Centrafrique. L'honorable Cabral Libii analyse la décision de la cour constitutionnelle centrafricaine qui a rejeté le projet de révision constitutionnelle

cameroun24.net Dimanche le 25 Septembre 2022 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
République Centrafricaine : Analyse juridique de la décision de la cour constitutionnelle relativement au projet de révision constitutionnelle.

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REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : ANALYSE JURIDIQUE DE LA DECISION DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE RELATIVEMENT AU PROJET DE REVISION CONSTITUTIONNELLE.


La république centrafricaine est au cœur de l’actualité internationale depuis le 23 septembre 2022. Ce jour en effet, la Cour Constitutionnelle a rendu une retentissante Décision, en réponse à plusieurs recours introduits aux fins « de constat de l’impossibilité de l’organisation d’une révision de la constitution ou d’un referendum constitutionnel et en inconstitutionnalité ».
En substance voici le contenu de la Décision :

1- La Cour déclare à la fin de l’exposé des motifs que « l’abrogation de la constitution et la rédaction d’une nouvelle constitution est inconstitutionnelle » ;

2- La Cour déclare inconstitutionnels et annule par voie de conséquence, 5 décrets du Président de la République. Celui du 26 août 2022 qui créé le comité « chargé de rédiger la constitution centrafricaine » et ceux des 12, 14 et 15 septembre 2022 qui régissent la désignation des membres de ce comité ;

3- La Cour rappelle que la révision de la constitution ne peut opérer qu’après la mise en place du Sénat conformément aux articles 151 et 152 qui stipulent que les projets et propositions de révision de la constitution sont adoptés par le Parlement réuni en Congrès, donc en ces deux chambres. La Cour décide donc qu’en l’absence du Sénat, aucune révision ne peut être envisagée ;

4- La Cour rappelle que la révision constitutionnelle par référendum doit respecter l’article 90 de la Constitution. Cet article dans ses stipulations précise entre autres qu’une loi particulière qui détermine les procédures de référendum doit être adoptée. La Cour rappelle que ladite loi n’est pas encore adoptée et que de ce fait le référendum ne peut être envisagé.

I- De l’indépendance de la Cour Constitutionnelle
De prime abord, la Décision de la Cour Constitutionnelle révèle en Centrafrique une vitalité démocratique jusqu’alors insoupçonnée. Il est difficile pour un camerounais de ne pas être envieux de la Cour Constitutionnelle centrafricaine. Elle est composée de 9 membres dont 6 sont élus par leurs pairs magistrats, avocats et universitaires, 01nommé par le Président de la République, 01 nommé par le Président de l’Assemblée Nationale et 01 nommé par le Président du Sénat, pour un mandat de 7 ans non renouvelable. Les Juges constitutionnels centrafricains sont donc structurellement indépendants.

II- Des faits et des dates succinctement
Le 8 juin 2022, l’Assemblée Nationale centrafricaine adresse une note au Gouvernement, sollicitant son avis au sujet d’une proposition de révision de la Constitution du 30 mars 2016 en vigueur, introduite par un Député nommé Brice Kevin KAKPAYEN.

Le 20 juillet 2022, le Conseil des Ministres sous la présidence du Président de la République, va statuer sur la question. Voici un extrait du communiqué issu de ce Conseil : « Le Conseil a fait relever que cette initiative est régulière, justifiée et pertinente. Néanmoins, elle porte sur un nombre important de titres et d’articles qui transforment fondamentalement l’actuelle Constitution notamment l’article 153, se rapportant à des cas par nature intangible en vertu de la Constitution (…) D’où la nécessité de la réécriture d’un nouveau texte ». Cet avis va être transmis à l’Assemblée Nationale le 21 juillet 2022.

Le 10 août 2022, le Président de l’Assemblée Nationale adresse une correspondance au Secrétaire du Gouvernement ayant pour objet, « réponse à l’avis du Gouvernement sur la proposition de loi constitutionnelle ». Par cette correspondance, le Bureau de l’Assemblée Nationale « prend acte de l’avis du Gouvernement (…) prie le gouvernement de bien vouloir déclencher la procédure référendaire (…) exhorte le Gouvernement à mettre en place une constituante inclusive ».
Suite à cette correspondance, le Président de la République va signer 5 Décrets dont celui du 26 août 2022 qui créé le comité « chargé de rédiger la constitution centrafricaine » et ceux des 12, 14 et 15 septembre 2022 régissant la désignation des membres dudit comité.
Entre le 22 août 2022 et le 14 septembre 2022, plusieurs requêtes vont être introduites à la Cour Constitutionnelle alléguant l’inconstitutionnalité des décrets présidentiels.

Lire aussi : La Cour constitutionnelle centrafricaine rejette la volonté du président Touadera de modifier la constitution
 

III- Analyse juridique de la Décision de la Cour Constitutionnelle

1- De l’usage du terme « abrogation » par la Cour Constitutionnelle
Selon toute vraisemblance, l’invocation de l’abrogation de la Constitution en vigueur en lien avec ce qui est en cours en Centrafrique dans l’exposé des motifs au fond, est excessive et inappropriée. Elle se fonde sur l’intitulé du Décret présidentiel du 26 août 2022 « portant création du comité chargé de rédiger le projet de constitution de la république centrafricaine ».  Le juge constitutionnel centrafricain après avoir passé en revue les attributions du Bureau et du Président de l’Assemblée Nationale, ainsi que celles du Président de la République, tire une double conclusion :
- L’Assemblée Nationale n’a aucun pouvoir en matière d’initiative d’abrogation de la constitution et n’a par conséquent pas le pouvoir de demander au Gouvernement de mettre en place une constituante ;
- Aucune disposition ne confère au Président de la République une initiative en matière d’abrogation de la constitution, ni de mise en place d’une constituante.

