Affaire Martinez Zogo. Assassinat de Martinez Zogo : cinq questions pour comprendre une affaire d’État

cameroun24.net Mercredi le 08 Février 2023 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Plusieurs personnalités soupçonnées d’être impliquées dans la mort de l’animateur radio ont été récemment interpellées par la police camerounaise. Retour sur les dessous d’un crime qui menace d’ébranler le pouvoir.

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LE DÉCRYPTAGE DE JA – C’est une histoire sordide qui, en à peine plus de deux semaines, a déjà viré à l’affaire d’État. Depuis que le corps du journaliste Martinez Zogo a été découvert, le 22 janvier, dans la banlieue de la capitale camerounaise, arrestations et révélations se succèdent, menaçant d’éclabousser les plus hautes sphères du pouvoir. Qui en voulait à l’animateur vedette de la radio privée Amplitude FM, qui avait fait de la dénonciation de l’affairisme et de la corruption sa marque de fabrique ? Pourquoi a-t-il été torturé et qui a ordonné son exécution ? Son assassinat pourrait-il en arriver à ébranler le régime ?

Les questions sont nombreuses, et l’enquête progresse. Confiée notamment au secrétariat d’État à la Défense (SED), elle a déjà conduit à l’interpellation de plusieurs dirigeants et agents de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE). L’un d’eux se serait montré particulièrement coopératif. Également arrêté, Jean-Pierre Amougou Belinga, un homme d’affaires controversé mais influent, qui aimait afficher sa proximité avec des barons du système Biya.

1 – Que s’est-il vraiment passé ?
Tout a commencé par une filature. Pendant environ une semaine, un petit groupe d’agents de la DGRE, les services de renseignement camerounais, ont suivi à la trace Martinez Zogo dans le cadre d’une opération dont les contours ne semblent pas avoir été officiellement définis.
Sous la direction du lieutenant-colonel Justin Danwe, directeur des opérations de la DGRE, le commando recueille un ensemble d’informations sur les habitudes quotidiennes du journaliste. Mais les agents chargés de le suivre manquent de discrétion, et laissent des traces. Martinez Zogo commence à avoir des soupçons. Il confie ses inquiétudes à plusieurs de ses proches et à des collègues – parmi eux, le journaliste Haman Mana, directeur de publication du quotidien Le Jour.
Le 17 janvier, le commando passe à l’action. Tandis que Zogo regagne son domicile après une journée de travail ordinaire, sa voiture est prise en chasse. Il est rattrapé alors qu’il cherche à se réfugier dans les locaux d’une brigade de gendarmerie, malheureusement fermés. Il est 21h30.
Selon Justin Danwe, qui a été interpellé et entendu dès le 1er février au SED, le journaliste est ensuite emmené dans un immeuble en construction appartenant à l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga – bâtiment dont la localisation exacte n’a pas été communiquée. C’est là qu’il aurait été passé à tabac. Le corps de Martinez Zogo, portant de nombreuses marques de coups et de sévices, sera retrouvé cinq jours plus tard, à la périphérie de Yaoundé.

2 – Pourquoi Jean-Pierre Amougou Belinga a-t-il été interpellé ?
Le patron de L’Anecdote et de Vision 4 n’est pas seulement le propriétaire de l’immeuble où Martinez Zogo a été supplicié. Selon la déposition de Justin Danwe, il était présent lorsque Martinez Zogo a été violenté ; il lui aurait lui-même asséné des coups, toujours selon l’agent de la DGRE, dans le but d’obtenir de sa victime ses sources et des excuses. Aux enquêteurs du SED, Danwe a également affirmé qu’Amougou Belinga avait passé un appel à un individu, dont il affirme qu’il s’agissait du ministre de la Justice, Laurent Esso. Celui-ci aurait, par téléphone, recommandé à son interlocuteur de « finir le travail », instruction par la suite transmise à Danwe et à ses hommes.
Interpellé le lundi 6 février, aux premières heures de la journée, Jean-Pierre Amougou Belinga était l’une des cibles favorites de Martinez Zogo qui, dans son émission, aimait à égratigner les puissants et dénoncer leur corruption présumée.
Quelques semaines avant sa disparition, il avait publiquement épinglé une série de marchés attribués par la Direction de la sécurité présidentielle (DSP) à des entreprises appartenant à Amougou Belinga – il s’agissait selon lui de marchés fictifs. Il avait aussi dénoncé les exceptionnelles largesses dont l’État avait fait profiter l’homme d’affaires par l’entremise du ministre des Finances, Louis-Paul Motaze. Il était cette fois question d’abattements fiscaux monumentaux, de subventions décaissées dans le cadre des lignes 65 et 94 du budget. Fait inédit au Cameroun : il semble que l’État ait payé Amougou Belinga rubis sur l’ongle, et toujours dans des temps records – ce que le journaliste ne s’était pas privé de faire remarquer.
C’est Amougou Belinga, présumé innocent, que Justin Danwe a donc désigné comme le commanditaire de l’assassinat de Zogo. Les deux hommes devraient bientôt être confrontés, mais la défense a d’ores et déjà mis en doute les déclarations du lieutenant-colonel de la DGRE.

