Présidentielle 2011. Bernard A. Muna : Je quitterai le pouvoir après une brève transition

Mutations Jeudi le 06 Janvier 2011 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Situation du Cameroun, programme politique, vision du monde. L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun et ancien procureur général adjoint au Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir), parle de sa candidature à l’élection présidentielle de cette année et de ce qu’il entend faire du Cameroun, s’il est élu.

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Si l’on vous demande de faire un état des lieux du Cameroun en 2010, que diriez-vous ?
Sur le plan économique, le Cameroun est un pays dans lequel l’on n’a manifestement pas encore réussi à exploiter et à transformer en richesses les innombrables ressources naturelles et humaines disponibles. Il est aberrant qu’avec tant de richesses naturelles, nous ayons un si fort taux de sans-emploi qui se recensent notamment dans la classe des jeunes diplômés.
Nous sommes dans un pays où bon nombre s’enrichissent par des moyens douteux et non orthodoxes, où de faramineuses sommes d’argent sont gardées dans des coffres-forts ou malles cachées dans des domiciles privés, à l’abri de tout regard et de tout contrôle. Nous sommes dans un pays où des politiciens, fonctionnaires et hommes d’affaires véreux ont contracté des alliances vicieuses pour piller, ensemble, le trésor public à travers de faux contrats, des contrats non exécutés ou bâclés, ou encore des contrats dont les coûts sont frauduleusement multipliés.
Le mal camerounais est à chercher dans la malhonnêteté des politiciens, membres du gouvernement, haut cadres, fonctionnaires, hommes d’affaires et responsables de sociétés publiques et parapubliques. Le Cameroun a besoin d’hommes intègres et honnêtes, dans toutes les sphères de la société.
Sur le plan politique, le Cameroun regorge de pas mal de feymen politiques. Le parti au pouvoir a réussi l’exploit de tuer la foi des Camerounais en la possibilité d’un progrès politique soutenu par l’émergence des institutions étatiques encadrées par des principes de démocratie et de probité. Le parti au pouvoir est passé maître dans l’art de la manipulation de l’opinion, par le folklorique et les mises en scène qui contrastent, pourtant, radicalement avec la réalité. Par exemple, les plus de 250 partis politiques enregistrés officiellement (et dont plus de 90 % sont créés ou suscités par le régime en place) sont destinés à entretenir l’illusion d’un pays très démocratique auprès de l’opinion nationale et internationale. Or, loin d’être l’expression d’une vitalité politique débordante, il s’agit d’une anarchie suscitée et entretenue par le régime qui s’en sert comme arme pour mieux contrôler et diluer toute action viable des vrais partis progressistes. Il suffit d’assister à une réunion entre le gouvernement et les partis politiques pour en être témoin. Ces soi-disant partis politiques, sponsorisés par le pouvoir en place, ont pour mission de jouer les troubles fêtes et d’entretenir en permanence un climat de confusion politique. Cet état de choses est, désormais, tellement banalisé que ces leaders-pions ne se cachent plus pour demander leur miche au gouvernement, comme contrepartie de leur appartenance à la majorité présidentielle.

Depuis septembre 2010, vous avez annoncé votre candidature à la présidentielle prévue cette année. En quoi consiste votre programme ?

