Cameroun - Nigeria. Révélations sur la libération des otages français

L'Oeil du Sahel Jeudi le 25 Avril 2013 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La longue marche qui a conduit à la libération de la famille Tanguy Moulin-Fournier.

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Quelques jours après, le voile se lève peu à peu sur les conditions de la libération des otages français enlevés le 19 février dernier à Dabanga dans l'Extrême-Nord du Cameroun. Les sept membres de la famille Tanguy Moulin-Fournier ont été libérés le 19 avril 2013 entre 2 et 4h du matin. Ils ont été récupérés à deux kilomètres de Banki, précisément à Narikou, une bourgade rétrocédée au Cameroun à la suite de la décision de l'arrêt de la Cour de Justice de la Haye, dans le cadre de l'affaire Bakassi intervenue en octobre 2012. Là, une rivière fait office de frontière entre le Cameroun et le Nigeria, et en saison sèche comme c'est le cas actuellement, la traversée se fait tranquillement pour les piétons.

De sources concordantes nigérianes, les intermédiaires ont conduit les otages au lieu de leur libération à bord de deux véhicules, dont une Toyota Prado suivie d'un pick-up neuf. Le petit convoi était escorté de deux motos. Tout ce beau monde a été aperçu à Banki aux environs de 20h, puis, le convoi, trop voyant, est reparti vers le village Barkari se remettre au vert, avant de rejoindre péniblement le lieu du rendez-vous. Au total, le convoi comportait une vingtaine de personnes, otages et intermédiaires de l'escorte compris.

Une fois l'échange fait, l'équipe camerounaise chargée de récupérer les otages, constituée pour l'essentiel des hommes du Bataillon d'Intervention Rapide (BIR), a immédiatement repris la route pour Maroua. Les otages ont été directement conduits à l'aéroport de Maroua où, arrivés autour de 6h, ils ont embarqué dans un avion militaire de fabrication chinoise de l'armée camerounaise.

Celui-ci s'était posé discrètement la veille, dans la nuit, sur le tarmac de l'aéroport de Maroua avec à son bord une illustre personnalité: le Secrétaire Général de la Présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh. Sans doute, avait-il été dépêché sur les lieux une fois la certitude acquise que les otages seraient bel et bien libérés dans les heures qui suivaient. Puis, intervient le communiqué de la Présidence de la République alors même que les otages avaient à peine foulé le tarmac de l'aéroport de Yaoundé Nsimalen et que Ferdinand Ngoh Ngoh était à peine descendu de l'avion militaire ...


Mais ça, c'est une autre affaire.

C'est que les événements s'étaient accélérés quelques jours plus tôt. Le Général israélien Maher Hères, Conseiller technique à la Présidence de la République en charge de la formation des unités spéciales et grand patron du Bataillon d'Intervention Rapide (BIR), avait pris ses quartiers à Maroua depuis le 14 avril 2013. Un signe avant coureur de ce que tout s'accélérait, d'autant plus que ceux qui suivaient l'affaire de près n'ignoraient pas que le Cameroun avait fait un geste de bonne volonté dans la contribution aux pourparlers avec la secte ou du moins le groupe qui détenait les otages et avait obtenu le label «Boko Haram» pour faire monter les enchères.


Négociations

Au lendemain de la visite au Cameroun du Ministre français des Affaires Etrangères, les 15 et 16 mars 2013, le BIR avait exfiltré nuitamment vers la frontière nigériane, à partir de Maroua, au moins quatorze membres de la secte où figuraient Bana Modu, Badou Oumar, Abba Ahmat, Adoum Mahamat, arrêtés le 13 octobre 2012 au pont d'Amchidé en possession de 1.399 munitions, un pistolet automatique et une kalachnikov et détenus à Maroua.

Pour mener à bien son opération, le BIR avait loué ce jour à Maroua, auprès de la société de transport interurbain Touristique express, un bus de 14 places où ont pris place dans la nuit les membres de la secte ou supposés comme tels. S'ils n'avaient pas les yeux bandés, un tissu noir couvrait leur tête et ils semblaient totalement méconnaissables aux éventuels curieux.

C'est donc un convoi de cinq véhicules, quatre du BIR et le bus qui a quitté Maroua en direction d'un lieu indiqué de la frontière où ils ont été relâchés. Seule certitude, au moment de quitter la capitale régionale de l'Extrême-Nord, le bus était plein à craquer et chacun des passagers s'était vu gratifier d'une petite cagnotte pour qu'il rejoigne sa famille une fois la frontière franchie...

