Cameroun - Communication. Affaire Afrique Média :Une affaire politique ?

Mutations Jeudi le 17 Septembre 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La proportionnalité entre la faute et la sanction est questionnable.

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La décision de fermer pour un mois la chaîne de télévision à capitaux privés Afrique Média a déchainé des passions aussi bien du coté du staff de cette chaîne panafricaine que d’une bonne partie du public. Plus d’un mois après cette fermeture, le temps est venu de faire une analyse objective de cette affaire qui a ébranlé tant le milieu professionnel que les couches sociales ouvertes aux informations et aux débats. Fermeture d’Afrique media : affaire politique ? Ça en a l’air. Règlement de comptes ? En partie sans doute. Sanction déontologique ? Peut-être un prétexte. En tout cas, la proportionnalité entre la faute et la sanction est questionnable.



L’émission « Par ici le débat » diffusée sur Crtv le 1er septembre 2015,  nous a éclairés un peu plus sur les ressorts des motifs de l’interdiction temporaire d’émettre de la chaîne de télévision Afrique Média et de la suspension d’exercice de certains de ses journalistes. Le membre du Conseil national de la Communication présent sur le plateau, nous a expliqué qu’Afrique Média ne peut de nouveau émettre malgré l’expiration de la durée de trente jours d’interdiction dont elle a été frappée au mois de juin 2015, parce que le ministre de la Communication aurait informé le CNC de ce qu’Afrique Média n’est même pas détentrice d’une licence d’exploitation. Il a poursuivi en déclarant en substance que, pour cette instance de régulation des médias et de consultation, le régime de la tolérance administrative est révolu.



Soit. Mais la décision de mettre fin au régime de la tolérance administrative appartient-elle au CNC ? Si oui, qu’il ne fasse pas deux poids deux mesures. Qu’il applique cette décision à toutes les entreprises audiovisuelles qui bénéficient jusqu’à présent de cette tolérance administrative qui tient étrangement lieu de droit commun, les chaînes de radio et de télévision en règle constituant plutôt l’exception.



Le membre du CNC nous a aussi appris que, au début de l’affaire, Afrique Média narguait le CNC en se réclamant de soutiens politiques internes et externes au Cameroun, affirmant en substance que l’organe que dirige son vice président Peter Essoka, n’aurait ni les moyens ni le courage de la fermer. Le CNC aurait-il alors voulu affirmer son pouvoir de sanction et/ou montrer « sa capacité de nuisance », en fermant Afrique Média « à double tour » ? Un premier tour en l’interdisant d’émettre et en suspendant ses journalistes, pour entorse à la déontologie et un second tour en prolongeant sine die le délai d’interdiction d’émettre, pour défaut de licence. Une sorte de rouleau compresseur habituellement attribué à une certaine justice qui, à l’expiration de la première peine, trouve subitement un nouveau motif d’inculpation pour maintenir le condamné en prison. Politique, justice, ou déontologie seulement ?



En tout état de cause, l’aveu à peine voilé d’avoir sanctionné de manière visiblement disproportionnée Afrique Média pour excès d’arrogance donne le sentiment de déficit de sérénité qui aurait prévalu dans l’appréciation des faits de la cause. Or comme la justice, la régulation doit s’exercer sereinement et avec impartialité. Sans donner l’impression qu’elle règle des comptes ou qu’elle agit pour le compte d’un tiers. A défaut et au vu de l’évidente défiance que suscitent depuis un certain temps bon nombre de décisions du CNC au sein de la corporation des professionnels des médias et d’une bonne partie de l’opinion, ne faudrait-il pas envisager de réguler le régulateur ? Relire son texte fondateur, repréciser ses missions, recadrer ses pouvoirs et revoir le mode de désignation de ses membres. Car une décision de régulation querellée comme une décision de justice querellée n’est jamais un bon signe pour le crédit de l’institution.



L’émission sur Crtv le 1er septembre et d’autres débats et prises de position dans la presse depuis que cette affaire a éclaté, ont montré que même au sein de la corporation des journalistes, il se trouve beaucoup qui s’accommodent d’un organe de régulation de la presse en lieu et place d’un organe d’autorégulation, un « tribunal des pairs », en vigueur dans de nombreuses démocraties. Je le regrette.