Premièrement, lorsque nous jetons un regard rétrospectif sur les 50 ans de notre pays depuis l’indépendance de la partie francophone et la réunification des deux Cameroun, nous réalisons que nos avons manqué de saisir de grandes opportunités.
Tout d’abord, l’indépendance de la partie francophone est octroyée au milieu d’une révolte de citoyens contre le colon français, sans que les acteurs et les parties prenantes se soient données le temps de la réconciliation, sans que les parties se soient accordé sur les fondamentaux de la Constitution de cette nouvelle République, sans que l’on ait eu le temps d’organiser de nouvelles élections.
En effet, ce n’est que 3 mois après l’indépendance, en mars 1960 notamment, que la Constitution du jeune Etat du Cameroun fut élaborée et des élections organisées sans la participation de l’Upc, alors en rébellion. Aussi, les pourparlers pour la réunification, parachevés lors du Congrès de Foumban, se sont déroulés en l’absence de l’Upc. Et l’on rata, encore là, une deuxième opportunité de réconciliation nationale. On évolua vers le parti unique, toujours sans l’Upc. Et plus tard vint le régime du Renouveau et le coup d’Etat manqué de 1984, qui attisera un autre pôle de mécontentement dans la partie nord du pays.
En 1990, le retour au multipartisme mettra en scène, entre autres mouvements, des protestations politiques de la partie anglophone du pays. Et, là encore, aucun effort sincère de réconciliation n’est fait. L’on aura plutôt droit à la fameuse Tripartite, une farce politicienne qui se soldera par le folklore prémédité par le Rdpc, dont les femmes envahiront la salle avec des arbres de paix, perturbant ainsi une réunion politique qui aurait pu être déterminante pour l’avenir de notre pays si elle était restée rationnelle et dépassionnée. 
Nous croyons en la nécessité d’un gouvernement de transition. Je m’estime à la hauteur pour assurer le leadership d’un tel gouvernement. Le chef de ce gouvernement devra quitter le pouvoir une fois ses missions essentielles accomplies, et la nouvelle Constitution adoptée et promulguée. Le leader de ce gouvernement de transition ne sera pas candidat à l’élection présidentielle suivante. J’estime que mon expérience professionnelle, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, fait de moi le meilleur candidat pour un tel gouvernement de transition. Je suis l’un des rares hommes politiques de l’heure à avoir vécu et travaillé dans le système du Cameroun occidental, du Cameroun oriental durant le fédéralisme et dans le système de l’Etat unitaire. Je suis donc doté de beaucoup d’expérience que j’entends mettre à contribution, dans le dessein de la reconstruction du Cameroun de demain. Tous les ouvrages d’analyse politique que j’ai écrit et publié portent sur la construction d’un nouveau Cameroun et d’une nouvelle Afrique émancipés des jougs tribaux, ethniques et religieux régressifs. Je suis disposé à mettre mon expérience et mes connaissances au service du Cameroun et des Camerounais.
Au lendemain de notre victoire, notre premier acte sera de mettre sur pied la Commission vérité et réconciliation. Elle devra traiter des points essentiels que j’ai déjà évoqués. En plus, elle devra s’attaquer aux principaux fléaux qui ont jusqu’ici porté atteinte aux droits de l’homme en général, à la corruption, aux détournements de fonds publics, etc.
Il est important de souligner que notre règne ne sera nullement consacré à la construction des prisons pour caser les milliers de délinquants à col blanc, qui auront usé de leur position de pouvoir pour piller le trésor public et s’enrichir illicitement : ils sont des milliers, et se retrouvent dans tous les secteurs d’activité. La Commission vérité et réconciliation se penchera sur les cas de ceux qui voudront bien avouer leurs forfaits, restituer le trop-perçu au Trésor public et demander pardon au peuple camerounais. Pour ceux qui franchiront ces étapes, à la satisfaction de la Commission et du peuple, ils bénéficieront de la grâce présidentielle et resteront par conséquent libres.
Une Assemblée constituante sera élue, avec pour mission d’élaborer la nouvelle Constitution du Cameroun sur la base des principes de respect de l’histoire, des cultures et des réalités sociales camerounaises. Cette nouvelle Constitution sera soumise à l’adoption du peuple camerounais, par un vote référendaire. Toute modification ou amendement de ladite Constitution se fera obligatoirement par la même voie. La décentralisation complète des pouvoirs sera consacrée dans cette nouvelle Constitution, pour empêcher aux hommes politiques de se substituer à nouveau aux institutions dans le but d’assouvir leurs desiderata égoïstes. Cette nouvelle Constitution donnera, à chaque Camerounais pris individuellement, le droit de saisir la Cour suprême en cas de violation de l’un de ses droits constitutionnels. Elle devra, par ailleurs, garantir l’indépendance judiciaire, l’impartialité de l’administration et de la Fonction publique assurée par des fonctionnaires bien rémunérés et libérés du joug des pouvoirs politiques subséquents.

Comment entendez-vous améliorer les choses dans les secteurs tels que l’éducation, la santé, la sécurité sociale ?

