Cameroun - Nigeria. Prise d’otages : à qui profite le crime ?

Amadou Soulé | Le Détective Jeudi le 24 Avril 2014 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Les séries de rapts et de libérations à n’en plus finir font penser que sont-ils devenus un marché juteux tant du côté du Nigeria que du Cameroun ? Une chose est certaine : il y a un flou entache la série de prise d’otages dans la région de l’Extrême-Nord.

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La secte islamiste Boko Haram, qui sévit au Nigéria et dans les pays environnants, vient une fois de plus de frapper en procédant à l’enlèvement de trois religieux. Il s’agit, en l’occurrence, de deux prêtres de nationalité italienne et d’une religieuse d’origine canadienne. L’enlèvement s’est produit dans la nuit de vendredi à samedi 5 avril 2014 dans la paroisse de Tcheré dans le diocèse de Maroua-Mokolo, à l’Extrême-Nord du Cameroun, une localité située à une quinzaine de kilomètres du Nigéria.

Les autorités camerounaises qui ont confirmé l’information ont déclaré avoir mobilisé les moyens, non seulement pour renforcer la sécurité dans cette partie du pays, mais aussi «tout faire» pour retrouver «sains et saufs» les trois religieux. Comme à l’accoutumée, les personnes enlevées au Cameroun ont été ramenées au Nigéria, où la secte Boko Haram multiplie des exactions et des attentats contre des populations civiles, malgré la vigilance des forces de défense nigérianes.

D’après des témoignages concordants, les assaillants qui étaient plus de dix, et lourdement armés, ont attaqué le presbytère où résidaient les religieux, tenant notamment en respect les vigiles et des riverains. Le mode opératoire laisse croire que ces éléments de Boko Haram connaissaient bien les lieux, puisque ces derniers n’auraient pas eu trop de difficultés pour atteindre les religieux qui étaient leur principale cible.

Au terme de cette expédition punitive, le Père Giampaolo Marta, qui était en mission au Cameroun, depuis plus de six ans, et le Père Gianantonio Allegri, qui était revenu au Cameroun il y a quelques mois après y avoir effectué précédemment un séjour d’une dizaine d’années, ont été enlevés, de même qu’une religieuse canadienne, Italie Gilberte Bussier, qui totalise également plusieurs années de présence missionnaire au Cameroun.

Collusion

L’enlèvement des trois religieux intervient après la libération le 31 décembre 2013 du Père Georges Vandenbeusch, un prêtre d’origine française enlevé le 14 novembre 2013 par Boko Haram, alors qu’il officiait comme curé de la paroisse de Nguetchewé, toujours dans le diocèse de Maroua-Mokolo, à une vingtaine de kilomètres du Nigéria. C’est toujours dans cette région, plus précisément à Dabanga, que fut enlevée la famille Moulin-Fournier en février 2013, les sept Français avec femmes et enfants qui furent libérés fin avril, après deux mois de captivité. Pour le moment, les autorités camerounaises, qui s’habituent de plus en plus à ce genre de situations, n’en disent pas plus, même si selon toute vraisemblance, tous les moyens sont déployés pour retrouver vivants les deux prêtres et la soeur dont l’âge relativement avancé doit certainement rendre plus difficile leur détention.

Ces deux derniers kidnapping, on se souvient, avaient connu un tapage médiatique international à tel point que les soupçons qui pesaient sur le groupe islamique Boko Haram ont fini par être confirmés par le chef Abubakar Shekau, leader du groupuscule depuis 2009. Tout juste après la libération de la famille Moulin-Fournier, la presse camerounaise et beaucoup d’opinion diverses soupçonnaient le gouvernement camerounais d’avoir donné une rançon au groupe islamique Boko Haram pour la libération des Blancs français. Ces soupçons se sont encore renforcés lorsque la même France a encore eu maille à partir avec le kidnapping du prêtre Georges qui a été libéré quelque semaines après. Ces séries de rapts et de libérations à n’en plus finir font penser que c’est devenu un marché tant du côté du Nigeria que du Cameroun.

Comment cela pouvait-il en être autrement tant il est vrai que l’implication des négociateurs et intermédiaires dans la libération des Moulin-Fournier et du père Vandenbeusch capturés dans la région de l’Extrême-Nord suscitent moult interrogations. La rapidité avec laquelle ces négociations ont abouti et surtout vu le gros moyens mis en jeu par Yaoundé pour la réussite de ces opérations, laissent aujourd’hui entrevoir une probable collusion de ces négociateurs dans la prise d’otages. Du moins si l’on s’en tient à l’avis des observateurs.

