Afrique. « Panafricanisme frelaté » Les quolibets d’Achille Mbembe à l’épreuve du Panafricanisme en actes

cameroun24.net Mercredi le 27 Septembre 2023 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
L’émission « c’est pas du vent », diffusée sur les antennes de RFI-Afrique le 08 septembre 2023, dont l’interview faite avec l’intellectuel camerounais Achille Mbembe en était

ADS



1. Prologue

L’émission « c’est pas du vent », diffusée sur les antennes de RFI-Afrique le 08 septembre 2023, dont l’interview faite avec l’intellectuel camerounais Achille Mbembe en était le plat de résistance, a été pour moi la confirmation irréfutable que les propos qui circulaient dans les réseaux sociaux depuis le coup d’Etat du 26 juillet au Niger, publié dans Le Monde du 05 août et qui étaient attribués à l’aîné Achille Mbembe, n’étaient pas des Fake News. Les auditeurs de RFI ont bel et bien suivi de sa propre voix le très gênant concept du « néosouverainisme », qui n’est selon lui qu’une « version appauvrie » d’un panafricanisme « frelaté ».


2. Enonciation
Pour Achille Mbembe, que je lis depuis Critique de la raison nègre, politiques de l’inimitié, Brutalisme et La communauté terrestre, entre autres, les combats et les luttes  articulés par une jeunesse africaine décomplexée et qui s’expriment, depuis les années 80 et 90  au sein des organisations de la société civile (OSC) et autres pour l’avènement d’une Positive Peace de Johan Galtung en Afrique et aujourd’hui par les renversements armés des régimes politiques accusés d’être les arrière-gardes des pratiques mafieuses france-africaines postcoloniales comme au Mali, en Guinée, au Burkina-Faso, au Niger… ne sont que des manifestations d’un nouveau souverainisme misérable, parce que fondé sur un semblant de panafricanisme dilué, impropre et donc impur.

3. Mbembe et son talon d’Achille
Il me semble qu’Achille Mbembe refuse de comprendre ou ne comprend que très peu ce qui se passe en Afrique, hic et nunc, parce qu’il est resté enfermé dans les ornières d’un panafricanisme intellectualiste angélique, redondant et dépassé, qui depuis les indépendances et surtout avec la liquidation de sa dernière incarnation politique en 1987, est resté en mal d’articulations sur le plan sociopolitique, et qui est aujourd’hui en panne d’un recyclage ou replâtrage idéologique et conceptuel. Parce que la pensée serait en manque d’innovation et d’invention sur le continent (pas de réinvention encore moins de rénovation), Achille Mbembe se propose de « réarmer la pensée » en Afrique.  Or, il se trouve malheureusement que ce réarmement ne va s’inscrire que dans le répétitif recyclage des vieux concepts et paradigmes en termes de réinvention et rénovation idéologique et/épistémologique. Cette sorte de réchauffage régulier n’apporte rien de nouveau comme connaissance sur la situation d’une Afrique mal partie depuis les années d’indépendance. C’est une parade confortable pour rester à jamais dans la cage du tigre de Soyinka, qui proclame sa trigritude sans jamais pouvoir franchir le pas et sauter sur sa proie. Traiter donc la jeunesse africaine d’aujourd’hui (les activistes des OSC, les opinions publiques africaines, les artistes et autres jeunes soldats engagés), très avertie et qui a pleinement conscience du braquage du néolibéralisme dominant, dont les pays africains sont victimes, de panafricanistes « frelatés » est une grosse insulte, espiègle et inacceptable de la part d’un penseur de la dimension d’Achille Mbembe. En effet, qu’est-ce qu’il y a à réinventer dans le champ de la lutte panafricaine pour la libération totale du continent que cette jeunesse civile et militaire ne comprendrait pas ? Que fait cette jeunesse civile et militaire qui ne se situerait pas dans la vision politique et philosophique dont le chemin a été tracé par les Kwame Nkrumah, Lumumba, Um Nyobe, Sekou Touré et autres Thomas Sankara ? Elle ne fait que suivre les pas de ces derniers, au moment où certains acteurs hésitent encore pendant que d’autres se sont carrément conformés au statu quo.   

4. Du vrai débat
Il est de notoriété que ces annonciateurs du panafricanisme originel, non compris par la plupart de leurs contemporains, n’avaient malheureusement pas disposé d’assez de temps pour implémenter leurs idéologies panafricanistes dans la Realpolitik africaine des années avant et après les indépendances. Ils étaient tout simplement en avance sur le Zeitgeist (Esprit du Temps). Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La jeunesse africaine est en parfaite harmonie avec l’Esprit du Temps de l’époque et avec celui de maintenant ; elle n’a plus besoin de perdre du temps dans des réflexions ou des pensées métaphysiques, pharaoniques, helléniques ou gréco-romaines au lieu de passer immédiatement à l’action politique et sociale. A l’époque, seuls quelques esprits éclairés mais non compris par une masse dont l’esprit et la conscience étaient totalement plombés par l’obscurité de la nuit noire informationnelle ambiante, avaient entrepris des actions concrètes sur le terrain des opérations. Mais sans soutien décisif, ils furent tout simplement étouffés et lynchés, puis passés sous silence avec la complicité de leurs frères et sœurs africains aux service des ancêtres des nouveaux prédateurs de Colette Braeckman.

