Françafrique. Patrice Talon est-il le porte-voix de la France pour Franc CFA ?

cameroun24.net Mardi le 12 Novembre 2019 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le président béninois souhaite le rapatriement des réserves de change du franc CFA qui se trouvent en France rapporte BBC.

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Si dans la forme l'annonce a l'air d'une petite révolution dans le club des présidents des pays utilisateurs du franc CFA, il semble visiblement que le projet de retour des réserves en lui-même est une volonté de la France.

Lors d'un entretien accordé aux médias français, certains aspects des échanges entre Patrice Talon et les journalistes donnent plus de précisions sur la nature de ce nouveau deal entre la France et l'UEMOA sur le franc CFA.

A un moment donné, le président béninois a interpellé le journaliste lui demandant de bien noter que c'est un projet des autorités françaises. Ce que notre confrère a fait.

Mais à la suite de cela, M. Talon s'est voulu plus nuancé, en précisant qu'il s'agit d'une initiative des Chef d'Etat [de l'espace UEMOA] acceptée par la France.

Ces propos sur le rôle de la France ont visiblement provoqué plus tard la réaction de Bruno le Maire, ministre Français de l'Economie et des Finances, qui a démenti en disant que son pays n'a rien imposé.

"Ce n'est pas à la France de faire des propositions ou d'imposer quoi que ce soit", a encore affirmé le ministre, ajoutant que "si une majorité d'Etats-membres de la zone franc veulent avancer vers une réforme ambitieuse, nous répondrons oui".

Ce débat entre utilisateurs du franc CFA et "gardien" des réserves de change a laissé finalement entrevoir que la sortie de Patrice Talon n'était en rien une volonté des pays de l'UEMOA de réclamer une réelle indépendance économique et monétaire vis-à-vis de la France.

C'est cette implication de la France dans la gestion du franc CFA qui est au cœur de la colère et des critiques de nombreux analystes et économistes africains qui l'assimilent à du paternalisme.

Depuis les indépendances en Afrique de l'ouest francophone, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer la présence d'une monnaie qui selon eux ne favorise pas l'indépendance et la croissance économique des pays qui l'utilisent.

Dans un contexte de crise économique, de taux de chômage sans cesse croissant et de précarité des entrepreneurs africains, les critiques contre le franc CFA sont de plus en plus virulentes.

En 2016, Carlos Lopes, secrétaire général adjoint de l'ONU, a décrit le franc CFA comme "un mécanisme désuet".

"Il y a quelque chose qui cloche avec le franc CFA. Aucun pays au monde ne peut avoir une politique monétaire immuable depuis 30 ans. Cela n'existe que dans la zone franc CFA", a soutenu l'économiste bissau-guinéen.

Début 2019, le vice-premier ministre italien, Luigi Di Maio a provoqué la colère de Paris en indiquant que "la France est l'un de ces pays qui, en émettant une monnaie pour 14 pays africains, empêche leur développement économique et contribue au fait que les réfugiés partent de leurs pays et meurent ensuite en mer ou arrivent sur nos côtes".

Les économistes Kako Nubupko du Togo et Mamadou Koulibaly de la Côte d'Ivoire ont aussi qualifié le franc CFA de "relique coloniale" qui ne facilite en rien l'intégration économique des pays utilisateurs.

Pour l'activiste anticolonialiste et essayiste franco-béninois Kémi Séba, le franc CFA "est l'outil par lequel la France assure un contrôle sur les économies des pays africains".

Mais si des analystes, économistes et activistes critiquent cette monnaie, rares ont été les positions "anti-CFA" ou les velléités d'indépendance économique affichées par des Chef d'Etat de pays utilisateurs ces 10 dernières années.

Avec sa sortie sur des médias français, le président béninois Francis Talon semble mettre fin à cette "longue passiveté" des présidents africains vis-à-vis du f CFA ou plutôt de son modèle de gestion actuelle.

Sauf qu'encore une fois, cette volonté de rompre avec le franc CFA dans son mode de gestion actuelle semble encadré, voir dicté par la France.