D’autant plus que l’avis est partagé : il y a un flou qui entache la série de prise d’otages dans la région de l’Extrême-Nord. Aussitôt capturés, aussitôt ces otages sont libérés ; si simple que ça. Et toujours est-il que ce sont des négociateurs camerounais, dont des hauts cadres de l’Etat, des autorités administratives, des élus du peuple, des chefs traditionnels et des opérateurs économiques originaires de la région qui ont souvent piloté à succès les opérations ayant conduit à la libération d’otages. Il y a tic du moment où on sait que des gros moyens sont toujours dégagés par le gouvernement camerounais pour la réussite de ces opérations.

Une affaire de gros sous

Fort de ce qui précède, il n’est pas exclu que ces soi-disant négociateurs soient directement impliqués dans cette série de prise d’otages. Ceci pour deux raisons : soit pour faire chanter le chef de l’Etat, soit pour s’enrichir. Qui sait si ce ne sont pas de prises d’otages montées de toutes pièces pour que le gouvernement débloque ces gros moyens au profit de ces individus tapis dans l’ombre ? Une analyse que plusieurs autres acteurs de la scène politique et de la société civile et géo-stratèges y accordent du crédit au regard des milliards débloqués par l’Etat ; plus de 10 milliards pour les deux premières opérations en l’espace de 7 mois.

On se rappelle de ce que la presse avait largement fait échos, évoquant 7 à 8 milliards pour la libération de la famille Moulin en avril et 6 à 7 milliards pour celle du prêtre Georges Vandenbeusch. Le confrère de L’oeil du Sahel avait parlé de 6 milliards dépensés par le Trésor camerounais pour sa libération, l’argent du négociateur détourné, des responsables de la police sanctionnés. Mais également du rôle ombrageux joué par le président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yéguié Djibril.

Pour certains, il s’agit d’un stratagème bien huilé pour reconquérir l’estime du président de la République. Une possibilité à ne pas exclure au regard de la mise en exergue des hauts commis de l’Etat, des autorités administratives, des hommes politiques et chefs traditionnels. «La libération des otages peut constituer une arme de chantage au chef de l’Etat. Pourquoi ces négociateurs réussissent toujours s’il n’y a pas de connivence avec ces sectaires ? Donner l’argent peut susciter beaucoup de gourmandise, d’appétit chez ces derniers et cela peut facilement faire prospérer les marchés d’otages au Cameroun», se dit-on tout bas.

L’on se souvient que dans le cas de la famille Moulin Fournier, c’est pratiquement la même somme qui avait été débloquée mais cette fois avec l’implication d’autres négociateurs. Le ministre Amadou Ali, le député Abba Malla Boukar et un opérateur économique ont été largement cité dans la presse comme étant des acteurs de premier plan dans le processus de cette libération.

Le cas Liman Oumaté

Autant d’éléments qui semblent faire croire que ces opérations, qui ont porté ses fruits au final, peuvent avoir des répercussions lourdes sur la crédibilité de ces hautes personnalités. Dans les coulisses, il se marmonne que d’autres interpellations et auditions seront d’ailleurs menées. Des responsables politiques locaux, des officiers supérieurs de l’armée et même des responsables traditionnels seront, apprend-on, auditionnés.

Certainement pour éplucher comment les négociateurs ont eu des contacts avec les terroristes basés au Nigéria et Comment sont-ils parvenus à les convaincre. Rappelons que l’affaire Liman Malloun Oumaté Boukar, le présumé rebelle des Monts Mandara avait aussi fait couler beaucoup d’encre et de salive. Ce natif de Mora qui a ameuté la République en 2009 était présenté comme celui là qui voulait destituer Biya. Sa tête avait été mise à prix pour quiconque le traquerait. En un laps de temps, il avait été capturé.

L’opération était toujours menée par ces hauts cadres de l’Etat aujourd’hui impliqués dans la libération des otages français. Après ce succès, des révélations ont été faites selon lesquelles, cette affaire était fabriquée de toute pièce. Les artisans à l’époque n’étaient pas en odeur de sainteté avec le chef de l’Etat et il fallait trouver un alibi pour regagner la confiance du locataire d’Etoudi. Le coup avait réussi.

 

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