cameroun - Communication Cameroun - Communication: Les hommes de médias et les «morts suspectes»
M. Charles Ateba Eyene, communicateur politique, vient de décéder. Cliniquement, il a succombé à une insuffisance rénale. Certains soupçonnent une main criminelle. Avant lui, il y a eu MM. Pius Njawe, Jules Koum Koum, Richard Touna, Jacques Bessala Manga... dont les décès, accidentels et cliniques, ont été couverts d'un voile de soupçon. Évocation.
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Le décès, le 21 février au Chu de Yaoundé, de M. Charles Ateba Eyene des suites de maladie comporte au moins une évidence: il était l'homme du peuple, un «homme passe-partout». Pour se rendre à l'évidence, il n'y a qu'à considérer la multitude de témoignages que les acteurs sociaux camerounais de tous bords rendent au défunt. Ces messages de sympathie envers le disparu viennent des hommes politiques, sans considération des clivages partisans, des journalistes, universitaires, artistes, sportifs, leaders de la société civile.., que le disparu a côtoyés de son vivant. Ceux qui le «voyaient juste à la télé» et ceux qui ne l'ont écouté qu'à la radio animent les débats dans les buvettes et les taxis. La presse en a fait ses choux gras. L'information sur le décès de M. Charles Ateba Eyene figure en première page de la majorité des publications camerounaises de lundi dernier. Chacun y va de son inspiration, de sa sensibilité et même de sa subjectivité.
Dans ce florilège d'écrits et de dits, d'aucuns s'interrogent sur les non-dits du décès de M. Ateba Eyene, en laissant fleurir toute sorte de supputations. M. Emmanuel Nguiamba Nloutsiri, natif de l'Océan dans la région du Sud et militant du Rdpc comme M. Ateba Eyene, affirme que si son camarade a succombé à une mort naturelle, il n'y a pas de problème. Il poursuit: si, par contre, il y a eu une «main humaine, il y aura des règlements de compte». Ces propos, publiés par le quotidien Le Messager du lundi 24 février 2014, sont le reflet de l'état d'esprit de certains Camerounais suite au décès de M. Charles Ateba Eyene. Ils sont donc nombreux qui pensent que M. Ateba Eyene a été assassiné. «On l'a tué!» Inutile de compter le nombre de fois que l'on a entendu ce bout de phrase dans les rues de Yaoundé. Qui l'a donc tué, et pourquoi? D'aucuns se réfèrent aux écrits du défunt et à ses multiples combats pour soutenir la thèse d'un décès commandité. De son vivant, il s'était fait le porte-voix des laissés-pour-compte, la voix des sans voix; la «bouche des malheurs qui n'ont point de bouche», comme l'avait dit Césaire en son temps.
Dans son ouvrage consacré «aux sectes et au magico-anal», il énonce un certain nombre de cas où des «gens d'en bas» ont subi des frustrations de la part des «gens d'en haut»; des cas où des misérables, des handicapés ont été maltraités par les «gens biens». Tout simplement parce que la logique des loges proscrit l'humanisme et la mansuétude à l'égard de ceux qui n'ont pas d'engagement sectaire. Il dénonçait l'avidité des «élites» du Sud qui s'en mettent plein les poches, sans se soucier du développement de leur contrée. C'est ce qu'il qualifiait de «paradoxes du pays organisateur» qui se déclinent par des actes d'avarice des «élites prédatrices». Il n'est pas resté sans voix après les crimes rituels de Mimbomam à Yaoundé. Militant du parti au pouvoir, l'indiscipline du Rdpc l'insupportait aussi. Cela a fait l'objet d'un livre au ton pamphlétaire. Que dire du management opaque ou de la mauvaise santé du sport camerounais?
Bref, il a baladé son regard critique sur plusieurs dysfonctionnements de la société camerounaise en citant nommément, les acteurs considérés comme responsables de la déliquescence de la société camerounaise en perte de repères. En langage camerounais, l'on dit: «il n'avait pas sa langue dans la poche», pour signifier que la connivence ne le caractérisait pas. D'aucuns disent qu'en critiquant, en dénonçant les tares de notre société, il se brodait inévitablement une étoffe de sympathie auprès du «bas peuple». Mais qu'il élargissait conséquemment son cercle d'ennemis chez les «gens d'en haut», ceux-là qu'il «attaquait» dans ses livres et ses multiples prises de parole dans les médias. Les partisans de la thèse d'une mort criminelle laissent entendre que ceux qui se sentaient menacés par les critiques régulières de M. Ateba Eyene, ont eu raison de lui. Même si, cliniquement, il est dit qu'il a succombé à une insuffisance rénale. Dans le doute, certains prescrivent une autopsie. Pour déterminer la cause exacte de son décès.
