Cameroun - Politique. Unité nationale : Corruption, malversations, ou les grands maux de la nation

Denis Nkwebo | Le Jour Vendredi le 22 Mai 2015 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La distraction des biens collectifs au profit d’une minorité, la distribution des rentes aggravent la fracture sociale et menacent la cohésion nationale.

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Les Camerounais, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest sont-ils véritablement unis ? Au cas où on répondrait par l’affirmative, il resterait la question de savoir sur quel socle repose une telle unité. De tous les coins du pays, dans les rues des grandes métropoles, le discours sur la corruption prospère. Une bonne place est accordée à l’évolution des détournements des deniers publics et à la lutte que mènent prétendument les autorités contre les prévaricateurs de la fortune publique. A regarder de près, il y a là, une floraison d’opinions, faisant de la corruption un mode de subsistance du régime en place, et de la distribution des rentes une stratégie d’alliance.

 

Qu’il s’agisse de la distraction des fonds publics ou de la distribution des rentes, le débat porte sur la menace qu’elles représentent pour la cohésion nationale. C’est dans les quartiers chics de nos grandes métropoles qu’il faut aller chercher les images de la corruption. Elles ont toutes les allures  d’une ségrégation organisée. Des immeubles futuristes sortent de terre à Makepe, Bonamoussadi, Logpom, Yassa à Douala. Des bâtisses jumelles ont été érigées ou alors sont en cours de construction à Bastos, Golf, Mvan, Odza à Yaoundé. Les propriétaires de ces domaines ne sont ni de fonctionnaires moyens ayant obtenu des facilités ou des crédits bancaires, encore moins des hommes d’affaires ayant fait fortune dans le grand commerce ou l’industrie.

 

Les propriétaires sont ces jeunes hommes et femmes qui, par la force de l’enrichissement personnel organisé au plus haut sommet de l’Etat, ne dissimulent plus le fruit de leur corruption. Au nombre de ces riches, de ces citoyens ne payant aucun impôt, et ne profitant que des « belles pratiques d’un régime de gratification abondante », il y a les obligés de tous ordres, les soutiens sans faille de « l’homme providentiel » qui tient le pays depuis plus de 30 ans. Ce sont eux qui bénéficient d’un régime de faveurs. Ils appartiennent à la République des privilèges, où tous les « crimes » sont permis, à condition que le pouvoir politique reste et demeure dans un seul et même camp. La richesse artificielle qui résulte des rentes politiques et de tous les autres services rendus, ne contribue ni à l’effort national pour le développement et la croissance, ni à la redistribution dont l’Etat se doit d’assurer l’équité et l’utilité. Dans ces conditions, le décor de la division est planté.

 

Pauvreté

 

Selon la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, plus de 1000 milliards de Francs Cfa représentant des fonds publics ont été détournés au Cameroun entre 2010 et 2013. Le plan d’urgence récemment décidé par le chef de l’Etat a prévu une enveloppe de 50 milliards de Francs Cfa à la construction de 1000 logements sociaux. Soit une somme record de 50 millions de Francs Cfa par logement social. Le fonctionnaire moyen ne peut supporter l’achat d’un logement coutant plus de 15 millions de Francs Cfa. Par conséquent, les logements dits sociaux, surfacturés pour les besoins de la cause, seront ensuite vendus aux plus riches. Il y a donc toute une politique de mise à l’écart des moins nantis, à commencer par une bonne partie du personnel de l’Etat.

 

Dans ces conditions, les citoyens parmi les plus pauvres sont condamnés à vivre dans l’indigence, lorsqu’au même moment, les privilégiés de la République organisent et mettent en route, la sélection par l’argent et le sang. Dans les campagnes, l’agriculture s’est effondrée suite à la suppression des subventions de l’Etat. Les semences, les terres arables, les financements se font rares. Les facilités et les infrastructures de base sont introuvables tandis que les rares équipements datant de la période coloniale sont en ruine. La carte scolaire se conçoit en théorie alors que le troisième trimestre scolaire a duré moins de dix jours dans la plupart des établissements. Les universités et les grandes écoles forment les futurs chômeurs.

 

Sous la pression du fisc et face à la voracité des agents temporaires recrutés sur des bases claniques aux impôts, les entreprises ferment et mettent leur personnel dans la rue.