L’éducation est l’un des secteurs piliers d’une nation. Elle mérite qu’on lui accorde un financement et un investissement conséquents, tout en sachant que les retombées ne sont pas toujours immédiatement visibles. Or, il va de soi que la qualité d’une nation est étroitement dépendante de la qualité du système éducatif qu’elle développe et met à la disposition des jeunes générations. Les bons docteurs, physiciens, ingénieurs, juristes, comptables, banquiers, entrepreneurs et autres, capables de compétitivité et de créativité, ne sont que le résultat d’un bon système éducatif, à la fois moderne et à la portée de toutes les couches sociales. Or, ce secteur souffre, chez nous, d’un sous-investissement qui se ressent dans la précarité de la main-d’œuvre, des infrastructures et de la recherche. Il existe encore de nombreuses localités où des écoles, créées par décret, sont matériellement inexistantes faute de salles de classes, d’enseignants et de logistique. La création d’écoles par décret est devenue la ruse favorite du régime, qui s’en sert pour arnaquer les populations et abuser de leur confiance. Or, les enseignants, tout comme les infirmiers et les médecins, sont des personnels indispensables dans le bon fonctionnement de la société. Mais ils sont négligés et clochardisés par le régime.
Pour éviter de faire face au problème de manière concrète, le régime en place a trouvé l’échappatoire consistant à autoriser les médecins et infirmiers à exercer en clientèle privée. Il y a lieu de se demander à quel moment ceux qui exercent en privé se consacrent aux patients qui font la queue devant les services de santé publique. Il en est de même du secteur de l’éducation, où le gouvernement a opté pour la voie du raccourci en autorisant la création anarchique d’établissements privés sans régulation. Beaucoup de ces structures, destinées à recevoir de jeunes Camerounais, sont construites avec des matériaux provisoires dans des marécages, sans aucune logistique et dans un environnement infeste et invivable. Pour couronner le tout, le personnel qui y enseigne n’est pas qualifié, et certains sont d’ailleurs de moralité douteuse.
Notre gouvernement de transition s’attellera à la construction effective d’infrastructures scolaires qu’elle dotera d’une logistique adéquate, et d’enseignants bien formés et surtout rémunérés décemment, et proportionnellement à leur apport dans le développement de notre nation.
La même anarchie est palpable dans le secteur de la médecine traditionnelle, où il n’existe pratiquement pas de codification éthique et scientifique pour réguler cette profession à l’échelle nationale. Or, à l’échelle internationale, beaucoup de ces praticiens et chercheurs sont reconnus dans et par leurs associations respectives, tandis que le régime continue de voir en eux une menace plutôt qu’une contribution importante dans la construction d’un système sanitaire camerounais autonome. Notre gouvernement créera un partenariat permanent entre la médecine occidentale et la médecine traditionnelle, afin de donner aux herboristes et guérisseurs traditionnels l’opportunité d’approfondir leurs recherches et de contribuer, ainsi, à la construction d’un système de santé plus scientifique et crédible, mais aussi efficace et à la portée de toutes les bourses. De nos jours, les 2/3 des médecins camerounais formés dans nos propres universités exercent à l’étranger. Nous nous engageons aussi à créer des conditions psychologiques, sociales, financières et scientifiques qui soient intéressantes pour les jeunes médecins dont la formation coûte si cher au contribuable, afin de les encourager à exercer volontiers dans leur pays.

Qu’en est-il de la création d’emplois ?
Le régime en place essaye, de temps à autre, de résoudre le problème du chômage par des recrutements massifs dans la Fonction publique. Cette approche est viciée par deux problèmes majeurs :
- les procédures de recrutement sont si corrompues que bon nombre de ceux qui sont retenus sont des personnes sans qualification, ou détentrices de faux diplômes. Ce qui fait que, 5 ou 10 ans plus tard, le régime s’en sert pour faire un autre tapage de mauvais goût sur la lutte contre la fraude et la corruption ;
- la surpopulation de la Fonction publique, engendrée par cette approche du Renouveau, oblige l’Etat à assumer une masse salariale que notre économie ne peut supporter, car l’argent est injecté dans des secteurs qui ne sont pas immédiatement productifs, au détriment des secteurs productifs et générateurs d’emplois qui manquent de financement.
Nous nous proposons de commencer par concevoir une politique fiscale qui attire et encourage l’investissement des nationaux et des étrangers. Les deux principaux obstacles, dont il faudra se débarrasser, sont la corruption et les pesanteurs administratives qui empoisonnent notre environnement et font de notre pays un mauvais risque pour la plupart des investisseurs. Aussi, en l’absence d’un système judiciaire impartial et autonome, capable de dire librement le droit en cas de contentieux, les investisseurs n’oseront pas faire entrer leurs capitaux dans nos marchés. La relance économique, et partant la création d’emplois mieux rémunérés, est étroitement dépendante de la l’élimination de ces obstacles. Le secteur agricole, par exemple, est très prometteur, mais il ne suffit pas de dire aux jeunes de retrousser les manches et de cultiver ; il faut encore mettre à leur disposition le matériel moderne adapté à chaque type de terre et d’exploitation agricole. Il faudra aussi s’assurer que les moyens routiers et automobiles indispensables à l’écoulement des produits sont mis à la disposition des cultivateurs, et réguler chaque secteur pour permettre aux agriculteurs de jouir des retombées de leurs productions dans le cadre d’un commerce équitable.