NJAWE ET LES AUTRES
Les polémiques autour du décès de M. Ateba Eyene rappellent fort opportunément celles autour de la mort de M. Pius Njawé, fondateur du quotidien Le Messager en juillet 2010. Le journaliste camerounais, militant des droits de l'Homme et de la liberté de presse et d'expression, est passé de vie à trépas dans un accident de la route le 12 juillet 2010 en Virginie aux Etats-Unis. Il s'y trouvait dans le cadre d'un meeting des forces de l'opposition camerounaise avec pour but l'alternance au sommet de l'Etat du Cameroun en 2011. Le défunt journaliste ne soutenait pas l'idéologie du régime en place au Cameroun. Ses relations avec les autorités politiques et administratives camerounaises n'étaient pas un long fleuve tranquille. Il fut emprisonné plusieurs fois de son vivant. Suffisant pour qu'après sa mort accidentelle, certaines sources aient soutenu la thèse d'un assassinat politique.
M. Richard Touna avait un avenir plein de bonnes promesses dans la presse camerounaise. Après avoir long¬temps été employé du Messager, il lance son journal, Repères, en janvier 2007. Deux ans après, il décède après quelques jours de maladie à l’hôpital de la CNPS de Yaoundé. Après son décès, de multiples supputations ont été émises sur les causes de son décès, d'aucuns y voyant une main criminelle. De son vivant, il faisait partie des journalistes les mieux informés de la République. Les questions de politique et d'économie lui étaient familières; il connaissait des «gens en haut lieu», des sources à la notoriété établie. Ceux qui soutenaient la thèse de l'assassinat estimaient que le journaliste en savait un peu trop. Cinq ans après son décès, certains compatriotes colportent toujours des informations ahurissantes sur son décès en faisant des révélations sur sa connexion avec certains réseaux.
M. Jules Koum Koum, directeur de publication du journal Le Jeune Observateur, est mort brutalement le 4 novembre 2011. Il a fait un accident de la route sur l'axe Yaoundé-Douala au lieudit Tradex Ahala à la sortie est de la capitale camerounaise. Avant son décès, le journaliste a publié une série de dossiers sur la fortune colossale de certains ministres de la République, notamment Edgar Alain Mebe Ngo'o, en donnant des informations jusqu'aux moindres détails comme le nombre de plats et de fourchettes acquis avec la fortune publique. Quand le journaliste est tué dans cet accident de la circulation, certains confrères n'ont identifié qu'une main criminelle.
D'aucuns estiment que les «meurtriers de Jules Koum Koum courent toujours», en pointant nommément un doigt accusateur sur ceux dont l'ostentation était étalée et décriée sur les colonnes du journal de M. Koum Koum.
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 2012, le journaliste Jacques Bessala Manga est victime d'une violente agression à Yaoundé. Après avoir été interné à l'hôpital de la CNPS, il décède finalement le 27 juillet 2012. Quelques jours avant son agression, le journaliste avait été limogé du quotidien Le Jour, alors que l'activité épistolaire de Marafa Hamidou Yaya battait son plein. Suffisant pour qu'un doigt accusateur soit pointé sur le directeur de la publication du quotidien Le Jour, qui avait pourtant publié une mise au point dégageant sa responsabilité sur le décès de son ex-employé. Comme argument, il était relevé que Jacques Bessala Manga continuait de travailler pour Haman Mana dans les Editions du Schabel, preuve que leurs rapports étaient restés sains. D'aucuns parlaient de connexions entre le défunt et les milieux du renseignement qui auraient viré au drame.
Prudence
Tous ces cas que nous avons évoqués concernent des journalistes qui ont longtemps servi dans la presse à capitaux privés, excepté M. Charles Ateba Eyene. Il était fonctionnaire en service au Ministère des Arts et de la Culture et membre suppléant du comité central du Rdpc, en plus d'être un auteur prolifique. Mais au quotidien, il était plus proche de la presse à capitaux privés qui se faisait largement l'écho de ses prises de position tout en relayant abondamment le contenu de ses livres. La majorité de ses amis journalistes se recrutaient au sein des médias privés locaux. Ce ne sont pas seulement les journalistes de la presse à capitaux privés qui décèdent. Ceux du public n'échappent guère aux affres de la grande faucheuse. Au moment où nous écrivions ces lignes, notre confrère Joseph Marcel Ndi (ancien rédacteur en chef de Radio Cameroun) vient de décéder, alors que l'image de Ndzinga Amougou, journaliste à Cameroon Tribune jusqu'au jour de son décès, est encore vivace dans nos mémoires.
Les avis de décès indiquent donc que des journalistes de tous les bords professionnels décèdent. Mais la plupart des polémiques qui entourent les décès des hommes de médias ne concernent que ceux de la presse à capitaux privés. Ceux du public n'échappent certainement pas aux suspicions qui entourent les décès dans nos villages, où la mort a toujours une origine criminelle ou sorcière. Qu'est-ce qui justifie ces controverses cycliques autour des disparitions des journalistes de la presse privée? D'aucuns estiment que ceux qui ne brillent pas par la complaisance sont susceptibles d'être suppliciés par quelque moyen que ce soit. Et que les dénonciations ne sont pas toujours bien accueillies dans certains cercles du pouvoir dont la vengeance est aveugle et impitoyable. Cela peut être vrai, surtout que les «enquêtes ouvertes» dans certains cas, restent presque toujours lettre morte. Mais il faut être prudent et prendre du recul avant toute prise de position, pour ne pas succomber à la manipulation et au sensationnalisme primesautier.
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