Cameroun - Communication. Scandale du Mincom: Malédiction de l'aide publique à la presse privée - Peut-on encore sauver le soldat Tchiroma ?

Emmanuel Gustave Samnick | L'Actu Lundi le 02 Juillet 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
L'attribution de l'aide publique à la presse privée, cette année plus que les précédentes, fait des vagues. On savait depuis longtemps que cette opération est une vaste mascarade voilée par une bonne intention, et certains médias ont régulièrement fait le procès de cette aide telle qu'elle est régie au niveau du ministère de la Communication, avec des critères d'attribution flous, des dysfonctionnements (pour ne pas dire des détournements des fonds publics) savamment orchestrés et un bilan général anecdotique en termes d'impact sur la qualité et la vitalité de la presse privée nationale.

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Le ministre de la Communication et ses collaborateurs ont servi un nouvel élément à leurs contempteurs la semaine dernière, en publiant coup sur coup en l'espace de deux jours, une «décision portant attribution d'un — «appui spécial» à certains médias étrangers et une mise au point qui révèle que le document publié par CT «n'était nullement relatif à l'attribution d'un appui spécial au titre de l'aide publique à la communication privée».

Dans la présente enquête, L'Actu, bénéficiaire de cette aide publique à la communication privée depuis l'année dernière, revient sur cette grosse nébuleuse de la République dont les magouilles viennent d'éclater au grand jour, à la lumière des deux dernières éditions, 2011 et 2012, proprement scandaleuses.


Le leurre de la sélection

Le 14 juin dernier, la Commission nationale d'examen des demandes d'accès au bénéfice de l'aide publique à la communication privée s'est réunie pour examiner les 192 demandes reçues cette année. Le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a rendu public un communiqué présentant les conclusions des travaux de ladite commission. On y apprend que 160 dossiers ont été jugés éligibles (soit 21 bénéficiaires de plus que l'année dernière) et 32 dossiers rejetés.

Le représentant de la Commission nationale anti-corruption (Conac), l'un des invités spéciaux aux travaux de la commission, «s'est félicité de l'esprit de transparence et de franchise ayant caractérisé les débats, non sans regretter le fait pour les entreprises considérées comme des ténors de la communication, de n'avoir pas toujours présente des dossiers de format réglementaire».

Or, cet argument de dossier complet brandi facilement par le Mincom et ses associés de la commission n'est qu'une fumisterie. Un adoubement des faussaires et des imposteurs par les pouvoirs publics qui est au moins suspect : si le représentant de la Conac, un ancien journaliste de la CRTV, parle des «ténors» c'est qu'il doit aussi connaître les aventuriers. Quant au ministre de la Communication, qui promet de saisir le Premier ministre pour durcir à l'avenir les conditions de bénéfice de l'aide, «de sorte qu'elle aille vers ceux qui la méritent véritablement», on peut penser qu'il veut rigoler: son département possède une direction chargée de l'observatoire des médias et un fichier national de la communication; il ne peut se baser sur des documents brandis par des demandeurs aux états de service nuls qui sont prêts à se les offrir à n'importe quel prix dans ce pays corrompu à tous les étages dans le but de bénéficier d'un argent auquel ils n'auraient jamais droit dans un système normal. Car, le bon sens commun seul suffit à séparer la bonne graine de l'ivraie en matière de presse privée au Cameroun.

D'ailleurs, la liste des bénéficiaires a été publiée au lendemain du communiqué du président du Conseil national de la communication (CNC) qui dénonçait les dérives affichées dans des journaux précis, lesquels figurent en bonne place dans ladite liste des bénéficiaires de l'aide du Mincom, et avec des montants défiant toute concurrence : un hebdomadaire épisodique, spécialisé dans la chicane et dont le seul collaborateur visible est son directeur, a ainsi perçu plus de 1 400 000 F tandis qu'un quotidien régulier comme L'Actu, avec siège identifiable et des collaborateurs permanents connus a reçu un peu plus de 900.000 F. Alors, on aimerait savoir à quoi aura servi l'enquête que la tutelle dit avoir commandée et qui révèle «les dérives éthiques et déontologiques ayant fait le lit des prestations d'une grande frange des médias nationaux». On passe sur la ruée d'organes et associations qui ne sont visibles que dans le catalogue de l'aide du Mincom à la presse privée.

La Conac, au lieu de jouer les figurants et au risque de paraître définitivement comme un «machin», gagnerait à ouvrir une vraie enquête sur cette distribution complaisante de l'argent public, d'autant qu'il y a plus grave.


Conflits d'intérêt et délit d'initiés

Cette année, l'Association des journalistes sportifs du Cameroun (AJSC), l'une des rares dans le monde des professionnels de la communication au Cameroun à disposer d'un siège social, à employer deux collaborateurs permanents et à mener des activités visibles et retentissantes (stages de recyclage multiples, assemblées générales à date, Tournoi inter-médias, Forum de la presse sportive, etc) a bénéficié d'une aide de 413 000 F Cfa. L'année dernière, elle a été superbement ignorée par la Commission. Et pour cause, les fonctionnaires du Mincom qui reçoivent les dossiers avaient dissimulé celui —inattaquable- de l'AJSC. Or, en 2011, une trentaine d'associations et d'organisations professionnelles avaient été jugées éligibles, dont la plupart fictives. Et comment ?