Et dans le domaine du sport, qui passionne tant les Camerounais…
Le Cameroun a le potentiel qu’il faut pour devenir une grande nation sportive, si l’on cesse de se focaliser uniquement sur le football. Concernant le football, le soutien et les encouragements constants du gouvernement, ajoutés à une dépolitisation de la gestion du football, peuvent produire de meilleurs résultats. Dans d’autres disciplines, il règne un grand déficit de reconnaissance et de subventions proportionnelles aux exigences de chacune d’elles. Or, lorsque, par des efforts personnels, de talentueux Camerounais réussissent à réaliser des exploits à l’échelle internationale, le régime s’approprie tout de suite leurs mérites sans pudeur. L’Etat du Cameroun se doit de mettre, à la disposition des talents camerounais, des infrastructures et des subventions pour encadrer l’éclosion de leur génie dans des disciplines telles que le tennis, le cyclisme, la boxe, le karaté, etc. Mais, si la gangrène de la corruption et du trafic d’influence n’est pas maîtrisée, les fonds alloués à la subvention de ces sports finiront dans des comptes privés, comme d’habitude.

Quelles sont les méthodes que vous préconiseriez dans la lutte contre la corruption ? Votre stratégie de lutte sera-t-elle différente de celle appliquée par M. Biya actuellement ?

Enquêter, poursuivre et condamner les fonctionnaires qui se rendent coupables de ces pratiques de corruption et de détournement, c’est comme courir après une chèvre qui s’est échappée de l’enclos, ou alors poursuivre un cambrioleur qui a pu braver les mesures de sécurité, s’emparer de ce qui ne lui appartient pas et s’enfuir. S’il est important de poursuivre et de rattraper le voleur ou la chèvre qui s’est échappée, il est encore plus productif d’examiner les failles de l’enclos pour éviter que d’autres chèvres ne s’échappent, ou alors que d’autres brigands ne franchissent le dispositif de sécurité.
Il est plus sécurisant, pour l’Etat et pour son patrimoine, qu’au-delà de la punition des détourneurs et corrompus, une étude minutieuse de notre système soit entreprise pour remédier à ces failles qui encouragent les gens de peu de moralité à perpétrer leurs crimes. Cette réforme du système permettra de limiter les détournements et la corruption, à défaut de les éradiquer. N’est-il pas aberrant qu’au XXIème siècle, de hauts cadres de l’Etat traînent encore des mallettes d’argent dans leurs bureaux pour régler des factures et rémunérer d’autres services rendus à l’Etat ? Cette pratique fait le lit de la corruption, puisque le ministre ou le cadre de l’Etat a l’occasion de soustraire sa quote-part et obtenir, du créancier, qu’il signe pour la totalité de la somme qu’il aurait dû percevoir, même s’il n’en reçoit qu’une partie.
On peut tout simplement instaurer que le payement de toute dette publique s’effectue obligatoirement par chèque ou bon du trésor. Les ministres et cadres de l’Etat, en mission à l’étranger, devraient effectuer leurs dépenses non pas avec de l’argent liquide mais avec une carte de crédit conçue pour eux à cet effet. Ce qui limite la confection de fausses factures. Pour moi, le meilleur moyen de clouer les délinquants c’est de renforcer le système de contrôle des décaissements, des encaissements et des dépenses de l’Etat pour un meilleur suivi, afin de décourager les pratiques financières frauduleuses.