Tout comme je regrette que plusieurs membres du Conseil national de la Communication qui étaient de farouches défenseurs de la liberté de la presse avant leur nomination au CNC, y compris parmi les plus jeunes d’entre eux, aient acquis de nouvelles grilles d’analyse de l’exercice de la liberté d’expression qui leur permettent désormais de « frapper » leurs confrères qui « ne parlent pas bien » ou ne sont pas politiquement corrects.



Dans une tribune du 23 novembre 2013 publiée dans un quotidien de la place à la suite d’une première vague de sanctions du CNC (suspension de journaux, avertissements à des directeurs de publication…), j’émettais déjà des réserves quant à la méthode et à l’opportunité des sanctions prises. Certains intellectuels organiques du pouvoir avaient cru voir dans ma tribune une posture tribale, eu égard à la personnalité de certains mis en cause.



Je ne connais pas le propriétaire d’Afrique Média. Je ne connais que comme téléspectateur, les journalistes d’Afrique Média sanctionnés. En tant que téléspectateur, je ne crois pas qu’ils soient plus virulents ni plus désobligeants envers les puissances et les puissants occidentaux que certains médias occidentaux qui insultent à longueur d’année le président Paul Biya. Qui, dans les pays auxquels appartiennent ces médias, a volé au secours de Paul Biya. En tout cas, aucun organe occidental de régulation des médias n’a eu à s’exprimer sur ce sujet.



La chaîne de télévision Afrique Média est-elle interdite parce que sa ligne éditoriale, panafricaniste, indexe certains dirigeants de pays amis occidentaux comme auteurs ou complices du pillage des richesses de l’Afrique ou du maintien de l’Afrique noire francophone dans la « servitude et la répression monétaire » (J. Tchuindjang) ? Si oui, de qui le CNC tient-il le mandat de rendre une justice diplomatique ?



Je ne veux pas discuter ici, de savoir si les allégations des médias étrangers sur le président camerounais sont fondées ou non. Je ne veux pas ici, discuter de savoir si les allégations d’Afrique Média sur les puissances et les puissants occidentaux sont fondées ou non. Mon engagement permanent c’est de leur reconnaître le droit de le dire, au nom du droit fondamental de la liberté d’expression et de la liberté de presse. Le corollaire de ce droit, qui est la faculté d’exercer un droit de réponse, est là pour garantir à quiconque ayant une opinion différente, de la faire valoir à son tour, dans le même média incriminé, à la tranche horaire ayant la même audience ou dans un espace équivalent dans le média écrit concerné.



Si les allégations touchent à l’honneur ou à la considération de personnes, celles-ci ont la faculté d’intenter au pénal des actions en diffamation. Le juge – le juge seul et non un simple organe de régulation – pourra alors prendre une sanction. En matière de délit de presse, je reste favorable au maintien des sanctions pénales, à l’exclusion de celles privatives de liberté.


Quant à la déontologie à laquelle on a abondamment fait référence dans cette affaire, il faudrait se souvenir que celle-ci édicte des règles de comportement entre membres d’une même corporation, sous la surveillance d’un organe exclusivement composé de membres de la corporation. Pour les professions organisées en ordres, l’organe de régulation est le conseil de l’Ordre. Le code de déontologie, dans sa forme la plus élaborée, est un acte réglementaire (décret, arrêté) qui, par définition, autrement dit, suivant la hiérarchie des normes juridiques, reste inférieur à la loi et, a fortiori, à la Constitution. Or c’est la Constitution qui déclare que la liberté d’expression est un droit fondamental.



Tout conflit né de l’application d’un code de déontologie devrait être examiné à l’aune de cette hiérarchie des normes. Si le Conseil constitutionnel camerounais était mis en place (pourquoi n’est-il pas encore mis en place ?), les responsables éditoriaux d’Afrique Média sanctionnés auraient été inspirés de le saisir pour lui poser la « question prioritaire de constitutionnalité ». Mais l’arsenal juridique camerounais ne permet pas encore d’ouvrir ce débat.

Pierre Flambeau Ngayap
Sénateur

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