Parmi les bénéficiaires, il y avait en effet une curieuse Association des journalistes pour l'économie, avec pour principal responsable Sophie Ortence Ntsouala. Il nous souvient que cette dame nous avait appelé un jour et était venue retirer au siège de l'AJSC à Tsinga un exemplaire des statuts de l'Association des journalistes sportifs. On peut subodorer après coup que c'était pour aller fabriquer son dossier de demande de l'aide publique à la communication privée. Ce ne serait que légitime pour cette journaliste, sauf que son association n'a jamais été aperçue nulle part, et plus grave, madame sa présidente est aussi membre de la Commission d'examen des demandes d'accès au bénéfice de l'aide publique à la communication privée. Il s'agit là d'un cas flagrant de conflit d'intérêt doublé d'un abus de fonction, puisque c'est Mme Ntsouala, sous-directeur des médias audiovisuels et cybernétique au Mincom, qui appose son visa sur les dossiers de demande d'aide déposés au Mincom. Elle a donc le loisir et le privilège d'éliminer des demandeurs gênants qui pourraient perturber sa voracité, puisqu'elle élabore seulement des fiches synthétiques à l'adresse des membres de le Commission (comme Celle en fac-similé). «Les dossiers physiques sont placés dans un coin de la salle lors des délibérations; en cas de doute, un membre de la Commission peut demander à les ouvrir», a tenté de nous convaincre le représentant d'une administration dans cette Commission qui ne s'est jamais, en réalité, préoccupée de la qualité des bénéficiaires de l'aide.

De toutes les façons, cette commission n'aurait même pas pu se prononcer sur le dossier de l'AJSC l'an dernier, puisque la fiche de l'AJSC ne figurait pas parmi celles présentées à la Commission. Contrairement à celles de l'Association des journalistes pour l'économie (Sophie Ortence Ntsouala), de l'Association des producteurs des émissions religieuses du Cameroun (Gabriel Bindzi, époux de l'autre) et de l'Associaticin des producteurs libres du Cameroun (Laure Mifoundo Bindzi, sa fille). Malgré la dénonciation de cette collusion d'intérêts très grave par des journaux l'an dernier, dame Ntsouala a encore été nommée cette année dans la commission, et ses associations opportunes ont encore royalement bénéficié de l'aide publique à la communication privée. Comme d'autres appartenant à ses collèges en 2011 telles que Edith Boukeu (chef de service photo au Mincom et présidente de l'Association des journalistes et professionnels de la communication), Véronique Essindi (chargée d'études à la direction du développement des médias privés et de la publicité au Mincom et présidente de l'Association des journalistes scientifiques du Cameroun, qui avait reçu un avis favorable de la Commission avec 6 pièces présentées sur 11 exigées). Avec certainement des dossiers «complets»...X


Explications compliquées pour la tutelle

On n'avait même pas encore commencé à digérer ces nouvelles entourloupes dans l'attribution de l'aide publique aux médias et organisations professionnelles privés du Cameroun que le ministre Issa Tchiroma Bakary a jeté un nouveau pavé dans la mare. Dans l'édition de Cameroon Tribune (CT) du 20 juin dernier, il a publié une curieuse décision portant «attribution d'un appui spécial au titre de l'aide publique à la communication privée», qui comporte une liste de cinq bénéficiaires : la Commission d'examen des demandes d'accès au bénéfice de l'aide publique à la communication privée ; la Société brésilienne de production ciné vidéo ; France télévision ; British Broadcasting Corporation ; Japan Broadcasting Corporation. Emoi dans la corporation des jour¬nalistes nationaux ! Comment des médias étrangers, à capitaux publics de surcroît pour ce qui est de France télévision, BBC et JBC, peuvent-ils bénéficier de l'aide publique du Cameroun à la communication privée ? Et que vient y chercher la fameuse et controversée Commission d'examen des demandes d'aide ?

Le scandale commence à secouer la maison même d'où il est parti : le ministère de la Communication. Des réunions d'urgence se tiennent, et dans la panique et la précipitation, il est décidé de faire publier une mise au point, que le ministre signe le même 20 juin 2012. M. Tchiroma informe l'opinion que «le communiqué paru hier dans Cameroon Tribune n'était nullement relatif à l'attribution d'un appui spécial au titre de l'aide publique à la communication privée. Le texte se rapportait à un classement interne, à l'intention de la hiérarchie, sur les structures étrangères ayant réalisé des reportages de bonne facture technique en faveur de l'image du Cameroun, au cours des deux dernières années». Janvier Mvoto Obounou, le directeur de développement des médias privés et de la publicité, est chargé d'aller l'expliquer dans les médias. «Ce classement que nous faisons tous les deux ans n'est pas destiné au public. Il n'est pas question de donner de l'argent à quelque média étranger que ce soit», confie-t-il à Mutations édition du 21 juin. Dimanche dernier, au cours de l'émission «Canal presse» sur Canal 2, il s'est encore évertué à vouloir expliquer qu'il ne s'agissait nullement d'un acte de corruption encore moins d'un détournement des deniers publics et que c'est une erreur de manipulation qui a fait que ce document se retrouve dans CT, mais sans convaincre même le plus naïf des téléspectateurs.

