Cameroun - Economie. Les misères des 45.000 épargnants de Cofinest

Le Jour Mardi le 13 Mars 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Micro-finance. La police et la gendarmerie sont systématiquement mobilisées pour réprimer les manifestations des clients abusés. L’opération de remboursement piétine un an après.

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Place des Portiques au quartier Akwa à Douala. Place forte des revendications des épargnants de la Compagnie financière de l’estuaire (Cofinest) depuis un an. Leur dernière manifestation remonte aux 27 et 28 février 2012.

Moins nombreux que par le passé, les épargnants ont observé un énième sit-in, deux jours durant, devant la direction générale et l’agence de Cofinest. Les manifestants ont sorti des pancartes une fois de plus pour dire leur colère. Morceaux choisis : « Cofinest, un an après. Que deviennent nos épargnes ? », «M. le Président de la République, nous vous avons voté dans l’espoir que vous serez à notre écoute. Que justice soit rendue ».

Le deuxième jour de la manifestation, les épargnants ont dégonflé les roues de la voiture du liquidateur bancaire et judiciaire de la Cofinest, François-Xavier Zinga, en l’absence de celui-ci. Les manifestants ne sont pas allés plus loin. Le déploiement policier était suffisant pour décourager même les plus agressifs. C’est chaque fois pareil. Dès que les épargnants de Cofinest sortent dans la rue, les autorités leur envoient la police et la gendarmerie.

La tension était montée d’un cran dans le pays, au lendemain de la fermeture de toutes les représentations de la Cofinest, le vendredi 18 février 2011. L’affaire venait davantage pourrir le climat social à Douala, la capitale économique, déjà survoltée à cause de la semaine des martyrs, annoncée pour le lundi suivant. Et lorsque les épargnants de Cofinest descendaient dans la rue à Akwa et Deido le lundi 21 février, les autorités de la ville, craignant une récupération politique, déployaient la police et la gendarmerie. Les manifestants ont bloqué la route sur la place des Portiques et sur le boulevard de la République. Ils sont revenus les jours suivants. Et ce n’est que partie remise le 28 février, lorsqu’ils sont dispersés au gaz lacrymogène par des policiers et des gendarmes. Un jeune homme a été violenté. Une dame s’est évanouie.

Remboursez, remboursez…
Depuis le temps, les manifestants exigent le remboursement de leur argent. Leur colère est d’autant plus grande que certains avaient fait des dépôts le jour même de la fermeture de la Cofinest, alors que d’autres effectuaient des retraits. L’information, lâchée par des employés, avait circulé sous cape. En plus, peu de clients étaient au courant de la situation financière de la Cofinest, pourtant placée sous administration provisoire depuis 2007. L’entreprise créée en 1996 allait mal, mais avait gardé une apparente sérénité, attirant toujours un peu plus de clients, estimés à 45.000, à sa fermeture en 2011.

Il y a eu deux administrateurs provisoires nommés par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) : Calvin Bikoko et Guy Bertrand Kamdem ; ce dernier avait l’avantage d’être un des actionnaires. Lorsque François-Xavier Zinga arrive en 2010, c’est pour la liquation. Il n’empêche que personne n’attendait que celui-ci décide de fermer l’entreprise le 18 février 2011.

La réponse du gouvernement était tatillonne. On n’en finissait plus de convoquer les épargnants à des réunions sans issue. Le ministre des Finances de l’époque, Essimi Menye, était monté au créneau pour annoncer la réouverture des guichets de la Cofinest dès le 24 février. Promesse non tenue. Au terme de dix jours de manifestations, le Minfi s’est résolu à venir à Douala. Les remboursements avaient finalement débuté le 1er mars dans les guichets d’Afriland First Bank, pour les quelque 17.000 petits épargnants dont les montants étaient inférieurs 50.000 F.Cfa. Les autres attendraient. Mais beaucoup ne trouvaient pas leur nom sur les listes, tandis que d’autres contestaient les montants. Un an plus tard, l’opération de remboursement piétine. Et les gros épargnants ne savent toujours pas s’ils vont un jour passer à la caisse.
Des observateurs avertis doutent de la capacité de Cofinest à rembourser toutes les épargnes. « Les actifs sont évalués à 3 milliards F.Cfa alors que les montants réclamés atteignent 18 milliards », s’inquiète Pierre Monkam, expert financier. Un avis partagé par l’économiste Christian Essawe Eyobo.

Les actionnaires de la Cofinest sont accusés d’avoir vidé les caisses de l’établissement en contractant des crédits faramineux. Michel Kamdem, ancien directeur général, est souvent cité. Le préfet du Wouri, Bernard Okalia Bilaï, avait fini par mettre à exécution sa menace de faire arrêter les débiteurs de la Cofinest. Michel Kamdem et deux autres avaient été placés en garde à vue puis déférés au parquet de Bonanjo à Douala pour abus de confiance. Mais le procureur de la République avait finalement ordonné leur libération. Le feuilleton judiciaire se poursuit au tribunal de Gande instance du Wouri, saisi par le liquidateur, François-Xavier Zinga.
 