D'autres membres de la secte, ceux qui étaient vraisemblablement enregistrés par Boko Haram seront libérés au moment de la récupération des otages, parmi lesquels le plus important était Moustapha Mohamed, arrêté le 31 octobre 2012 à Fotokol en possession de tracts de Boko Haram en langue Haoussa et dont la mission était d'installer une cellule de Boko Haram à Fotokol, et qui était au frais à Yaoundé. Jusqu'à la dernière minute, il est resté aux mains des Camerounais. Une sage précaution au cas où, à la dernière minute, l'affaire aurait tourné... Cahuzac.

«Nous en savions beaucoup sur ceux qui ont pris les otages mais nous ne voulions pas mettre la vie des otages en danger. Ils n'ont jamais quitté l'Etat de Borno. Rapidement, nous avions compris que les ravisseurs étaient intéressés par le paiement d'une rançon et que les autres revendications servaient simplement à noyer le poisson et à créer un cadre adéquat pour les pourparlers», reconnaît une source haut placée au State Security Service (SSS) à Maiduguri, la capitale de l'Etat de Borno, limitrophe du Nord-Cameroun.

Comment le Cameroun en est-il arrivé à piloter le dossier bien que les otages aient été enlevés sur son territoire mais «sécurisés» ailleurs? A en croire toujours les informations obtenues auprès des sources nigérianes introduites, toutes les parties avaient intérêt à mettre le Cameroun en première ligne.

«La secte, pour des raisons sans doute de leadership interne, n'a pas souhaité discuter avec les autorités nigérianes au risque de voir sa direction totalement discréditée. Un de ses chefs, celui qui a les faveurs des médias, Abubakar Shekau, vient de rejeter l'offre d'amnistie du Gouvernement. Il ne peut pas être dans cette posture et discuter même indirectement avec nous d'autant plus qu'il avait publiquement associé son image, quoi que tardivement, à cette prise d'otages. Pour nous, cela a été une aubaine, car payer une rançon ou cautionner publiquement cette démarche aurait été difficilement tenable. Cela aurait signifié se tirer une balle dans le pied. Cela se serait résumé à quelque chose de stupide, c'est-à-dire que le Gouvernement du Nigeria finance le terrorisme sur son territoire», explique notre source.

Et de poursuivre: «La France, elle, est fidèle à son principe qu'elle ne paye pas officiellement de rançon et ne sous-traite pas ce volet, sous quelque forme que ce soit, ce qui permet toujours de sortir la tête haute. Pour le Cameroun, c'était aussi une belle opportunité, une occasion de se mettre en valeur à peu de frais. Il montre qu'il est capable de résoudre des questions sécuritaires qui se posent sur son territoire, engrange au passage de gros bénéfices politiques, et permet à la France de dissimuler son rôle pourtant déterminant dans cette affaire», indique la source nigériane proche du dossier.

Le Nigeria, contrairement à ce que les évènements peuvent laisser croire, n'a pas été tenu à l'écart des négociations et a même eu à poser des conditions et à obtenir satisfaction sur certains points. «Nous avons multiplié des gestes de bonne volonté pour accompagner positivement les négociations, mais la France a tenu compte du fait que verser la rançon à des terroristes, même si c'est le Cameroun qui s'en charge, c'est financer le terrorisme, c'est renforcer les capacités opérationnelles de la secte. Sans cela, le Cameroun ne pouvait pas prendre le risque de verser de l'argent à des terroristes pour s'autofinancer, car après tout, ce sont les Nigérians qui payent le lourd tribut de la folie meurtrière de cette secte», signale un haut responsable du SSS du Borno State.

De fait, selon les analystes nigérians de Maiduguri, si la secte Boko Haram est en quête aujourd'hui de ressources financières, c'est qu'elle n'arrive plus à se servir convenablement sur le stock de l'armée. Elle a donc besoin de grosses sommes d'argent pour acquérir des armes à l'extérieur, notamment au Soudan, les faire transiter par le Tchad avant de les introduire au Nord-Cameroun et enfin dans l'Etat de Borno.

Sans la «compréhension» de la France, le Nigeria n'aurait sûrement jamais accepté que les intermédiaires du Gouvernement du Cameroun fassent parvenir, au finish, plusieurs millions de dollars aux ravisseurs. Au final donc, tout aura été minutieusement arrangé entre les trois pays. Y compris le cours des évènements.

