Emeutes Bamenda. Villes mortes : Scènes de violence dans la région du Sud-Ouest

Denis Nkwebo | Le Jour Jeudi le 19 Janvier 2017 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Barricades, brimades, agressions physiques. Le deuxième jour de grève à Buea et ses environs a failli tourner au drame.

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Lundi 16 janvier, la ville de Buea n’a pas connu d’incident majeur, au premier des deux jours de « villes mortes » décrétées par le Consortium des associations de la société civile anglophone. Par contre, Limbe, ville pétrolière de la région du Sud-Ouest, dont le blocus semblait être un objectif majeur pour les organisateurs du débrayage, a connu ses premières scènes de violence.

Des dizaines de manifestants en colère ont pris pour cible, une agence locale du Pari mutuel urbain. Motif pris de ce que l’établissement avait ouvert ses portes. Pendant plusieurs heures, le prétexte était trouvé pour créer une agitation populaire, et tenter d’étendre le mouvement à d’autres localités de la côte, jusqu’ici épargnée par l’agitation qui a cours dans les régions d’expression anglaise du Cameroun.

Hier matin, la tension de la veille était retombée dans cette ville où se trouvent les plus importantes bases militaires d’élite, notamment le Bataillon d’intervention rapide à Man a war bay et le Bataillon spécial amphibie. Samedi 14 janvier, une parade des éléments du Bir en formation avait occasionné un vent de peur, de Mile 4 vers le bas. Les populations riveraines avaient cru à une projection des forces spéciales, dans l’attente du début des villes mortes annoncées. Un responsable du Bir avait immédiatement démenti les rumeurs, expliquant que les éléments en formation participaient à une marche de routine, même si cela pourrait être assimilé à une revue des troupes.

Limbe abrite par ailleurs les installations de la Société nationale de raffinage (Sonara). La Sonara est la pomme de discorde et la principale  entreprise du territoire que convoitent les sécessionnistes de la Southern Cameroon National Council (Scnc). Plus haut, au flanc du mont Cameroun, les artères de la ville de Buea étaient désertes jusque vers midi. Heure à laquelle quelques motos ont décidé de briser le blocus de la cité capitale du Sud-Ouest. Le début de la circulation des véhicules et les tentatives d’ouverture de certains commerces n’ont pas été du goût des jeunes installés en piquets de grève. « Plusieurs conducteurs de motos et des commerçants ont été violentés », a confié un gendarme.


Difficile de confirmer pour le reporter du Jour, qui n’a pas vécu la scène. Un journaliste travaillant pour une chaîne locale de télévision a affirmé qu’il voyait de ses bureaux des mototaximen pris en chasse par les populations déterminées à imposer la réussite totale de la grève. Depuis la nuit de samedi à dimanche dernier, plusieurs sources spéculaient déjà sur une éventuelle éruption de violence dans la ville de Buea durant la grève. Et pour cause, l’incendie du véhicule de Dr Fontem, membre du Consortium, et très actif sur le terrain de la contestation.

Les appels au calm dont celui du président du Consortium, Félix Nkhongo Agbor Balla ont finalement été suivis. Conséquence des causes, aucun mouvement de foule n’a été observé à Molyko, point habituellement chaud, qui abrite l’université de Buea. Depuis le raid des forces de sécurité sur le campus de Molyko, plusieurs étudiants ont fui la ville, traumatisés par les brimades, les coups de crosses et les humiliations diverses.

Blocus

Pour étendre la paralysie à l’ensemble de la région, les grévistes ont entrepris de couper la route de Kumba, aux environs de 6 heures 20 minutes. Ce n’est pas au quartier populeux de Mile 16 qu’ils ont installé leur piquet. Encore moins à Muea, habituellement en proie à des échauffourées. Il n’y avait non plus des barricades à Mutenguene où les manifestants avaient mis le feu à plusieurs pneus le 9 janvier dernier, lors de la première opération villes mortes. C’est plutôt à Ekona que des jeunes ont éconduit tous les véhicules tentant une percée, pour se rendre à Kumba. Bagarres, insultes et coups de poings étaient signalés du matin à 15 heures, lors que la tension est remontée.

Vers 15 heures 30 minutes,  une colonne de fumée étaient visible dans le ciel d’Ekona. Plusieurs témoins en provenance de la périphérie d’Ekona, vers Muyuka ont confié que l’Irad et le Centre sismique avaient été épargnés par les confrontations. Les manifestants avaient encore conscience que de ces lieux, les mouvements en dessous du Mont Cameroun étaient observés. Loin de cette scène, des gendarmes tenaient une barrière, toujours dans la localité d’Ekona. Ces hommes sont installés là depuis le début du soulèvement populaire en zone anglophone. Pour accéder à Muyuka, il faut donc prendre son mal en patience.

