s’apparente à un détournement de fonds publics.

Juste après que le Cameroun est devenu actionnaire de GeoCam, Geovic Mining Corp. lui a réclamé 81 millions de dollars pour des dépenses pré-opérationnelles engagées avant son entrée dans le projet, précise un rapport de la SNI datant de 2007 et fourni au FMI. Devant les protestations de Yaoundé, Geovic a accepté un remboursement de seulement 31 millions de dollars, sans que la différence de 50 millions n'apparaisse dans ses états financiers, ce qui laisse penser qu’au moins une partie des dépenses annoncées par Geovic Mining Corp. étaient fictives, souligne Nyambal. « L'actionnaire minoritaire, l’Etat du Cameroun, s’est retrouvé en train de supporter les frais imputables à l'actionnaire majoritaire », déplore-t-il.

Le même document de la SNI rapporte que GeoCam n’avait en 2006 pas de « plan de financement crédible » et que son projet d’exploitation avait « souffert depuis sa création d’une gestion qui n’intégrait pas toujours les principes d’une programmation rigoureuse ». En 2008, le gouvernement camerounais évoquait de son côté dans une lettre au FMI les « retards déjà accumulés » dans le projet d’exploitation de Nkamouna.

Extrait du document fourni par la SNI au gouvernement

Nyambal et GAP ne sont pas les seuls à avoir noté des dysfonctionnements chez GeoCam : dans des articles diffusés en 2006 et 2007 (par exemple ici) et transmis notamment à la Banque mondiale et au FMI, un chercheur indépendant, Arnaud Labrousse, relevait plusieurs anomalies, en particulier dans le versement des impôts de l’entreprise à l’Etat camerounais, et retraçait le parcours sulfureux de certains de ses responsables et actionnaires américains, dont le fondateur de Geovic Mining Corp., William A. Bukovic.

ONG

Malgré ces données préoccupantes, le FMI a autorisé le gouvernement camerounais à injecter de l’argent dans GeoCam comme le prouve la « lettre d’intention » adressée fin 2008 par le Premier ministre camerounais au directeur du Fonds d’alors, Dominique Strauss-Kahn. Le Cameroun étant à l’époque sous « ajustement structurel », ses finances publiques étaient sous tutelle du FMI : il ne pouvait réaliser une telle opération sans son accord. En tout, le Cameroun a versé 60 millions de dollars à GeoCam, selon un document du FMI. Cette somme a été prélevée sur des fonds issus des surplus pétroliers et normalement destinés à la lutte contre la pauvreté.

Pour quel résultat ? Plus de quatre ans plus tard, l’exploitation du gisement de Nkamouna n’a toujours pas démarré. Depuis fin 2009, « rien n'a bougé sur le terrain », témoigne même un ancien employé de GeoCam, qui évoque des problèmes de corruption et l’enrichissement illicite des responsables de la compagnie. « Les budgets de 11 millions de dollars annuels ont été gaspillés à entretenir sur place des géologues et un peu de personnel d'entretien. A Yaoundé, les somptueuses villas louées par l’entreprise sont restées avec un personnel inutile », dit-il. Un des derniers directeurs généraux de GeoCam s’est même volatilisé fin août 2012 après avoir ponctionné une dernière fois l’entreprise de plusieurs milliers d’euros. Quant aux salaires des employés américains de Geovic Mining Corp., qui enregistrait pourtant des pertes, ils ont été augmentés. L’entreprise a aussi passé au moins un contrat avec une société appartenant à un membre de son Conseil d’administration, selon ses rapports financiers.

Au Cameroun, l’opinion publique ne sait rien de cette affaire crapuleuse. Il faut dire que Geovic Mining Corp. a de nombreux appuis grâce aux liens étroits qu’elle a noués avec plusieurs responsables politiques camerounais, dont des ministres. En 2008, le directeur de GeoCam était Richard Howe, un ressortissant britannique très influent dans le monde des affaires camerounais et proche de plusieurs barons du régime. Geovic Mining Corp. a en outre créé une ONG, GeoAid, dont le partenaire principal est la Fondation Chantal Biya, fondée par l’épouse du président Biya.

Les Camerounais ignorent donc que GeoCam a déjà coûté, selon les estimations de Nyambal, près de 100 millions de dollars à l’Etat et qu’une partie de cet argent a pris la direction des îles Caïmans : après l’entrée du Cameroun dans le capital de GeoCam, en 2006, Geovic Mining Corp. a transféré dans ce paradis fiscal le siège d’une de ses filiales, Geovic Ltd, qui possède comme elle 60% de GeoCam et sert ainsi de société écran.