Les autoroutes de l’information de notre village planétaire, où s’entremêlent le local et le global à la vitesse de la lumière, aidant, la jeunesse africaine d’aujourd’hui dans une large mesure est de plus en plus consciente des jeux et des enjeux géopolitiques et géostratégiques qui sous-tendent la pensée et les actions des global players de la scène politique et économique internationale. Il n’est plus besoin de philosopher ; il s’agit davantage de passer à l’action ; il faut laisser un tant soit peu le panafricanisme purement lyrique et angélique là où il est et passer à l’action.
A l’exemple de la philosophie politique mise en actes par Mandela pour venir à bout de l’apartheid en Afrique du Sud, ce qui se passe sous nos yeux en Afrique, surtout francophone, est donc l’expression du vrai panafricanisme entré dans sa phase active. Le temps du panafricanisme de la négritude pleurnicharde, tout comme celui du verbiage anti-néo impérialiste est dépassé. Tous les paradigmes réflexifs ont été épuisés et il était temps de passer du verbe, de la parole à l’action et aux actes, afin que la parole fasse chair.

L’Afrique, « berceau de l’humanité », ne se doit plus de rester couchée dans ce berceau, tel un éternel bébé de toute l’humanité, parce qu’il faudrait d’abord réarmer la pensée ou réinventer quoi que ce fut. Non ! L’Afrique doit enfin sortir du berceau de l’humanité et marcher tête haute vers son grand destin planétaire, en posant des actes et des actions qu’il faut pour conquérir sa place et recouvrer son respect. De la sorte, l’évolution du Zeitgeist emporte avec lui toutes ces réflexions métaphysiques et cosmologiques menées depuis les temps immémoriaux des négritudes, des impérialismes de générations en générations, et les infuse de manière sui generis dans le subconscient et la conscience de la jeunesse africaine d’aujourd’hui.  Cette jeunesse s’en est vite imbibée et imprégnée ; elle entend faire de l’Afrique du 21ième  siècle un acteur qui compte et qui plus est, respecté sur la scène mondiale et non plus un éternel laboratoire de recyclage des pensées et des idées chimériques.

Or, le respect n’est pas un pis-aller, il s’acquiert, mieux, il se conquiert, tout comme entre les nations il n’y a pas d’amitiés, mais que des intérêts à défendre, à augmenter et au besoin en écrasant tous les autres sur son chemin. Les acquis des humanismes de l’Ubuntu africain et du Siècle des Lumières européen n’intéressent plus personne dans cette jungle géopolitique et géostratégique internationale.

5. L’afropolitanisme et nécessité d’un modèle de démocratie pour l’Afrique
C’est bien au contraire l’afropolitanisme de Mbembé qui me semble être une tentative de frelatage, de sacrifice du panafricanisme sur l’autel d’un néolibéralisme version tropicale, un Ersatz d’une Weltbürgerschaft (comospolitisme) kantien à laquelle seuls les africains ont toujours sérieusement cru et malheureusement à leurs dépens. Penser être ou devenir citoyen du monde sur cette terre des hommes où la violence structurelle multidimensionnelle est érigée en règles et la Negative Peace de Galtung en normes de gouvernance des sociétés humaines, est un leurre. L’en-commun, l’une des meilleures formes d’expression du rendez-vous universel du donner et du recevoir, s’en retrouve appauvri et devient un piége pour ceux qui, de bonne foi, y adhérent.

L’autre concept qu’Achille Mbembe jette dans les débats aujourd’hui est celui de la démocratie substantielle et qui, à ses yeux, se fonderait sur ce qu’il convient d’appeler satisfaction des besoins fondamentaux (Santé, Nutrition, Education, Logement et Travail décent et Liberté avec Amartya Sen), n’est certes pas nouveau puisque juste réinventé. Toutefois, il est l’aveu d’un manquement pour ne pas dire d’un échec historique des intellectuels africains et africanistes dans les années 90, où la démocratisation des régimes africains fut érigée (avec la conférence de La Baule) en une des conditionnalités pour l’Aide Publique au Développement. Si la démocratie est réduite aujourd’hui sur le continent au seul mécanisme du vote (Achille Mbembe parle de démocratie électorale) qui est exclusif, non consensuel, non participatif et non inclusif, comme dans l’Afrique profonde, c’est bel et bien par manque de conception d’un modèle de démocratie propre à l’Afrique et donc adapté à la Weltanschauung africaine. Le quasi-échec de 33 ans de démocratisation sur le continent est le fait de la non conceptualisation d’un modèle propre à l’Afrique dès les années 90. Démocratisation, oui, mais avec quel modèle qui tiendrait compte de l’ADN inclusif de la société africaine ? Car il se trouve que c’est le modèle jacobin copié et collé qui fait problème. Il a créé ici et là en Afrique plus de peurs existentielles, d’inquiétudes profondes et des frustrations explosives que la Paix Positive espérée et escomptée en 1990. On peut identifier quelques principes universels de la démocratie, mais il n’y a aucun modèle universel en termes de mécanismes de dévolution du pouvoir suprême.