Ici, sans faux geste, il faut bien sûr présenter ses pièces personnelles, et donner accès au coffre du véhicule, si telle est la demande des gendarmes. Les fouilles sont méticuleuses et cela se passe ainsi depuis que la tension persiste dans cette zone. De là à l’entrée de Muyuka, avant le commissariat de sécurité publique, plus rien à signaler. Les terrains vagues, les plantations de cacaoyers et d’hévéa, les bananeraies étaient tous calme. Avant, trois fermiers s’occupaient de leurs cultures maraichères, en bordure de la route principale. De Muyuka à Kumba, aucun incident n’était signalé hier. Yoke était actif dans le débrayage. Les élèves du lycée technique du coin sont restés chez eux. Tout comme les populations de Malende ont quitté leurs maisons tôt le matin, pour se rendre dans les plantations.

Lisbon City, le grand bar du coin avait fermé ses portes. A Banga, Banka Bakundu, Bombe, Ekombe Balangi, aucun incident n’est survenu jusqu’en fin de journée. Après Ediki Babonji, les forces de l’ordre installées au check point de Ediki Mabonji se rongeaient les pouces en soirée. Les villes mortes leur ont fait perdre leur clientèle particulière, composée en grande majorité des transporteurs clandestins. Il faudra probablement attendre ce matin, pour une reprise des monnayages à ce point de contrôle.

Tractations et usure

Dans l’après-midi, les organisateurs du débrayage exprimaient leur satisfaction, à l’issue des deux jours de « villes mortes » ayant connues un succès. « A Buea ça se passe bien. C’était une réussite », a dit Félix Agbor Balla, le président du Consortium, tout en insinuant laconiquement que chaque chose à une fin. Hier, il a signé un communiqué pour demander au gouvernement démilitariser les rues des villes anglophones et condamner les violences exercées contre des élèves. En deux jours, une vidéo montrant un élève violenté par un groupe de jeunes a fait le tour des médias, mettant tout le monde sous le choc.

Le souhait du  président du Consortium est que les anglophones et leurs frères à l’est du fleuve mungo cohabitent dans la paix. Aucun lien verbal ou intentionnel avec les appels à la sécession lancés sur les réseaux sociaux par les intégristes. Un instant avant l’appel de Me Balla, des indiscrétions faisaient état d’une grande mobilisation dans les milieux sécuritaires. L’enjeu étant une réponse militaire aux actes de défiance dont les agressions contre les élèves voulant aller à l’école et l’humiliation d’un sous-officier de gendarmerie par les manifestants.

Plusieurs officiels à Buea ont confirmé la possibilité d’un recours imminent à la force, pour débloquer la paralysie des écoles par la grève des enseignants. L’option d’une intervention musclée des forces de sécurité a été confirmée au Jour par au moins deux officiels chargés des opérations sécuritaires au Nord-Ouest et au Sud-Ouest. Dans les milieux syndicaux à Buea, cette option n’avait visiblement aucune influence sur la conduite de la grève. Peu après 16 heures, l’on signalait une timide reprise de la vie dans les quartiers, et aux abords de Mile 16 Buea, ainsi qu’à Kumba.

Toute la journée d’hier, impossible d’entrer en contact avec le gouverneur de la région du Sud-Ouest, Bernard Okalia Bilaï. Quelques jours avant la grève, il s’étonnait du climat de défiance qui s’est progressivement installé à Buea et ses environs. Les élites de la région ont observé profile-bas ces dernières semaines. Très attendu, l’ancien premier ministre Peter Mafany Musonge, ou encore le ministre en charge des Forêts, Ngolle Ngwesse ont finalement été dépassés par les événements. Les chefs traditionnels, auxiliaires de l’administration et membres du parti au pouvoir, continuent d’observer une neutralité suspecte.

Des conseillers municipaux Rdpc de Buea accusé de soutenir le régime en place, on,t reçu des menaces de mort. Tard dans la soirée d’hier, on attendait d’importances annonces du gouvernement. Tout comme les syndicats des enseignants devraient indiquer s’ils maintiennent ou non le mot d’ordre de grève. A 17, les activités du Consortium ont été interdites par un arrêté du ministre de l’Administration du territoire, René Emmanuel Sadi. Les avocats Me Nkongho et Fontem ont été arrêtés.
 

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