Assongmo Necdem

La Cofinest en bref

1996 : création de la Compagnie financière de l’estuaire.
20 août 2004 : agrément comme établissement de micro-finance de 2ème catégorie, société anonyme
17 décembre 2007 : décision Cobac portant suspension des organes sociaux (directeur général, président du conseil d’administration, conseil d’administration).
17 décembre 2007 : désignation de Calvin Bikoko comme mandataire de la Cobac à Cofinest.
3 décembre 2009 : décision de la Cobac portant nomination de Guy Bertrand Kamdem comme mandataire de la Cobac à la tête de Cofinest, en remplacement de Calvin Bikoko.
19 juillet 2010 : décision de la Cobac portant nomination de François-Xavier Zinga en qualité d’administrateur provisoire de la Cofinest.
19 juillet 2010 : décision Cobac portant désignation de François-Xavier Zinga comme liquidateur bancaire de la Cofinest et retrait d’agrément à Cofinest.
15 décembre 2010 : requête de François-Xavier Zinga auprès du Tribunal de grande instance du Wouri en qualité d’administrateur provisoire et liquidateur bancaire pour se faire désigner liquidateur judiciaire de Cofinest.
9 et 15 février 2011 : opposition devant le Tgi du Wouri de certains actionnaires au cumul des trois fonctions d’administrateur provisoire, liquidateur bancaire et liquidateur judiciaire de Cofinest par François-Xavier Zinga.
18 février 2011 : François-Xavier Zinga exacerbé, décide de fermer toutes les agences de Cofinest.
 

Les plaintes pleuvent au tribunal


Enjeux financiers. Devant les seules juridictions de Douala, au moins cinq procès ouverts contribuent à animer la crise.

Lorsque la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac) est alertée par des contrôleurs sur la situation inquiétante de la Compagnie financière de l’estuaire (Cofinest), une suite judiciaire de l’affaire se dessine en même temps. En cause, des créances dites douteuses, imputées à l’Union sportive de Douala (1,4 milliard de francs Cfa), la Société de gestion immobilière et financière ayant pour promoteur Michel Kamdem (345 millions francs Cfa), Michel Kamdem (222 millions francs Cfa), établissements Fokou Confort (404 millions francs Cfa), Thomas Jeuna (157 millions), et 15 autres débiteurs. Le total est 3,9 milliards de francs Cfa. Le 17 décembre 2007, la Cobac réagit en nommant Calvin Bikoko comme mandataire de Cofinest en même temps qu’elle suspend les organes sociaux, à savoir le directeur général, le président du conseil d’administration et le conseil d’administration.

Là ne s’arrête pas la série des décisions qui vont déboucher sur une cessation des activités et un enlisement dans les procédures judiciaires. Le 3 décembre 2009, la Cobac remplace Calvin Bikoko par Guy Bertrand Kamdem. Le 19 juillet 2010, François-Xavier Zinga est nommé administrateur provisoire de la Cofinest. Le même 19 juillet, François-Xavier Zinga est nommé liquidateur bancaire de Cofinest dont l’agrément est du même coup retiré. En date du 15 décembre 2010, François-Xavier Zinga introduit une requête auprès du tribunal de Grande instance du Wouri, en qualité d’administrateur provisoire et liquidateur bancaire. Le but visé étant de se faire désigner liquidateur judiciaire. Certains actionnaires s’opposent au cumul de fonctions et saisissent le Tgi du Wouri les 9 et 15 février 2011. Le 18 février 2011, François-Xavier Zinga décide de la fermeture de toutes les agences de Cofinest.

Aux commandes, François-Xavier Zinga, avec l’aide des autorités administratives, qui le soutiennent visiblement dans l’affaire, fait interpeller les principaux actionnaires, qui sont aussitôt libérés suite à des pressions politiques. M. Zinga porte également plainte contre l’Union de Douala. Une action en recouvrement d’une créance de 1,4 milliard de francs Cfa, encore pendante. Le temps passe. Les débiteurs ne payent pas. Les épargnants attendent que justice soit rendue. Leur épargne aussi.

Denis Nkwebo

Les paiements bloqués

Remboursements. Afriland First Bank a suspendu les paiements depuis août 2011 pour défaut de liquidités. Ce que conteste Cofinest.

La Compagnie financière de l’estuaire (Cofinest), en liquidation, affirme qu’elle a alloué 1.400.834.093 FCfa à Afriland First Bank pour le remboursement des dépôts effectués par les 43.894 clients recensés à travers le territoire national. Pour faciliter les opérations, il avait été convenu que les paiements s’effectueraient en trois phases. Les deux premières phases concernaient les épargnants dont le montant des dépôts est compris entre 1 et 50.000 FCfa, d’une part, et ceux réclamant un montant compris entre 50.001 et 100.000 F Cfa, d’autre part.