Une lecture minutieuse des échanges de correspondance entre l’Assemblée Nationale et le Président de la République ne permet en aucun cas d’y déceler une intention d’abrogation de la Constitution en vigueur en Centrafrique. Bien au contraire, le communiqué du Conseil des Ministres démontre plutôt la volonté du Gouvernement de procéder à une révision qui respecte les dispositions intangibles de la Constitution. D’où la résolution de réécriture de la proposition de loi faite initialement par le Député Brice Kevin KAKPAYEN. En ne se fondant que sur l’intitulé d’un Décret pour imputer une intention d’abrogation constitutionnelle au Président de la République, le juge constitutionnel prête le flanc à des critiques objectives de sa relative légèreté.

2- De la compétence de la Cour Constitutionnelle en matière de contrôle de constitutionnalité des Décrets.
La cour Constitutionnelle centrafricaine est incontestablement compétente pour exercer le contrôle de constitutionnalité des Décrets. En effet, selon l’article 95 de la Constitution, la Cour Constitutionnelle est chargée de « juger la constitutionnalité des lois organiques et ordinaires, déjà promulguées ou simplement votées, des règlements ainsi que des Règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat ».

Il faut reconnaitre que la compétence du juge constitutionnel en matière de règlements n’est pas courante dans les ordres juridiques dans monde en ce qui concerne la justice constitutionnelle. Les règlements (décrets, arrêtés, décisions, circulaires et autres directives) sont généralement soumis au contrôle de légalité exercé par le juge administratif. Dans le cas centrafricain, cette innovation se heurte toutefois à un vide juridique dans la lettre de la constitution. En effet, les articles 96, 97 et 98 de la constitution définissent les modalités de saisine de la Cour Constitutionnelle, mais uniquement en ce qui concerne la constitutionnalité des lois et nullement en ce qui concerne la constitutionnalité des règlements. En clair, les Présidents de la République, de l’Assemblée Nationale et du Sénat, le Premier Ministre et ¼ des membres de chaque chambre du Parlement peuvent saisir la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation. De même, tout citoyen centrafricain peut saisir la Cour Constitutionnelle soit directement, soit indirectement par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité devant une juridiction quelconque, mais uniquement une fois encore, en matière de constitutionnalité des lois. La constitution centrafricaine est donc muette sur les modalités exactes de saisine de la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des règlements. En se déclarant tout de go compétente en cette matière, sans un effort jurisprudentiel d’interprétation, la Cour Constitutionnelle dont les Décisions sont évidemment insusceptibles de recours, expose sa propre décision à l’inconstitutionnalité et porte atteinte à l’Etat de droit. Ouvrant la voie non seulement à l’exercice des recours au sein des organisations juridictionnelles supranationales, mais aussi à des contestations se fondant sur l’illégitimité de sa Décision.

3- Du préalable obligatoire de mise en place du Sénat

La révision par voie parlementaire, doit se faire par le Congrès, donc en 2 chambres réunies. Or, le Sénat n’est pas encore mis en place en Centrafrique. Le juge Constitutionnel opère dans l’exposé des motifs, une distinction étanche entre le « Pouvoir Législatif » et le « Pouvoir Constituant Dérivé ». Pour lui, le pouvoir constituant dérivé n’est constitué que lorsque les deux chambres du Parlement sont effectives. Il disqualifie donc l’Assemblée Nationale de toute compétence en matière de révision constitutionnelle et anesthésie par ce raisonnement l’article 156 de la Constitution qui stipule qu’« en attendant la mise en place du Sénat, l’Assemblée Nationale exerce la totalité du Pouvoir Législatif ». La Cour ouvre là un débat juridique qui n’est pas sans intérêt.

Sauf que ce qu’il faut relever ici est que la voie suggérée au Président de la République par le Bureau de l’Assemblée Nationale, n’est pas législative, mais plutôt référendaire. Et dans cette perspective, l’évacuation par la Cour Constitutionnelle de la compétence de l’Assemblée Nationale est objectivement inopportune. En matière référendaire et en lien avec le Sénat, les stipulations de l’article 90 de la Constitution sont bien claires : « Le Président de la République après consultation du Président de la Cour Constitutionnelle, du Président de l’Assemblée Nationale et du Président du Sénat, peut soumettre au référendum tout projet de réforme… ». L’obligation consultative vis-à-vis du Président du Sénat aurait donc été plus pertinente pour la Cour. Toutefois dans cette hypothèse, l’article 156 ci-dessus cité, retrouve toute sa vigueur et l’opérabilité de la totalité du pouvoir législatif exercée par l’Assemblée Nationale devient indiscutable.

4- De l’adoption d’une loi déterminant les procédures du référendum comme préalable obligatoire.
L’article 90 de la constitution est très clair : « une loi détermine les procédures du référendum ». En d’autres termes, si cette loi n’a pas encore été adoptée, le référendum ne peut avoir lieu. Dans la situation actuelle de la Centrafrique, cette loi n’a pas encore vu le jour. Le juge constitutionnel sur ce point a donc incontestablement raison.

Hon. Cabral LIBII

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