 

Unis pour le mal

 

Qui sont donc ces personnes qui se partagent le bien public en comités restreints ? De quelle région et de quelles tribus sont issus les prévaricateurs de la fortune publique au Cameroun ? Un petit tour dans les couloirs du Tribunal criminel spécial ou alors une visite carcérale à la prison de New-Bell et à celle de Kondengui renseigne sur l’ampleur du mal, et sur la toile nationale que les corrompus ont tissé. Toutes les dix régions du Cameroun ont contribué au contingent d’anciens hauts dignitaires de la République, des directeurs généraux et des cadres de l’administration, qui croupissent dans les prisons. Lors de procès de l’opération « Epervier », aucun accusé n’a pu apporter la preuve que les sommes réputées détournées ont été utilisées au profit du village ou de la tribu.

 

Aucun accusé n’a indiqué en quoi telle région ou telle autre aurait profité de la distraction des fonds en cause. Ironiquement, l’homme de la rue a théorisé une « onzième province », dont seraient originaires toutes les personnes qui s’enrichissent par la corruption ou par l’effet des rentes politiques. La nouvelle carte géographique et administrative qui en découle, de manière tacite, trahit une unité d’action et une autre unité d’intérêt pour cette minorité. Ainsi donc, la corruption au sein de la nation, rassemble ses adeptes. Ils usent de trafics de toutes sortes pour maintenir l’unité du groupe et tenir l’opinion publique. Ils agitent le spectre du chaos, et taxent d’antipatriotes tous ceux qui s’aventurent à dénoncer leurs pratiques. Ils agitent également l’arme de la guerre civile, et soutiennent que si le régime en place tombe, le Cameroun plongerait automatiquement dans les troubles comme il y en a eu en Centrafrique, au Congo Brazzaville ou au Burundi.  

 

Fracture

 

La corruption, l’enrichissement illicite ainsi que le régime des rentes ont divisé le Cameroun en deux. Ils ont contribué à agrandir le fossé entre les riches et les pauvres, en même temps qu’ils cassent le sentiment d’appartenance, base de l’unité nationale. La corruption donne à penser qu’il y aurait au Cameroun une tribu des riches, une tribu des privilégiés, une tribu des hauts commis. Elle a occasionné la prééminence des clans dans une nation qui se construit difficilement. Du coup, le développement harmonieux, la planification économique, l’intégration des composantes sociales ont été rendus impossibles.

 

Le tribalisme, le népotisme, le clientélisme ainsi que d’autres petites idéologies de subsistance politique se développent. Le régime politique en place en profitait. Du moins, jusqu’à ce que l’appareil soit secoué par de fortes contradictions internes. En effet, face à la clameur publique, Paul Biya décide, entre 2003 et 2004, de s’attaquer à l’affairisme de son système. Il prend son entourage immédiat pour cible principale. Pendant 18 mois, c’est la Direction de la sécurité présidentielle qui est chargée d’enquêter sur la fortune de 16 personnalités parmi les plus influentes de la République.

 

 

 Le chef de l’Etat veut un inventaire des biens, meubles et immeubles, et une projection sur les comptes bancaires. Les premiers résultats sont accablants pour toutes les personnes ciblées. Il y a dans cette liste, des fidèles, mais aussi d’anciens fidèles à qui les renseignements présidentiels prêtent des ambitions présidentielles. Il fallait alors faire d’une pierre deux coups : arrêter ou circonscrire la gangrène de la corruption, et mettre hors d’état de nuire les plus ambitieux. L’opération « Epervier » est lancée. Ancien premier Ministre, anciens secrétaires généraux de la présidence de la République, anciens ministres, directeurs généraux des sociétés d’Etat, maires et autres hauts cadres de l’administration passent à la trappe.

Au sein de l’opinion, la campagne dite d’assainissement ne fait pas l’unanimité. Les uns parlent de chasse aux sorcières et dénoncent l’enrichissement illicite du chef de l’Etat lui-même, tandis que les autres soutiennent et approuvent la campagne d’assainissement des moeurs publiques. La seconde fracture, et peut-être celle susceptible de mettre en péril les équilibres, est consacrée. Dans le sérail, il y a une tension dans l’air. Président, ministres et hauts cadres sont probablement trahis, mutuellement. Chaque jour qui passe, la crainte est grande, quant à un sursaut des personnes menacées d’emprisonnement et d’embastillement dans le cadre de l’Epervier.

 

Un officiel aujourd’hui à la retraite, affirme que « la stabilité de notre pays n’a jamais été aussi menacée ». Il parle d’un climat de méfiance qui augure d’une transition tumultueuse à la tête du pays. Si les choses se passent mal, comme pronostiqué par plusieurs observateurs de la scène politique nationale, l’unité nationale sera encore plus menacée que jamais.

 

 

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