Cameroun - Communication Television numérique terrestre : L’urgence d’une re-conceptualisation du service public de l’audiovisuel
La Crtv doit impérativement faire son aggiornamento. Elle n’a d’ailleurs plus le choix.
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Le 17 juin 2015 à minuit, le monde est entré dans une nouvelle ère. Celle du numérique. En application de l’accord dénommé GE06 pris à Genève le 16 juin 2006, au cours de la Conférence Régionale des Radiocommunications, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) exigeait en effet le basculement au numérique de tous les systèmes de radiodiffusion analogique. Le Cameroun a raté ce rendez-vous. Mais, il n’a pas le choix. Il devra bien un jour, prendre le train en marche.
Ce phénomène de numérisation va, nous dit-on, bouleverser en le redéfinissant, le contexte du déroulement de la diffusion et des échanges d’information. En effet, les avancées technologiques auront un impact sur l’écosystème des médias traditionnels sans commune mesure avec ce qui s’est passé lors des nombreuses évolutions historiques du secteur. On n’hésite donc plus à parler de révolution. Nous serions confrontés selon MISSIKA (2007) à une « technologie disruptive » qui va bouleverser profondément tous les règles du jeu médiatique. C’est donc à n’en point douter, l’un des facteurs puissant de la transformation actuelle des médias. « Ce qui se produit à l’heure actuelle autour de la numérisation des médias électroniques et du développement d’un nouveau marché médiatique pourrait être le début d’une profonde mutation culturelle et politique, comparable à celle qui a suivi l’invention de la presse à imprimer, par Gutenberg, il y a cinq siècles ». (Christian S. NISSEN 2006)
Si l’année 1990 a sonné le glas de la monopolisation avec le développement et l’extension de la culture démocratique et le déploiement du mouvement de la diversification des médias que nous connaissons aujourd’hui : télévisions publiques et privées, hertziennes et câblo-satellitaires etc. 2015 va marquer le départ, l’entame d’une révolution du secteur des médias en accélérant et en généralisant le processus enclenché il y a plus de deux décennies avec la démultiplication des réseaux, des terminaux, et des modes de consommation (TNT, Internet, “Smartphones”, médias sociaux, tablettes, téléviseur connecté).Dans ce contexte, les médias audiovisuels de service public, la Cameroon Radio Television en occurrence doit impérativement faire son aggiornamento. Elle n’a d’ailleurs plus le choix. Elle doit revisiter son rôle et ses objectifs. C’est un impératif catégorique. Elle doit déconstruire ce modèle qui la maintient dans une autre époque pour se réinventer. Si elle ne le fait pas, elle donnera raison à ceux qui contestent sa légitimité, et elle confortera les doutes qui assaillent ceux qui travaillent pour elle. Pour notre part, nous sommes convaincus de l’utilité sociale et de la légitimité de l’audiovisuel public, à condition d’une refondation qui passe par une définition claire de sa fonction sociétale, de son positionnement, de son modèle économique, de sa gouvernance et de sa stratégie dans ce nouvel environnement médiatique. Il s’agira plus précisément d’une RE-CONCEPTUALISATION du service public de l’audiovisuel camerounais, pour le mettre en phase avec le dynamisme de notre époque caractérisé par les progrès technologiques et le passage à l’environnement numérique, à la concurrence des médias privés et internationaux, aux changements de comportement des besoins du public ainsi que les influences politique, économique et sociale. Il faudra faire éclore enfin sa réelle vocation qui est celle d’œuvrer pour le “vivre ensemble”. La CRTV devra donc cesser d’être comme le dit Antoine Marie Ngono(2008), ancien directeur de l’information de cet organisme : « objet de toutes les convoitises et de tous les appétits, détournée au quotidien de ses missions régaliennes pour se confiner aux tâches de thuriféraire, de polissage d’image… Ballottée entre les attentes d’un public de plus en plus exigeant d’une part, et les besoins d’encensement sans cesse croissants des pouvoirs publics d’autre part…».
