Grand dialogue national. Crise anglophone : »Il faut inviter les acteurs représentatifs pertinents » dixit Aimé Raoul Sumo Tayo

cameroun24.net Lundi le 30 Septembre 2019 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le géostratège envisage dans les colonnes du quotidien Mutations, les conditions dans lesquelles les groupes armés sécessionnistes peuvent éventuellement participer au Grand dialogue national.

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Des leaders séparatistes représentant divers mouvements, au terme d’une rencontre en Europe lundi, ont rejeté l’offre de dialogue du chef de l’État. Quelle sont les chances que les groupes armés sur le terrain y prennent part ?

Connaissant l’armature rationnelle de certains sécurocrates de Yaoundé, il n’est pas exclu que des individus nous soient présentés à l’occasion comme étant des représentants de groupes armés qui agiraient dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Mais il est fort peu probable que les vrais Amba Boys prennent part au grand dialogue national annoncé par le président de la République. Mes craintes sont fondées sur le fait que cette annonce forte n’ait eu aucun effet sur le lockdown de trois semaines imposé par les sécessionnistes depuis le 26 août. Les groupes armés ne participeront très probablement pas au dialogue annoncé parce que l’aile politique de leur mouvement ne croit pas en cette offre. L’un des leaders, Mark Bareta, dit ne pas croire à ce qu’il considère comme une initiative destinée à enfumer la communauté internationale. Il pense par ailleurs qu’il s’agit d’une perte de temps et d’argent : « it is a waste of time and tax payers money for anyone engaging in the Biyalogue because it will fail and fail bigly ».

L’absence des groupes armés pourrait également découler de l’absence de garanties pour leur sécurité. En effet, les mises en demeure imprécatoires et ressentimentales du chef de l’État lors de la présentation de son offre de dialogue ne sont pas de nature à encourager leur participation. Le Président Biya est resté fidèle à sa démarche : nier l’existence du problème, se soulager en renchérissant sur la responsabilité des insurgés, dépolitiser totalement et criminaliser la démarche de ces groupes, toutes choses qui tendent à repousser l’espoir d’une solution politique à la crise du fait de son blocage de la crise actuelle dans son processus interactionnel.

La participation des combattants est-elle impérative ?

A titre personnel, je pense que la présence de ces groupes à Yaoundé pour le grand dialogue n’est pas d’une absolue nécessité, car il aurait été plus indiqué de négocier avec l’aile politique de leur mouvement. Or la quasi-totalité des organisations sécessionnistes réunies à Montreux en Suisse il y a quatre jours, a rejeté l’offre du Président Biya. Visiblement, ils n’y croient pas car les grands thèmes déclinés par le président dans son tweet de lundi dernier ne répondent pas à leurs attentes. Un des leaders du mouvement sécessionniste, Chris Anu, estime que le président Biya n’a pas pris en compte les aspirations des populations anglophones et que le répertoire de réponse qu’il propose n’est pas adéquat pour résoudre la crise anglophone.

Quels relais pour les persuader et de quelles garanties auront-ils besoin éventuellement pour faire le déplacement de Yaoundé ?

Je doute fort qu’il soit possible de les en persuader ! Logiquement, ils devraient avoir en mémoire l’incarcération des négociateurs du Consortium à la suite d’initiatives de dialogue précédentes. C’est sans doute ce qui justifie la demande de discussions dans un pays tiers et celle d’un médiateur neutre. Le président en a décidé autrement ! Dommage. Pourtant les sécessionnistes avaient bien accepté la médiation du Centre suisse pour le dialogue humanitaire, une des organisations internationales à l’indépendance établie. Visiblement, les faucons du régime ont torpillé cette initiative, en témoigne la campagne de presse violente et synchronisée contre la Confédération suisse par des journaux qui sont réputés proches de certains apparatchiks du régime. En choisissant une formule de dialogue qui est rejetée par l’aile politique et militaire du mouvement sécessionniste, il est fort probable que l’on n’ait pas pris en compte la nature évolutive de la crise et que l’on veuille lui administrer un mode de gestion inapproprié. Il faut revenir aux fondamentaux de la gestion de crise car, visiblement, nos sécurocrates sont en retard. Or comme le dit Sun Tsu, « Qui est en retard d’une guerre sera défait à chaque bataille ».

Les chefs traditionnels du Fako, dans un mémorandum remis au gouverneur du Sud-Ouest, affirment avoir rencontré des groupes armés qui se disent disposés à dialoguer sous certaines conditions. Est-ce que ce n’est pas la multiplicité des groupes armés sécessionnistes qui complexifie les négociations ?

Il est vrai que la présence d’entrepreneurs de la violence aux profils et aux motivations diverses est de nature à complexifier les choses. Mais n’ayons pas peur ! L’ouverture de négociations avec les leaders représentatifs offrirait au gouvernement la possibilité de marginaliser les groupes déviants. Des négociations avec des acteurs politiques pertinents de cette crise, au Cameroun et à l’étranger, permettrait de délégitimer, orbi et urbi, les insurgés qui ne suivraient pas le mot d’ordre de cessation des hostilités. Ces deniers perdraient en légitimité, ne pourraient plus bénéficier du soutien de la population, véritable centre de gravité et enjeu de la guerre que nous leur faisons en ce moment.  Les groupes réfractaires à l’accord de paix ne pourraient alors plus puiser dans la population les ressources morales et matérielles et nos forces pourraient alors les chasser, les contrôler, puis les détruire.

Un accord avec la branche politique du mouvement sécessionniste conduirait à une triple marginalisation des entrepreneurs de la violence qui ne s’exécuteraient pas : une marginalisation territoriale, une marginalisation tactique et une marginalisation stratégique. Sur ce dernier aspect, il s’agitait d’obtenir la fin de tout soutien extérieur à l’insurrection par la décapitation ou la discréditation des réfractaires, l’assèchement de leurs soutiens. Mais pour que ces discussions conduisent au retour de la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, il faut inviter les acteurs représentatifs pertinents. Il faut donc que l’exécutif comprenne qu’il a perdu le monopole du choix des « élites » qui deviennent en temps de crise les principaux interlocuteurs, dans une sorte de masturbation intellectuelle dans laquelle le gouvernement négocie la paix sociale avec « ses » élites.
 

Cyril Marcel Essissima

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