Quid de négociateurs camerounais? «Nous les avons accompagnés parce qu'un faux pas des services de sécurité et l'affaire capotait. Les négociateurs camerounais avaient de bonnes entrées dans l'Etat du Borno State et cela nous a beaucoup surpris», souffle le responsable nigérian. Mais pas de nom, même si de nombreuses sources avancent sans fournir aucune preuve le nom de l'Honorable Abba Malla, député RDPC du Mayo-Sava. Ce dernier, il est vrai, pour des raisons encore inconnues, est invisible à l'hémicycle depuis le début de l'actuelle session. Et ce n'est pas tout: c'est l'homme de main, au Nord-Cameroun, de l'ex-tout puissant Gouverneur du Borno State, Modu Shérif...

Manipulation médiatique

Les Nigérians en savent également bien plus sur la stratégie communicationnelle mise en place. «Nous étions informés de ce qui allait se passer, la partie se jouait quand même sur notre territoire. Nous avons dégarni le secteur conformément aux accords pour que la libération se passe dans de bonnes conditions. Il était toutefois impératif que le Cameroun assume la paternité de l'opération, afin que nous, nous n'ayons pas à rendre des comptes à notre opinion publique, et la France de même. Des trois pays impliqués, c'est le Cameroun qui pouvait mieux assurer cette communication car elle avait tout à gagner à cette étape. Vous n'allez pas quand même croire que le Ministre Français des Affaires Etrangères a été tiré de son lit subitement et a aussitôt pris l'avion pour le Cameroun comme par hasard.

Tout le monde savait, et le timing, le déni de la rançon, les hésitations de Paris à confirmer la libération, tout cela était parfaitement bien organisé. Chaque pays a joué son rôle et si tout est mis sur le compte du Cameroun, c'est simplement pour que les Gouvernements de la France et du Nigeria s'en tirent à bon compte auprès de leur opinion publique», conclut notre source.


Rançon

Les indiscrétions nigérianes recueillies à Maiduguri, fief de Boko Haram, parlent d'une rançon oscillant entre 5 et 7 millions de dollars versée par les négociateurs camerounais via des intermédiaires. Le versement, toujours selon des sources à Maiduguri, se serait déroulé en plusieurs étapes, par des circuits complexes.

Quant à la provenance de la rançon, aucun doute côté nigérian. «D'où que puisse venir l'argent, c'est le Cameroun qui a réglé officiellement la note. Il peut l'avoir fait spontanément, par humanisme, parce que les otages ont été pris sur son territoire et qu'il avait une dette morale à leur égard. Il peut l'avoir fait pour améliorer ses bonnes relations avec la France et espérer en tirer des dividendes en termes d'image, de réduction de la dette... Il peut avoir été un simple transporteur de valises et que l'argent a été versé par des tiers... Si vous cherchez l'origine des rançons, autant remonter les comptes des paradis fiscaux. La seule certitude, c'est que l'argent a été versé par les négociateurs camerounais. Maintenant que l'affaire s'est bien terminée, le plus difficile commence pour nous: remonter la chaîne depuis les bandits qui ont kidnappé les otages jusqu'à ceux qui ont encaissé l'argent», ricane notre source nigériane.


Le BIR à la manœuvre, les autorités administratives locales exclues...

La libération des otages français a encore mis en exergue le rôle prépondérant du Bataillon d'Intervention Rapide dans le dispositif sécuritaire du Cameroun. Cette affaire montre qu'elle est finalement le maillon de confiance à tout faire du régime.

Pour l'exfiltration des membres de Boko Haram, alors que les observateurs s'attendaient à voir à la manœuvre la Direction Générale de la Recherche Extérieure (DGRE), c'est finalement les hommes du Général israélien Maher Herez, grand patron du BIR, qui ont pris le contrôle de toute l'opération. Un camouflet pour la DGRE? Elle n'avait pas une profondeur stratégique dans le dossier, précise de fins connaisseurs. Pis, le Secrétaire Général de la Présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, qui coiffe les services de renseignement, suivait particulièrement le dossier côté camerounais et pour une raison ou une autre, voulait s'accaparer seul toute la lumière. A moins que ce ne soit une recherche de discrétion absolue. Plus globalement, que ce soit les patrons de la gendarmerie, de la police, ou mieux encore de l'armée, aucun n'a été associé de près aux négociations.

Quid des autorités administratives locales? C'est en suivant le communiqué de la Présidence de la République lue sur les antennes de la radio publique, dans la matinée du 19 avril 2013, que le Gouverneur de l'Extrême-Nord a appris la bonne nouvelle et que le Préfet du Mayo-Sava a découvert que les otages avaient été libérés dans son territoire de commandement. Les négociateurs camerounais, coachés jusqu'au bout par les Français, avaient pris de précieuses précautions pour mener à bon port leur affaire. La fausse alerte annonçant la libération des otages français quelques jours seulement après leur enlèvement, information rapidement démentie, a convaincu bien d'acteurs que l'agitation caractérisait beaucoup de responsables en poste dans la Région de l'Extrême-Nord. Il était donc hors de question qu'ils soupçonnent quoi que ce soit.

