Françafrique Jacques Sapir : «Le retrait des contingents du Tchad est une défaite stratégique de Paris»
Le retrait des contingents de France du Tchad est «une défaite stratégique» de Paris, qui «aura certainement des conséquences économiques pour les entreprises françaises», ces dernières «concurrencées sévèrement» par d’autres sociétés, en particulier chinoises.
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C’est ce qu’a déclaré dans une interview à l’agence TASS Jacques Sapir, spécialiste de l’économie mondiale et directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris.
"Les décisions conjointes du Tchad et du Sénégal de demander un départ des troupes françaises ne sont pas du même niveau. Les troupes qui étaient restées au Sénégal étaient résiduelles. Par contre, celles qui sont au Tchad jouent un rôle clef pour la possibilité de la France à intervenir au Sahel. Ceci n’a rien à voir avec le redéploiement prévu des troupes françaises et constitue bien un problème majeur dans le cas d’une future demande de soutien militaire de ces pays", explique l’expert.
En s’interrogeant sur les causes de cette décision du président tchadien, Jacques Sapir met en cause "la très mauvaise image de la France désormais en Afrique de l’Ouest". Selon lui, c’est le "comportement politique d’Emmanuel Macron qui s’est rendu odieux dans de nombreux pays par sa position de "donneur de leçons" qui en est responsable.
La veille, le président tchadien Mahamat Idriss Déby, en commentant la décision de son État de mettre fin à l'accord de défense avec Paris, a indiqué que la coopération militaire entre le Tchad et la France ne répondait pas aux réalités actuelles et n'était pas réciproque. "C'est un acte souverain, pris après mûre réflexion et en toute responsabilité. Il vise à réaffirmer l'indépendance du pays et à répondre aux attentes du peuple tchadien. L'accord est obsolète, il ne nous apporte plus rien aujourd'hui. Une coopération équitable et conforme aux intérêts nationaux est nécessaire", a-t-il souligné.
En Afrique, la France se réoriente vers des marchés plus prometteurs, comme le Nigeria
En quittant les régions habituelles de sa présence en Afrique, telles que le Sénégal et le Tchad, la France se réoriente vers des marchés anglophones plus prometteurs du Nigeria et du Kenya. C’est le point de vue exprimé à TASS par Lioubov Demidova, la présidente du conseil d'administration de l'Agence stratégique pour le développement des relations avec les pays africains.
Pour rappel, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a avancé que "le Sénégal est un pays indépendant, et la souveraineté ne s'accommode pas de la présence de bases militaires dans un pays souverain". Plus tôt, c’est le ministère tchadien des Affaires étrangères qui a annoncé la rupture de l'accord de coopération avec la France en matière de défense, a rappelé l'experte.
"Dans ce contexte, la France et le Nigeria ont signé deux accords sur le développement des infrastructures et la sécurité alimentaire lors de la visite du dirigeant du Nigeria à Paris, et les banques nigérianes Zenith Bank et United Bank for Africa ont étendu leur représentation en France", a expliqué Mme Demidova. L’experte a aussi noté que le président français Emmanuel Macron a récemment effectué une visite au Maroc, au cours de laquelle les deux pays ont conclu des accords pour un montant total de 10 milliards d'euros. "Et devrions-nous dire ici que la France quitte l'Afrique? Je pense que non. Il est absolument clair qu'il y a une réorientation vers des marchés plus prometteurs et plus fidèles, en premier lieu le Nigeria, le Kenya, le Maroc, ainsi que l'Éthiopie. Ce sont les pays sur lesquels la France mise aujourd'hui en matière de coopération avec l'Afrique", a-t-elle souligné.
Mme Demidova a ajouté que, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le chiffre d'affaires commercial entre la France et l'Afrique en 2022 était de 67 milliards d'euros, tandis que le franc CFA, une monnaie entièrement "contrôlée" par la France et actuellement arrimée à l'euro, est toujours en vigueur dans plusieurs pays africains.
"La France reste un acteur très fort sur le continent africain et il ne faudrait pas se faire d'illusions sur l’inverse", a-t-elle conclu.
La coopération entre le Tchad et la France ne répondait pas aux réalités actuelles
La coopération militaire entre le Tchad et la France ne répondait pas aux réalités actuelles et n'était pas réciproque. C'est ce qu'a déclaré le président tchadien Mahamat Idriss Déby, en commentant la décision prise par les autorités tchadiennes le 28 novembre de mettre fin à l'accord de défense avec la France. Une vidéo de sa déclaration a été publiée par le portail Alwihda sur sa page du réseau social X.
"C'est un acte souverain, pris après mûre réflexion et en toute responsabilité. Il vise à réaffirmer l'indépendance du pays et à répondre aux attentes du peuple tchadien. L'accord est obsolète, il ne nous apporte plus rien aujourd'hui. Une coopération équitable et conforme aux intérêts nationaux est nécessaire", a souligné le chef de l'État.
Selon lui, le Tchad doit réorienter sa politique étrangère et l'accord militaire avec la France ne répond plus aux besoins du pays en matière de sécurité et d'intégrité territoriale.
Plus tôt, le ministre tchadien des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, avait déclaré dans une interview au journal français Le Monde que la France devait retirer son contingent d'environ 1.000 soldats du Tchad après la rupture de l'accord de défense. Il a ajouté que le retrait devait avoir lieu "conformément aux conditions" et "dans les délais prévus par l'accord de défense".
Le journal estime que la rupture de la coopération est "une insulte pour Paris", car la présence militaire de la France dans son ancienne colonie a duré presque 100 ans sans interruption.
Outre le Tchad, la France possède des bases militaires au Gabon, en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a déclaré dans une interview accordée à des médias français que son pays avait l'intention d'exiger le retrait des troupes françaises de son territoire.
AN
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