"Nous sommes tous d'accord là-dessus, à l'unanimité, pour mettre fin à ce modèle" a indiqué le président Talon, parlant d'un modèle de gestion d'une monnaie qui est utilisée par les Africains mais dont les sphères de décision et les réserves se trouvent en France.

Selon lui ce modèle pose avant tout un "problème psychologique" et non "technique".

Début octobre, le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, avait déclaré que la France était ouverte à une "réforme ambitieuse" du franc CFA.

Il avait dit attendre que les 15 pays qui partagent cette devise attachée à l'euro "décident ce qu'ils souhaitent", à un moment où l'Afrique de l'Ouest envisage de créer sa propre monnaie unique, l'ECO.

Les chefs d'Etat de l'UEMOA semblent vouloir donner sens à cette requête en décidant de rapatrier les réserves de change.

"La banque centrale des pays d'Afrique de l'UEMOA (Union monétaire ouest-africaine) va gérer la totalité de ces réserves de devises et va les répartir auprès des diverses banques centrales partenaires dans le monde", a assuré le chef de l'Etat béninois, déclarant que cela se ferait "très rapidement".

Effet d'annonce politique ou réelle volonté de s'éloigner au plan monétaire de la France ? Une chose est sûre M. Talon vient de se prononcer sur un sujet resté tabou dans le cercle des chefs d'Etat de la zone CFA.

Cependant une question se pose: comment la France va orchestrer ce nouveau modèle de gestion du franc CFA ?

La France toujours au contrôle ?

En annonçant le "retrait des réserves de change du franc CFA", Patrice Talon ne précise aucun calendrier mais donne un sens à la requête de nombreux économistes qui demandent une pleine gestion du franc CFA par les Africains.

Cela commence par la fin du maintien des réserves garantissant la monnaie dans les coffres de la Banque de France.

Dans un contexte d'économie intégrée et d'usage d'une monnaie commune au sein de la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), tous les pays doivent se préparer pour un nouveau mécanisme de gestion du franc CFA avec des réserves réparties dans "diverses banques centrales partenaires dans le monde".

Un paradoxe au moment où la CEDEAO annonce son projet de monnaie unique.

Cette annonce de Patrice Talon loin de rassurer vient conforter les doutes qui subsistent sur la volonté réelle de tourner le dos au CFA.

"Les pays de l'UEMOA ne veulent pas visiblement couper le lien monétaire avec le trésor français et cela va rejaillir sur l'Eco" s'inquiète l'économiste Ndongo Samba Sylla.

L'espace UEMOA est une zone dirigée par des Chefs d'Etat pro-CFA, rendant quasi impossible une "réforme ambitieuse" de cette monnaie se désole l'économiste ivoirien Mamadou Koulibaly.

Le rapatriement des réserves de change du franc CFA pourrait constituer une première étape dans cette volonté de réforme.

Mais les analystes s'inquiètent que cela soit une nouvelle stratégie de la France pour assurer via l'UEMOA une certaine influence sur le projet de monnaie unique de la CEDEAO.

Cependant, se séparer de réserves de change d'une monnaie estimé en devises fortes (dollar) et notamment en or est un exercice complexe pour les banques ayant la gestion de ces réserves.

Au-delà de la perte d'un certain "contrôle" sur la monnaie, c'est aussi des moyens de change direct et de placement (gros investissements et prêts aux Etats) qui vont disparaitre des coffres de la banque.

La volonté de rapatriement des réserves voulue par les chefs d'Etat de l'UEMOA et annoncée Patrice Talon fait penser à la valse économique entre l'Allemagne et la Banque centrale américaine au sujet de l'or de l'Allemagne "gardée" par l'oncle Sam.

La requête exprimée par l'Allemagne depuis plus de 20 ans n'a permis que le rapatriement de 47% des réserves d'or soit 1.580 tonnes en 2017.

Entre l'annonce de Patrice Talon et le rapatriement effectif des réserves, la procédure risque d'être longue selon les économistes à moins que la France n'accélère le processus pour atteindre d'autres objectifs de développement comme le souhaitent certains économistes anti-CFA.

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