Lutte contre Boko Haram. Claude Abé, socio-politiste : «Boko Haram est liée à l’érémitisme intellectuel»

La Météo Lundi le 14 Septembre 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Dans un entretien à bâtons rompus, l’universitaire fait une analyse du phénomène de la secte islamiste au lendemain de la publication du rapport de l’Organisation non gouvernementale (Ong) International Crisis Group sur le Cameroun.

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L’Ong International Crisis Group a publié jeudi 3 septembre, un rapport inquiétant sur la montée du radicalisme religieux au Cameroun. Quel commentaire vous inspire cette appréciation ?
L’Ong International Crisis Group permet juste à la société camerounaise et au pouvoir public de se rendre compte d’un phénomène qui est déjà quotidien, dans le contexte qui est le nôtre. Ce n’est un secret pour personne qu’il y a une percée du wahhabisme (mouvement politico-religieux saoudien, fondé au XVIIIè siècle par Mohammed ben Abdelwahhab, Ndlr) au Cameroun. En allant dans le Noun, le septentrion et dans les grandes villes que sont Douala et Yaoundé, le phénomène est perceptible. Ce n’est pas un fait particulier que cette Ong a mis en lumière. Il y a à se rendre également compte que le radicalisme est retrouvé dans les églises dites de réveil, dont le fonds de commerce est particulière l’intolérance, par rapport aux églises classiques, notamment le christianisme classique ou historique qui existent dans notre société.
Pour ma part, ce rapport-là, il faut le prendre dans le sens d’une alerte. Autrement dit, cette Ong voulait faire une alerte pour aider le Cameroun à se pencher sur une question qui pourrait embraser le champ social et créer des situations d’insécurité dans notre contexte. Il faut donc le prendre davantage comme une aide à la décision et une aide à la gouvernance dans le secteur religieux au Cameroun.
 
Après votre passage sur le terrain dans le septentrion, il y a quelques temps, le problème Boko Haram est-il une question de religion ou d’extrémisme ?
On ne peut pas dire que le problème Boko Haram est spécifiquement religieux. Parce que ces gens qui se réclament d’Allah, leurs premières victimes sont des musulmans. Donc à mon avis, on a affaire à un fondamentalisme radical qui est une des figures des extrémismes de la période contemporaine, c’est-à-dire la nôtre.  On ne peut pas dire de Boko Haram est un phénomène religieux. On a affaire à un ensemble de barbares des temps modernes qui, en fait, se dissimulent derrière un discours religieux radical pour opérer des entreprises de violence afin de déstabiliser le corridor transfrontalier entre le Nigeria et le Cameroun, ainsi qu’avec le Tchad. Il faut donc le voir comme une des formes d’insécurité montantes de la période qui structure l’époque contemporaine, liée à la globalisation, et probablement à ce qu’un internationaliste américain (Samuel Huntington, Ndlr) a appelé ‘’Le Choc des civilisations’’ entre le monde arabo-musulman et la civilisation judéo-chrétienne.

On est passé à une phase où la forme de conflits idéologiques qui étaient caractérisés par les modèles de société et les modèles d’économie, notamment, entre l’ex-Urss (Union des républiques socialistes et soviétiques, Ndlr) et le monde occidental, a cédé la place à une nouvelle conflictualité qui, elle, a un caractère violent, qui se nourrit d’un certain nombre d’intolérances et de fragmentation du monde, sur la base des appartenances culturelles.
 
Et croyez-vous à la thèse selon laquelle la force du régime Biya ne réside pas dans le parti encore moins dans les services de sécurité, mais dans le fait que la plupart des Camerounais pensent que ce régime est un moindre mal ?
À ce niveau, je ne voudrais pas être nécessairement d’avis avec le rapport de l’International Crisis Group. Dans la mesure où la force de ce régime repose d’abord sur le verrouillage du pouvoir, aux plans stratégico-politique et juridique. Il n’y a qu’à voir le processus électoral. À ce palier, on a l’impression d’être en face d’une consultation entre oui et yes au Cameroun. Que vous choisissez oui ou yes, vous êtes en réalité dans la même situation. Cela réside aussi dans le dysfonctionnement des institutions qui sont chargées de la dévolution même du pouvoir : c’est l’exemple d’Elecam (Elections Cameroon, Ndlr). En effet, la plupart des membres du Conseil électoral d’Elecam sont d’anciens pontes du parti au pouvoir. Le récent directeur nommé à la tête de cette institution est lui-même un membre du bureau politique du Rdpc (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, Ndlr).