3 – Pourquoi l’enquête a-t-elle été confiée au SED ?
Jean-Pierre Amougou Belinga n’est pas n’importe qui : il jouit d’une envergure médiatique et politique bien réelle, et bénéficie de puissants soutiens au sein de la police comme de la justice. Est-ce pour éviter tout conflit d’intérêts que l’enquête, engagée conjointement par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et le SED, a finalement été placée sous la direction de la gendarmerie ?
L’implication de ce corps, qui répond directement au président Paul Biya, a en tout cas permis l’arrestation de personnalités réputées intouchables, tel le patron de la DGRE, Maxime Eko Eko, supérieur hiérarchique de Justin Danwe, soupçonné d’avoir été informé de l’opération, ou l’ancien commandant de la garde présidentielle, le colonel Nsoe, beau-père et directeur de la sécurité privée d’Amougou Belinga.
Au SED, l’enquête a été confiée au colonel Jean-Pierre Otoulou, commandant de la première légion de gendarmerie. Aussitôt interpellé, Amougou Belinga a été auditionné dans les locaux du Groupement de gendarmerie du Centre, une petite unité située en face du SED, où il a été entendu par une dizaine de colonels et une quinzaine de commissaires divisionnaires.
Selon nos sources, une fois l’enquête terminée, le dossier devrait être confié à la Direction de la justice militaire.

4 – Laurent Esso peut-il être inquiété ?
Son nom ayant été cité par Justin Danwe, le ministre de la Justice se retrouve, de fait, sous les feux des projecteurs. Il est cependant peu probable qu’il soit un jour interpellé comme l’ont été les autres suspects, ce scénario nécessitant une autorisation expresse du chef de l’État.
Y a-t-il eu des précédents ? En mars 2014, le ministre Louis Bapes Bapes avait été placé sous mandat de dépôt à Kondengui. C’était la première fois qu’un membre du gouvernement était ainsi « malmené » dans l’exercice de ses fonctions. Ses ennuis furent néanmoins brefs : il fut libéré au bout de 24 heures sur ordre de Paul Biya. Depuis, les ministres jouissent d’une immunité de fait, à laquelle seule leur sortie du gouvernement peut mettre un terme.
Paul Biya serait-il prêt à relever Laurent Esso de ses fonctions pour qu’il réponde de son éventuelle implication dans cette affaire devant les enquêteurs ou les tribunaux ? À Yaoundé, où les rumeurs de remaniement sont incessantes, l’hypothèse n’est pas exclue.

5 – L’affaire Zogo peut-elle faire basculer la guerre des clans ?
Outre le fait qu’il dirige des affaires florissantes, Jean-Pierre Amougou Belinga est un homme de réseaux. Il est à la fois proche de Louis-Paul Motaze, de Laurent Esso et du directeur du cabinet civil de la présidence, Samuel Mvondo Ayolo – trois personnages qui sont aussi des protagonistes de la guerre des clans qui déchire les cercles du pouvoir camerounais dans la perspective de l’après-Biya.
Fait intéressant : l’hostilité qui les oppose au secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, lui-même proche de la première dame, Chantal Biya, est de notoriété publique, et les médias appartenant à Amougou Belinga se faisaient régulièrement l’écho des scandales qui menaçaient Ngoh Ngoh.
Il est sans doute trop tôt pour dire quelles seront les conséquences de l’affaire Zogo, mais si l’une des personnalités citées dans l’enquête venait à être condamnée, cela ne manquerait pas d’entraîner une redistribution des cartes sur l’échiquier politique.

Franck Foute (Jeune Afrique)

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