Cameroun - Livre. « Le Moabi cinéma » : quatre bonnes raisons de lire le premier roman de Blick Bassy

Clarisse Juompan-Yakam | Jeune Afrique Samedi le 11 Juin 2016 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
On connaissait Blick Bassy chanteur-musicien. On le découvre écrivain. Le bluesman camerounais publie chez Gallimard « Le Moabi cinéma », un petit bijou de roman délicieusement subversif.

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Une bande de cinq copains bacheliers rêve d’Occident et tente, par tous les moyens, d’obtenir chacun leur visa. En attendant de décrocher le précieux sésame, ils tuent le temps. Au programme : bière, foot, drague, musique… Véritable chronique d’une jeunesse africaine sacrifiée et à la dérive, Le Moabi cinéma tente d’alerter sur les mirages de l’Occident, à l’heure où des milliers de jeunes Africains choisissent de quitter le continent au péril de leur vie. « Bouger, aller d’un point à l’autre du globe, c’est le propre de l’homme, dit Blick Bassy. Ce qui est dérangeant, c’est d’être obligé de partir parce que l’horizon est bouché chez soi. »
L’Occident aussi en prend pour son grade, pour les humiliants refus de visas qu’il inflige aux candidats au départ. « Si les visas étaient octroyés avec moins de parcimonie, il y aurait moins d’Africains en Europe, pronostique Blick Bassy. Vivre l’Occident et en rêver ne vous met pas dans les mêmes dispositions d’esprit. »

La richesse des thèmes

Le livre de Blick Bassy aborde une infinité de thèmes. La religion (les longues prières dans le salon d’un commissaire de police aux aurores), les églises d’éveil (refuge des populations en perdition), la prostitution (les Chinoises « casseuses de prix » en guerre contre les « Cameruineuses », la feymania (escroquerie à grande échelle), l’inertie des politiques, le blanchiment de la peau, les prêtres pédophiles qui finissent polygames… À chaque fois, des scènes caustiques, hilarantes.

L’humour

Il est omniprésent, sans jamais être pesant. « L’humour permet le détachement face à la dureté de la vie, indique Blick Bassy. Mais ne pas prendre les choses à cœur n’empêche pas d’avoir une analyse sérieuse de la situation. » Le Moabi cinéma offre ainsi plusieurs passages d’anthologie. Comme lorsque le narrateur décrit leur admiration béate des « mbenguistes », leurs compatriotes de la diaspora qui reviennent tout auréolés de leur gloire d’avoir franchi les mers.

« Nos vacanciers respiraient l’étourdissant parfum de l’Occident ; ils avaient le timbre de voix des gens hautement développés, alors que nous étions encore sous-développés et parlions un français tropical, trop coloré et pas assez exquis à l’oreille. Les mbenguistes ne parlaient pas comme nous et il fallait bien tendre l’oreille pour saisir les mots qu’ils mâchaient, tronquaient, avalaient à moitié, nous laissant deviner le reste. On avait honte de dire : « Hein ? » à tout bout de champ, quand ces héros s’exprimaient. « Hein ? » et ils répétaient ce qu’ils avaient dit de manière encore plus rapide, nous laissant bouches bées, ridicules. Il fallut l’accepter, ils avaient une autre diction, car ils appartenaient désormais à une autre catégorie d’humains. Parfois, notre curiosité et notre naïveté nous poussaient à poser des questions sottes, et nous ramassions des taloches de nos aînés restés au pays et qui étaient plus exaspérés par nos « hein » incessants que ceux à qui nous les adressions. Et les compatriotes qui revenaient du paradis occidental, ces heureux mbenguites, se haussaient du col, fanfaronnaient, soutenaient qu’ils vivaient à un autre rythme, évoluaient dans une autre dimension. Ils respiraient différemment, marchaient autrement, ils exprimaient quelque chose de précieux, de policé, de craquant, de raffiné, de vachement supérieur. Ils étaient finis, nous étions à finir. Ils étaient riches, nous étions pauvres. Ils étaient adroits et nous maladroits, hébétés, patauds. On aimait donc les écouter parler. […] Nous les détestions et les admirions à la fois. Ils étaient ce que nous voulions devenir, ils avaient réalisé notre rêve. Les salauds ! »

L’humour aussi quand, parlant de l’un de ses copains, Obama, le narrateur analyse la cote subite de ce nom :

« Obama est un nom banal à Yaoundé. Mais, après le triomphe de Barack Hussein à la présidence des United States of America, on aurait pu croire, à voir la ferveur nouvelle qui entourait les Obama au Cameroun, que ces gens-là étaient tous de la famille du président des États-Unis. C’est ainsi que notre ami, dont la taille impressionnait, pour ajouter une touche américaine à son jeu, se mit à soutenir l’équipe de basket des Bulls de Chicago. Comme le président Obama. »

Le Camfrananglais

La particularité du roman de Blick bassy tient aussi à l’usage du camfrananglais – un mélange de français, d’anglais et des 260 langues du Cameroun – qui pourtant n’altère en rien la qualité d’écriture. Très mal vue, cette langue a le mérite, selon Bassy, de rapprocher les Camerounais : « On fustige le racisme de l’Occident, passant sous silence le fléau du tribalisme qui mine nos pays. » A découvrir pour son surprenant lexique.

Florilège :

Mbeng : Occident
Un peu de Njoka : un peu de vie, d’ardeur, de mouvement…
Tchombé : maîtresse, copine
Mboutoukou : demeuré, naïf
M’bock : pute, prostituée



Le Moabi cinéma, de Blick Bassy, éd. Gallimard, 240 pages, 18 euros.
 

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