La France a son modèle ; l’Allemagne, les USA et l’Angleterre ont taillé les leurs selon leurs différents trajectoires historiques, politiques, économiques, culturelles et philosophiques. Dans tous ces modèles, le gagnant gagne tout et le perdant perd tout. Ceci n’est pas africain. Or aujourd’hui, celui qui a la présidence de la république en Afrique, contrôle toutes les autres ressources du pays. C’est l’occupation de cette position de la présidence de la république qui est l’une des principales causes des méso-conflits et des guerres civiles entre les agrégats sociopolitiques sur le continent. L’Afrique a donc plus que jamais besoin de son modèle de démocratie institutionnelle qui normalise de manière apaisante l’accès au fauteuil présidentiel en garantissant la participation de tous et toutes. L’absence de modèle de démocratie pour l’Afrique depuis 1990 n’incombe à personne d’autre qu’à Achille Mbembe et à toute sa génération d’ici et d’ailleurs, c’est à dire du continent et des diasporas.

Repenser l’exercice de la démocratie, comme Joseph Owona hier, et aujourd’hui Achille Mbembe, en s’inspirant uniquement des systèmes politiques précoloniaux et du mode de vie communautaire africaine, relève d’une utopie politiquement et institutionnellement inféconde. Les questions de la Res publica dans l’État moderne, de la légitimité démocratique, par exemples, trouvent peu ou prou de réponses exhaustives dans nos modes d’organisation sociopolitiques anciens, d’autant plus que la démocratie constitutionnelle n’est pas d’origine africaine. Elle est différente de la démocratie palabrique de Touoyem Pascal. Dans leurs hypothèses donc, il faudrait renoncer tout simplement à la république et à la démocratie perse.  Ce qui est quasiment impossible de nos jours. L’Afrique a en effet choisi de s’arrimer à l’organisation sociopolitique étatique de l’ordre westphalien, où les Républiques ont des citoyens actifs qui devraient participer et non des sujets passifs qui subissent. Comment combiner ces externalités avec les valeurs communautaires, inclusives, restauratrices et distributives des sociétés africaines où le vivre-ensemble est le fondement fertile de la vie en soi ?
Dans une République, on peut tout se partager en matière de ressources politiques, administratives et institutionnelles à travers toute sorte de mécanismes légaux et de coalitions ou alliances politiques partisanes. Mais la ressource qui fait plus problème en Afrique, comme indiqué plus haut, et qu’on ne peut se partager à souhait, est la position de Président de la République. Le modèle de la « Democratic Rotation…in Divided Societies » que je propose règle cette difficulté de partage physique du fauteuil présidentiel, en même temps qu’il réconcilie les impératifs républicains avec l’esprit africain d’inclusion, de partage et d’acceptation mutuelle.

6. Ce qui est en jeu
La France, et de manière générale le Nord Collectif s’est engagée dans la reforme de ses relations avec le continent et par extension le Sud Global afin de reconquérir les cœurs d’une jeunesse plus qu’informée des jeux et des enjeux internationaux. Mais si on continue à perdre du temps en faussant le diagnostic dans de moins pertinents recyclages des idéologies politiques déjà éprouvées et en miroitant la réinvention des concepts et le réarmement de la pensée, on passe à côté de ce qui se produit et se déroule actuellement sur le continent africain. Car l’Esprit du Temps des années d’indépendance s’est emparé comme par enchantement d’une jeunesse africaine plus que consciente, décomplexée et qui a soif d’articuler dans les actes et les actions ce que leurs devanciers avaient si bien pensé : le panafricanisme originel et la souveraineté totale du continent.
Cette jeunesse africaine veut des actions concrètes et des actes politiques transformatifs de la part des acteurs internes et externes. C’est sans doute fatiguée d’attendre que cette jeunesse africaine et une certaine nouvelle génération des leaders africains ont entrepris de prendre le destin du continent en main. Elles n’ont plus d’oreilles pour des réchauffages conceptuels du déjà-bien dit et du déjà-entendu. Elles ont pris fait et cause pour un panafricanisme en actes.   That’s what is at stake !


Yaoundé, 20 septembre 2023  
Célestin Tagou
Associate professor of international studies (Peace, Conflict and Development Studies) Protestant University of Central Africa, Yaoundé-Cameroon

ADS

 

Lire aussi : Le président de transition du Niger en visite au Burkina Faso pour renforcer la souveraineté des deux pays.
Lire aussi : Le président du Ghana demande aux ex-métropoles de verser des réparations à l’Afrique
Lire aussi : L'Inde veut organiser un cinquième sommet Inde-Afrique en 2024

ADS

ADS

Les plus récents

Rechercher un article

ADS

ADS