Avant d'être exclues du circuit, autorités administrative de la région et chefs traditionnels avaient été pourtant mis à contribution. A la fin du mois de février 2013, le Sultan de Makary, Ali Mahamat et son compère de Logone Birni, Mahamat Bahar, s'étaient rendus à Ndikwa rencontrer le shehu (chef) de cette importante chefferie traditionnelle qui règne sur une vaste région transfrontalière du Nord-Cameroun, afin qu'il déploie ses antennes pour que les otages soient rapidement retrouvés. Ce dernier les a poliment invités à retourner chez eux, ne voulant pas attirer sur lui les foudres de la secte Boko Haram. Les autorités ont par la suite formé discrètement des personnes installées le long de la frontière avec le Nigeria dans les Départements du Logone et Chari et du Mayo Sava à qui elles ont remis des GPS...

Tout ce tâtonnement et les dépenses qui l'accompagnent se sont produits avant que l'on ne tombe sur l'oiseau rare, celui qui a fait aboutir les négociations.

Awa Fonka Augustine, Gouverneur de la Région de l'Extrême-Nord: «Tout s'est passé dans la négociation».

Quel est votre état d'esprit après la libération des otages français?

C'est un jour heureux. D'abord, c'est un ouf de soulagement pour le Gouverneur que je suis et qui portait ce fardeau sur ses épaules. Les populations de la Région de l'Extrême-Nord sont contentes après la libération des otages français qui intervient exactement deux mois après leur enlèvement.

C'est l'occasion pour moi de remercier ma hiérarchie, le Ministre de l'Administration Territoriale et de la Décentralisation, tous les membres du Gouvernement et ainsi que mes collaborateurs et les forces de sécurité. Ils sont restés soudés dans la recherche des informations. Je n'oublie pas aussi les élites de la région qui ont travaillé dans l'ombre pour un dénouement heureux de cette affaire. C'est aussi l'occasion de dire merci au Président de la République, qui a pesé de tout son poids et de toute sa diplomatie pour que cette affaire des otages puisse aboutir à une heureuse issue. Les services de sécurité ont travaillé jour et nuit sans relâche pour aboutir à cet heureux dénouement. Je remercie le Préfet du Département du Logone et Chari, le Sous-préfet de Fotokol et les chefs traditionnels avec qui, nous avons travaillé en étroite collaboration. Un merci spécial à un prêtre catholique dont je préfère taire le nom. Ce prélat est venu se présenter auprès de moi en présence de son évêque pour proposer de se substituer à l'épouse et aux enfants pris en otages. C'était lors de la semaine sainte. C'est un cas qui m'a beaucoup touché pendant cette période.


Comment a été négociée la libération des otages? Quel a été le rôle de l'armée?

Je ne suis pas sûr que vous ayez entendu un coup de feu quelque part. C'est une indication que tout s'est passé dans la négociation. Les gens ont compris que le Cameroun étant un pays de paix, il ne faut pas qu'on nous amène des problèmes, d'ailleurs qui ne nous concernent pas. Les Français qui étaient des touristes et qui sont venus rehausser notre économie, il fallait absolument les libérer. Vous savez que parmi les otages il y avait des enfants et une femme, et cela a vraiment touché tout le monde.


Même après cette libération, la psychose de l'insécurité plane toujours...

Il faut rappeler qu'avant cet enlèvement, la région ne connaissait pas de problème de sécurité. Cette prise d'otages est un acte isolé qui ne remet pas en cause les efforts que les forces de maintien de l'ordre ont abattu et sont en train d'abattre dans la région. Je crois qu'après cet incident dont le dénouement a été heureux, nous allons continuer à travailler encore pour plus pour renforcer le niveau sécurité.

Il y a certains occidentaux qui sont partis, mais d'autres sont aussi arrivés. Aujourd'hui, avec les démarches qui sont engagées au plus haut niveau par le Président de la République, je crois que la Région de l'Extrême-Nord va très vite redevenir une région de quiétude où les gens peuvent circuler librement et vivre en paix. D'ailleurs, dans quelques jours, nous allons recevoir des Turcs et autres Occidentaux, de même que certains opérateurs économiques qui souhaitent investir ici dans la Région de l'Extrême-Nord. Cette visite est une preuve qu'en dépit du malheureux incident, les gens croient toujours à nos potentialités et à la tranquillité qui règne chez nous.

RAUL GUIVANDA ALI SHAGARI A MAIDUGURI ET JEAN AREGUEMA
 

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