Cameroun - Livre. Pourquoi le Cameroun n'a au programme scolaire aucun livre de Bamiléké, de Nordiste ni d'Anglophones ?

cameroun24.net Samedi le 23 Janvier 2021 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La réflexion est de l'enseignant de littérature et écrivain camerounais, Patrice Nganang, exilé au Etats-Unis.

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La raison, on la connait: les élèves lisent les livres, pour apprendre à parler francais. Ainsi, les auteurs qui peuvent leur enseigner le français le mieux, ce sont les Français. Après tout, c'est leur langue. La langue des Blancs, quoi. Donc on a Molière, bien sûr, Corneille, Racine, Hugo. Ensuite viennent ceux que les colons français ont appelé "les évolués par excellence" : les Beti donc, et les Duala. Car c'est eux evidemment, les Beti et les Duala donc, qui ont produit les premiers livres, vu qu'ils sont aussi les premiers à avoir été scolarisés à la française : Ferdinand Oyono, Mongo Beti, mais aussi, Francis Bebey. C'est dans cette tradition que le choix des livres est fait au Cameroun. Et parce que le pouvoir politique suit la généalogie instituée par la France et qui a sa courroie de transmission chez les 'évolués, on se retrouve avec une pléthore d'auteurs beti au programme  - Severin Cecile Abega, Pabe Mongo, Guillaume Oyono Mbia, Ernest Alima, Engelbert Mveng, Jean Claude Awono, etc, etc. Dans la lancée identique des évolués, on peut ajouter Leonora Miano, Duala. Njoh Mouelle. Ou Mpoudi Ngolle. Duala. Deux livres au programme. Deux. Ne sursautez pas, et ne criez pas au tribalisme, car ce n'est pas ça le problème dans un Etat lui-meme tribal. Le problème ce sont les auteurs qui ne sont pas lus, et la conséquence qui en découle, car le Cameroun ayant quatre groupes politiques, il en découle que les auteurs qui sont lus dans les programmes scolaires ne sont issus que d'un seul de ces quatre groupes politiques. Eh bien, aucun enfant camerounais qui a été formé au Cameroun, et je parle ici specifiquement des enfants francophones, de toute sa formation scolaire et lycéenne jusqu'à ce qu'il atteigne l'université donc, n'a lu de livre écrit par un Anglophone, ni de livre écrit par un Bamileke, ni de livre écrit par un Nordiste.


Je répète : aucun enfant formé au Cameroun, de toute sa formation jusqu'à l'université, n'a lu de livre écrit par un Anglophone, ni de livre écrit par un Bamileke, ni de livre écrit par un Nordiste. La littérature est une fenêtre ouverte sur une culture. Lire c'est déjà voyager un peu. Notre pays, un des plus divers d'Afrique et dont la population ne voyage pas pour découvrir son prochain, ne peut pas continuer à se donner le luxe d'ignorer les cultures qui ne sont pas Beti - car ne lire que les auteurs beti veut dire, en fait en même temps n'enseigner aux enfants camerounais que les cultures beti, mais surtout ne pas leur enseigner les cultures nordistes, ni les cultures anglophones, ni les cultures bamileke. La conséquence de cette exclusion est terrible. Les enfants ne découvrent les Bamileke qu'à travers les stéréotypes qu'en font les Beti - par Tchenguen dans 'Trois pretendants, un mari' de Guillaume Oyono Mbia, ou alors par Wamakoul dans 'L'Homme de la rue' de Pabe Mongo. Parce que justement les enfants ne lisent pas les auteurs bamileke, ils grandissent avec des stéréotypes des Bamileke véhiculés par les Beti, dans les livres inscrits aux programmes scolaires. Les enfants ne découvrent les Nordistes que dans les stéréotypes: 'ce sont des moutons'. 'Ce sont des vendeurs de boeufs.' Parce que justement ils n'ont jamais lu d'auteurs nordistes en classe, ni analysé les complexités des cultures nordistes. De même les enfants ne découvrent les Anglophones que par des stéréotypes: 'ce sont des Bamenda.' 'Ils sont gauches.' Parce qu'ils n'ont jamais lu d'auteur anglophone, ni analysé la complexité de l'histoire et de la vie des Anglophones.
Ce n'est pas tout.


On tue plus facilement ceux qu'on ne connait pas. Et dans l'histoire de notre pays, depuis 1956 ceux qui ont subi le génocide sont: les Bamileke, les Anglophones, et bien sur les Nordistes, apres le 6 avril 1984. Les Beti, eux, n'ont jamais subi de génocide. Il y'a une relation de causalité entre la violence mise en branle contre son prochain, et l'ignorance. Car on tue ceux qu'on déshumanise, et le stéréotype déshumanise le prochain. Il devient 'mouton', 'porc', 'chien', pour citer le gouverneur Okala Bilai, qui ainsi denommait les Anglophones, en 2016, avant le commencement de la guerre contre eux que Atanga Nji dit aujourd'hui avoir 'gagnée'. Les Allemands ont d'abord déshumanisé les Juifs avant de les tuer. Ils les appelaient 'rats'. De meme les Blancs ont déshumanisé les Noirs avant de les esclavagiser. Ils les ont appelés 'nègres', ou 'niggers.’ Les Tutsi ont été appelés 'cancrelats' , avant d'être tués par les Hutus. Il n'y a rien de plus triste qu'un peuple qui se tue par ignorance l'un de l'autre, il n'y a rien de plus terrible qu'un peuple qui ne se connait pas. Car ce n'est pas comprendre la signification de la littérature. La littérature n'est pas seulement un substitut pour enseigner la langue des Blancs à nos enfants, elle est surtout et avant tout un substitut pour leur enseigner la culture de leur prochain. Il n'est pas, et il ne sera jamais normal que notre pays refuse systématiquement de faire nos enfants lire des livres écrits par ceux des gens qu'il tue de temps en temps. Car ça devient un système d'autant plus criminel que ceux qui tuent, ceux qui commetent le génocide, sont exactement ceux dont les livres sont lus en classe - les Bulu, qui sont une partie des Beti. Il y'a un cercle vicieux la que la littérature à la possibilité de rompre, car au moins elle permettrait de comprendre son prochain, et de savoir que le Nordiste n'est pas un mouton, que le Bamileke n'est pas un porc, et que l'Anglophone n'est pas un chien. Comme grâce à Cesaire qui est au programme, nous savons tous que nous ne sommes pas des 'nègres', et encore moins des 'niggers'. La littérature aura ainsi, chez nous, au moins servi à sauver des vies. Voilà en dessous trois livres par lesquels il serait utile de commencer aujourd'hui deja, car ce n'est pas les livres écrits par les Bamileke, Anglophones ou les Nordistes qui manquent.

Lisez ceci comme ma contribution, pour aider ce pays, le nôtre, et sauver notre peuple de son actuelle autodestruction.

Patrice Nganang
Concierge de la republique

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