Bien plus, cela réside également en le fait que le régime en place est à la fois juge et partie. À ce titre, les structures de dévolution du pouvoir sont viciées. Ce qui ne permet pas qu’on y arrive. Il faut également apporter un autre élément en rapport avec les événements de février 2008. Ces événements nous ont permis de constater que la force du régime en place réside aussi sur le dispositif répressif, très fort. On a pu voir à l’occasion que des gens qui manifestaient contre la vie chère, se sont retrouvés face aux forces militaires de troisième catégorie, c’est-à-dire le Bir (Bataillon d’intervention rapide, Ndlr) avec un certain nombre de chars. Des forces militaires qui sortent, en réalité, que lorsqu’il s’agit d’une guerre contre un autre État.  Il faut également ajouter la dépolitisation de la société camerounaise dans ce registre. C’est-à-dire, aujourd’hui, il y a une sorte de désaffection vis-à-vis de la chose politique, qui fait que lorsqu’on invite les Camerounais à manifester un intérêt pour la marche des choses dans leur pays, les gens semblent être dans une situation d’apathie générale. La faiblesse et la déliquescence de l’opposition ou de ce qui est convenu d’appeler opposition politique au Cameroun n’est pas en reste. En tout cas l’opposition institutionnelle. Il n’y a qu’à se rendre compte que ces opposants n’ont aucun contre-projet de société. Ils ne sont véritablement pas dans un travail de professionnalisme politique, pour apporter une offre politique alternative.

Il y a aussi la faiblesse de la société civile camerounaise. Une société civile qui s’est dépolitisée. Ailleurs, c’est la connexion entre le champ politique et la société civile qui a pu permettre l’alternance. Allez voir les exemples du Sénégal, du Burkina Faso et autres. En dernier ressort, il faut ajouter l’ensauvagement collectif des Camerounais dans la boisson, qui fait que finalement ceux-ci ne regardent pas où sont leurs intérêts, qui accompagné à une zombification entretenue dans le cadre des églises dites de réveil et de l’ensemble des radicalismes religieux. Or, quand vous avez affaire à des zombis, c’est-à-dire une sorte de morts vivants,  la citoyenneté active n’est pas en route.

Pour me résumer, la force du régime Biya ne réside pas dans le fait que la plupart des Camerounais pensent que ce régime est un moindre mal, mais plutôt parce qu’il y existe un ensemble de forces à la fois répressive, politique, stratégique, juridique et symboliques.
 
Des suggestions pour lutter de manière efficace contre Boko Haram
Il faut d’abord s’interroger quelle est la dynamique structurelle qui anime Boko Haram. Cette secte islamiste est liée à une forme de violence narcissique où les individus ne sont pas à mesure d’accepter qu’il ait la différence. Boko Haram est aussi liée à une crise de la citoyenneté, qui renvoie à cette forme de vivre ensemble, c’est-à-dire où on accepte des différences dans la cadre d’une même société. Boko Haram est également liée à une sorte d’érémitisme intellectuel. C’est-à-dire qu’il s’agit des individus qui se ferment à toutes formes d’idées qui ne relèvent pas de leur provision d’idées, qu’ils trouvent dans leur manière de penser le monde. A cela, il faut ajouter le problème de la sous-scolarisation des populations, aussi bien à l’extrême-nord du Cameroun qu’au niveau de l’autre côté de la frontière avec le Nigeria. C’est dans ce sens que des personnes se font facilement enrôlées. Ayant affaire ici à une barbarie ‘’civilisationnelle’’, je pense qu’on ne peut répondre à Boko Haram que par une contre-culture, celle de la non-violence, de l’engagement dans la citoyenneté, de l’engagement dans le vivre ensemble. Évidemment, comme il s’agit des personnes qui ne sont pas disposées à négocier, il faut nécessairement commencer par la voie militaire. Mais, il faut aussi une réponse culturelle et économique. Parce que les populations, l’un des terreaux sur  lesquelles Boko Haram recrutent ses adeptes, se trouvent être en difficultés d’ordre socioéconomique.

À mon avis, c’est une réponse systémique qui s’appuierait sur un ensemble d’éléments interdépendants. Il faut davantage développer un certain nombre de mécanismes d’anticipation, dans la mesure où, il y a une sorte de tolérance qui existe dans l’ensemble des cultes : on ne sait pas là où les gens se forment pour devenir pasteurs ou imams. Il est impératif de réguler la formation des uns et des autres, de réguler également au niveau du fonctionnement au quotidien de l’ensemble de ces officines religieuses, pour que l’articulation de la foi ne débouche pas sur l’insécurité.
 

Entretien : Pierre Amougou.

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