En réalité, Geovic Mining Corp. n’a jamais eu l’intention d’exploiter le gisement de Nkamouna, affirme, comme d’autres, l’ancien salarié de GeoCam déjà cité. Les fonds publics camerounais lui ont notamment servi à réaliser les études de faisabilité manquantes afin de « paraître plus crédible » et « de faire monter les actions à la bourse de Toronto », au Canada, et à l'US Over-the-Counter Bulletin Board, aux Etats-Unis, où la société est cotée (bien que, selon un rapport du cabinet d’audit Ernst & Young, le dispositif de contrôle interne de Geovic Mining Corp., destiné à assurer l'exactitude et la fiabilité de l'information financière, souffre « d’importantes faiblesses »). Objectif final : revendre à un autre opérateur, en réalisant bien sûr au passage une plus-value. Des négociations sont ainsi actuellement en cours avec des Chinois.

Le FMI n’a pour sa part rien constaté d’anormal dans ce micmac. Interrogé par Mediapart sur les soupçons de malversations entourant GeoCam, un porte-parole de l’institution à Washington explique : « Le FMI prend toutes ces allégations très au sérieux et, sur instruction de la direction du FMI, une équipe du personnel, avec l'appui d'experts extérieurs, a mené une enquête. Cette équipe a (…) conclu que les allégations étaient sans fondement ».

Curiosités

Saisi par Nyambal, le FMI a en effet diligenté deux enquêtes. La première a été menée par un cabinet indépendant. Il n’a décelé aucune irrégularité mais sans avoir malheureusement jamais rencontré Nyambal à qui il a refusé de communiquer son rapport.

La seconde a été conduite en 2010 par une équipe interne au FMI qui est arrivée aux mêmes conclusions. Le résumé de son rapport – son contenu complet est lui aussi resté confidentiel – comporte toutefois plusieurs curiosités. Il affirme par exemple que le FMI a été mis devant le « fait accompli » par le gouvernement camerounais pour l'opération de financement de GeoCam, ce qui contredit la « lettre d’intention » de fin 2008 et aurait dû, si cela avait été vraiment le cas, entraîner des sanctions de la part du Fonds.

« Il est important de souligner que les résultats de l'enquête ne permettent pas de conclure avec une certitude absolue qu’il n’y a pas eu de corruption autour du projet de cobalt-nickel », dit tout de même le document. Mais il poursuit en affirmant que des recherches supplémentaires n’apporteraient sans doute pas d’élément susceptible de modifier ses conclusions générales. Il « recommande » par conséquent de ne prendre aucune mesure pour lancer une enquête complémentaire…

La première page du rapport du FMI© dr



Pour GAP, l’enquête du FMI n’a pas été impartiale. L’équipe qui l’a menée « a été désignée par M. Strauss-Kahn », or celui-ci « avait un conflit d’intérêts dans cette affaire », relève une responsable de l’ONG, Shelley Walden : « En 2009, M. Biya a fait appel aux services de Stéphane Fouks, lobbyiste de premier plan et stratège en communication, afin d'améliorer son image et la réputation de son pays après une plainte pour détournement de fonds publics déposée contre lui par une ONG basée à Paris ». Problème, « M. Fouks pilotait alors aussi la communication de M. Strauss-Kahn en vue de l’élection présidentielle de 2012 en France. » (Lire la lettre de GAP à Christine Lagarde qui relève les contradictions du FMI ici.)

Le résumé du rapport d’enquête du FMI est « entaché de graves lacunes » et cherche à plusieurs reprises à entamer la crédibilité de Nyambal, juge aussi GAP, qui reproche à l’institution financière de ne pas avoir fait un suivi sérieux du projet GeoCam et de ne pas avoir pris de mesures correctives.

N’obtenant pas de réponse satisfaisante de la part de son ancien employeur, Nyambal s’est donc résolu à déposer une plainte devant la justice en juin 2012. « Le Fonds jouit d’une immunité absolue contre toute forme de procédure judiciaire », a répondu en décembre le cabinet d’avocat du FMI (lire ici). Celui de Nyambal a depuis soulevé une exception à cette immunité qu’il espère voir retenue par le tribunal.

De notre correspondante, Fanny Pigeaud.


 

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