Le Mincom s'emmêle décidément les pinceaux. A travers cette note interne destinée à la hiérarchie qui n'en est pas une, puisqu'il s'agit d'une décision en bonne et due forme (voir fac-similé), le ministre de la Communication dévoile une pratique honteuse : des moyens de l'Etat sont octroyés sous cape à des médias étrangers en reconnaissance «des reportages de bonne facture technique en faveur de l'image du Cameroun» ( ?). Mais de quel montant ou de quelle nature ? Quels sont les individus ayant reçu cet «appui spécial ? Et il ne saurait s'agir de simples lettres de recommandation comme essaient de la faire croire aujourd'hui les responsables du Mincom, puisqu'une décision n'aurait pas été nécessaire pour cette tache. Bien plus, que vient encore faire la Commission d'examen des demandes d'aide du Mincom, dont le budget de fonctionnement existe par ailleurs, dans une liste de médias étrangers bénéficiaires d'un appui spécial qui, au moins pour ce cas, ne peut être une lettre de recommandation ; à qui d'ailleurs et pour demander quoi ? Ce serait du reste un autre cas de conflit d'intérêts, puisque la décision du Mincom énonce : «Vu la Constitution (...) Vu les avis émis par ladite commission en sa session du 14 juin 2012».


Comment c’est organisé ailleurs

Lundi dernier, notre confrère Mutations a publié une interview très édifiante du président de l'Observatoire national de la communication de la République du Niger. Abdouraman Ousman révèle que son pays, de loin plus pauvre que le Cameroun, consacre 200 millions de F Cfa à l'aide publique à la communication privée (au dessus des 150 millions de chez nous souvent ramenés à 135 millions, alors que le Mincom avait annoncé que cette enveloppe passerait à 250 millions cette année). Mais au delà du montant, c'est la méthode de distribution de l'aide au Niger qui n'a rien à voir avec l'archaïsme tropical organisé au Cameroun. Le président de l'Observatoire explique : «L'organe de presse doit avoir un siège, une comptabilité régulière, une identification fiscale, être à jour de ses cotisations sociales... Il y a aussi le contenu du journal qui doit respecter l'équilibre 65% au moins d'informations contre 35% de publicité, le tirage qui ne doit pas être en dessous de 1000 exemplaires par parution, le respect de la périodicité, du dépôt légal, de la déontologie et de l'éthique». Clair comme l'eau de roche, puisqu'il s'agit des choses quantifiables et vérifiables qui ne se cachent pas derrière un «dossier complet» vide de sens ! Cet observatoire nigérien qui joue également le rôle de régulateur a pu constater (en travaillant sur le terrain, et non en se réunissant une fois par an pour valider l'imposture et le banditisme administratif) qu'il y a 80 journaux déclarés dont une quinzaine seulement présente régulièrement en kiosque.
Au Burkina Faso, pays pas plus riche que le Cameroun, le média le plus lésé dans la répartition de l'aide publique à la presse reçoit une somme avoisinant 4 millions. Chez notre voisin, le Gabon, l'enveloppe est encore plus consistante et se chiffre en dizaine de millions. Sauf que, ici et là, la sélection des bénéficiaires de l'aide publique à la presse privée est des plus rigoureuses. Ce n'est pas l'occasion de distribuer des prébendes aux petits copains ou de garnir les poches de quelques fonctionnaires véreux et vicieux. En France, cette aide sert au financement de projets de développement directs et ciblés de la presse avec un fonds stratégique doté de 12 milliards de F Cfa, une réduction sur les tarifs de train, un fonds d'aide aux quotidiens, un autre aux hebdos, etc. Sans oublier l'aide indirecte qui se décline en taux réduit de la TVA, en tarifs postaux préférentiels, en régime dérogatoire sur les cotisations sociales, et en une meilleure organisation de la répartition des recettes de la publicité dans les médias.

Les autorités camerounaises restent sourdes à toutes les propositions qui leur sont faites par des professionnels sérieux, comme s'ils ne voulaient pas réellement d'une presse indépendante libre, professionnelle et prospère. De sorte que c'est avec le sourire qu'on accueille la nouvelle incantation du Mincom, qui envisage «une nouvelle mouture de l'arrêté instituant l'aide publique à la communication privée, marquée par plus d'audace dans les conditions d'éligibilité».


 

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