Ceci suppose alors que soit clarifiée et revisitée l’organisation du secteur afin que les médias audiovisuels de service public trouvent enfin « le sens du service et le sens du public ». Et ce rôle incombe à l’Etat, garant et principal ordonnateur de l’information et de la Communication au Cameroun. Pendant la réhabilitation de son outil technique et technologique, c’est lui qui doit à présent impulser une réflexion minutieuse, décomplexée et élaborer des stratégies concrètes qui leur permettront de s’adapter au nouvel environnement et de mener à bien leur mission dans une société de l’information en perpétuel mouvement. La CRTV nécessite aujourd’hui une réforme énergique et ambitieuse qui va au-delà de la technologie.
A ce sujet, un préalable essentiel est que l’Etat, garant de l’accessibilité pour tous à une information plurielle et diverse assure les conditions spécifiques, juridiques, financières et organisationnelles requises. Le caractère spécifique de l’objet des « médias », la nature réseautique du nouvel environnement accentuent la nécessité de remettre en cause les paradigmes selon lesquels on avait l’habitude de définir leurs cadres juridiques. Car, lorsque changent les conditions, les justifications de la réglementation doivent être remises en question. Mais, si les justifications peuvent demeurer applicables, alors ce sont les mécanismes, les approches et les stratégies de réglementation qui sont discutées. D’un point de vue économique, ce changement de paradigme a notamment pour conséquence une remise en cause du modèle économique des médias en général et de l’audiovisuel public en particulier.
L’Etat, devra ainsi définir clairement, les spécificités des missions de l’audiovisuel public ainsi que ses attentes éditoriales consignées dans la législation ou la réglementation, notamment en ce qui concerne les nouveaux services de communication. Ceci permettra ainsi à la CRTV d’utiliser pleinement son potentiel, et en particulier, de promouvoir enfin une plus grande participation démocratique. Il faudra alors garantir une certaine distance (c’est possible même si c’est là tout le problème) nécessaire entre le gouvernement et l’entreprise publique, ce qui favorisera son adaptation au changement social et culturel actuel. Car le public des médias montre qu’il n’est plus enclin à adosser le rôle de récepteur passif de contenu, pas plus qu’à accepter le paternalisme à l’ancienne de l’approche « la voix de l’autorité » adopté depuis des décennies par la radio puis la télévision. La révolution numérique a changé le statut du public des médias. Les citoyens qui le constituent ne sont plus de simples récepteurs, mais bien des émetteurs-récepteurs (users generated contents). L’Etat, dans ce contexte et dans sa démarche de refondation des médias audiovisuels de service public, doit donc les soustraire du vieux modèle français édicté par la loi du 28 juillet 1881 et hérité de la colonisation afin les doter d’un modèle qui prend en compte notre environnement économique, politique, social et culturel. A ce propos, André Tudesq (1999) nous apprend que les modes d’organisation de l’audiovisuel reflètent toujours une certaine forme d’organisation de la société. La réflexion sur les médias de service public résulte donc à la fois des traits propres à chaque pays, des impératifs ou contraintes découlant de son histoire et son environnement. A titre de rappel, la France a engagé la refondation de son audiovisuel public depuis 1989 et reste toujours à la recherche d’un modèle économique et d’organisation des médias publics, afin de créer les conditions de son renouveau éditorial et de favoriser l’émergence d’un média global.
La Re-conceptualisation de la CRTV devrait être d’une ampleur inédite qui favorisera l’émergence d’une ambition nouvelle pour la télévision et la radio de service public. Ceci passe nécessairement par l’affirmation d’une ambition éditoriale renouvelée, l’évolution du modèle économique avec de nouveaux modes de financement, le renforcement de sa gouvernance, la clarification des objectifs de qualité et des critères de performance.
Par Raoul Simplice Minlo (Journaliste. Chef de la cellule de communication au Mincommerce)
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