Lors de ces deux premières phases, une enveloppe globale de 282.948.047 F Cfa a été payée, sur les 846.929.587 F alloués pour ces phases. Au finish, seuls 7.167 épargnants ont effectivement perçu leur argent. Le montant de l’argent payé est de 282.948.047 FCfa, au profit des épargnants dont les dépôts ne dépassent pas 100.000 FCfa. Ceux réclamant au moins 100.000 et au plus 500.000 FCfa sont toujours dans l’expectative. Depuis août 2011, en effet, les paiements sont bloqués à Afriland First Bank. Le solde disponible à ce jour dans cette banque, à en croire la liquidation de Cofinest, est de 1.117.886.046 FCfa. Cette somme est répartie comme suit : 563.981.540 F pour désintéresser les épargnants ayant déposé au plus 100.000F et 533.904.506 FCfa à verser à ceux concernés par la 3ème phase des opérations (100.001 à 500.000 F).

Le 28 février 2001, lors d’une réunion tenue dans les services du gouverneur de la région du Littoral à Douala, le ministre des Finances avait pourtant instruit le paiement des épargnants. Pour le liquidateur bancaire, François-Xavier Zinga, «Afriland First Bank a unilatéralement suspendu les opérations de remboursement des épargnants alors même que celles-ci étaient rendues à leur troisième phase ». De son côté, Afriland affirme que le compte afférent aux paiements n’est pas suffisamment liquide et approvisionné. Un épargnant explique que « ce sont les juges commissaires qui ont bloqué les fonds pour empêcher le liquidateur de faire son travail, le procès de la liquidation étant pendant ».

Théodore Tchopa

Votre avis : Comment vivez-vous après la cessation de paiement à Cofinest ?

“L'expérience m'a traumatisée” : Balkissou Simé, commerçante
Le préjudice que Cofinest m'a causé est irréparable. J'avais mis tous mes espoirs dans cet établissement de micro-finance que m'avait conseillé une amie. J'ai choisi de l'écouter, il y a cinq ans. Je voulais ouvrir un glacier dans un quartier où il n’y en avait pas. Les perspectives s'annonçaient énormes. Il me fallait un million de F.Cfa comme provision de départ. J'ai réussi à atteindre 700.000 F.Cfa, j'étais presque au bout de mes peines quand j'ai appris que Cofinest a fermé. Le site où je voulais installer mon activité est occupé. J'ai décidé de me lancer dans le prêt-à-porter, ce n'est pas la même chose que la restauration. L'expérience Cofinest m'a traumatisée.

“Je n’ai aucune information” : Elie Bebey Sanama, prestataire de services
J’ai perdu plus de trois millions FCfa qui se trouvaient dans mon compte d’épargne. La fermeture de l’établissement de micro-finance Cofinest m’a causé un préjudice dans la réalisation de certains marchés publics. La veille de la fermeture, j’ai effectué un versement dans mon compte et l’administration ne nous a pas signalé un quelconque problème. Jusqu’à présent, je n’ai reçu aucune information en vue d’un éventuel remboursement.

“Mon commerce est mort” : Léa Flora Philombe, étudiante
J'avais mon compte à l'agence Cofinest de l'imprimerie Coulouma. Je l'avais ouvert quand j'entrais à l'université en 2008. A l'époque, je m'étais lancée dans un petit commerce de babioles. J'achetais des bijoux, des barrettes, des chichis, etc. J'ai ouvert mon compte d'épargne pour renforcer ma crédibilité auprès de mes fournisseurs qui exigeaient des garanties. Ils aimaient bien quand on leur présentait un compte bancaire. Jusqu'à novembre 2010, nous avions tous des carnets d'épargne, puis les gens de Cofinest ont décidé de nous remettre des cartes bancaires. Cela nous a compliqué les choses, parce que nous ne pouvions plus consulter le solde de notre compte. Malgré ça, nous avons poursuivi les opérations. Mais ils ont brusquement interrompu les paiements en nous demandant de nous rendre à Afriland First Bank. Là-bas, seuls les épargnants qui ont un solde inférieur ou égal à 100.000 FCfa ont pu être remboursés. En attendant, mon commerce est mort. J’attends toujours, car ce n'est pas l'argent que j'ai volé.

“Je voulais acheter un terrain” : Emilienne Hagbe, étudiante
J’avais près d’un million FCfa dans mon compte d’épargne. Je voulais acheter un terrain. A cette époque, je travaillais comme agent temporaire dans une entreprise de la place. Cela m’a permis de faire quelques petites économies. Aujourd’hui, mon contrat est arrivé à son terme dans ladite entreprise et je n’ai plus de revenus. Tout ce que j’avais projeté de faire est tombé à l’eau. On attend toujours les remboursements. Certains noms inscrits sur les listes de remboursement ne sont même pas des épargnants de Cofinest. Je ne me suis pas encore remise de cet incident.

Propos recueillis par
Aziz Salatou et Henriette Onguene (Stagiaire)

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