Que pensez-vous de la plainte introduite contre M. Biya, concernant l’affaire dite des «biens mal acquis» ?
Tout d’abord, permettez que je clarifie ma position sur la poursuite des chefs d’Etat africains par des pays qui, hier, étaient nos colons et persécuteurs : je n’exclus pas les structures judiciaires initiées et promues par ces mêmes pays, exception faite des Cours créées par les Nations Unies qui sont une autorité internationale, instaurée pour atteindre un objectif et reconnues par la quasi-totalité des Etats de la planète. La Cour pénale internationale et les juridictions internes de certaines puissances occidentales, présentées comme des juridictions universelles, recèlent un dessein néocolonial non avoué. Au début de l’année 2010, répondant à la question d’un reporter de la Bbc concernant le bilan de la Cour pénale internationale après plusieurs années, M. Moreno Ocampo, le procureur de cet organe, répondit spontanément : «Vous voyez, l’Afrique est en train de changer, l’Afrique est en train de changer.» C’était la preuve que cet organe, soi-disant indépendant, a été créé pour l’Afrique. Les pays d’Europe et d’Amérique du Nord n’ont pas développé des Cours indépendantes parce que leurs pays ont su prendre, sur eux, la responsabilité et le devoir de poursuivre leurs politiciens véreux. Ma position de panafricaniste est claire : nous ne réussirons jamais à mettre sur pied nos propres juridictions indépendantes si nous nous accommodons toujours des juridictions créées par des puissances néocoloniales. Nous devons pouvoir nous exercer à régler nos propres contentieux. Les débuts peuvent être difficiles et tortueux, mais c’est dans la pratique que nous nous améliorerons à travers une autocritique qui nous permettra, à terme, d’avoir un système judiciaire indépendant, impartial et juste.
L’élaboration d’une Constitution qui soit adaptée aux réalités sociales de notre pays constitue le fondement d’une telle modernisation de notre système judiciaire. Même si nous n’arrivons pas à juger, dans un bref délai, nos leaders politiques, il va de soi qu’une fois ces jalons constitutionnels posés, il sera plus aisé, pour la nouvelle génération, de parachever la construction d’une institution judiciaire indépendante et outillée pour connaître tous les contentieux. L’émancipation de l’Afrique passe aussi par la rupture d’avec l’époque où les crimes commis en Afrique, contre les Africains et par les Africains, sont jugés exclusivement dans des pays étrangers. La Commission vérité et réconciliation aura pour mission de réconcilier les Camerounais entre eux, gouvernants et gouvernés, le cas de notre président sortant ne fera donc pas une exception.

Comment traiterez-vous des cas John Fru Ndi, du colonel Chi Ngafor et de bien d’autres, qui sont inculpés depuis plus de 4 ans pour l’assassinat d’un militant du Sdf ?

Ceux qui ont suivi, de près, cette affaire d’assassinat savent pertinemment que ce sont en réalité certains pontes du régime Rdpc, et certains responsables de l’administration, qui avaient planté le décor de la scène de violence en bloquant l’entrée du Palais des congres, pourtant régulièrement loué pour notre cérémonie, et encouragé les caciques du Sdf à franchir le rubicond. Et le pire arriva avec le meurtre de notre camarade, Diboulé Grégoire. Les choses avaient donc été manipulées par certains acteurs, pour atteindre leurs fins politiques. Cette affaire méritera aussi que la Commission vérité et réconciliation s’y penche. Le nouveau Cameroun, que nous voulons construire, devra être un pays d’harmonie et de fraternité entre tous les citoyens.

Comment entrevoyez vous 2011, sur le plan international ?
Je commencerai par l’Afrique. 2011 est une année électorale dans beaucoup de pays africains. J’émets le vœu que ces élections se déroulent dans la paix et la transparence. Il est vital que nos leaders politiques apprennent à ne plus confondre leurs intérêts personnels avec les intérêts de leur nation. Il est vital que nos leaders apprennent à mettre l’intérêt général de l’Etat au-dessus de leurs intérêts égoïstes, tribaux ou ethniques. Il y a eu un bain de sang post-électoral au Zimbabwe, au Kenya et maintenant c’est le tour de la Côte d’Ivoire. Nous devons en tirer des leçons pour repenser notre avenir politique. Cette réalité implacable, qui s’impose, révèle l’inadéquation manifeste entre le modèle de démocratie occidentale et les réalités ethnoculturelles de nos pays. Il nous incombe donc de concevoir et de proposer un autre modèle de démocratie, un autre modèle institutionnel qui prenne en compte nos réalités locales.
Le problème, en Côte d’Ivoire, ne se situe pas au niveau de qui a gagné et qui a perdu. Le problème réside dans la précarité de nos institutions étatiques, laquelle précarité a conduit à la négation de la Cour constitutionnelle d’un pays par toute la communauté internationale. Mon rêve est que le projet des Etats-Unis d’Afrique devienne, progressivement, une réalité afin que les Africains se dotent d’institutions et textes nécessaires pour s’autogérer sur tous les plans.
Sur le plan économique, mon souhait est que, dans un premier temps, la Cemac, ainsi que les autres organisations sous-régionales d’Afrique, se dotent de moyens juridiques et institutionnels adéquats pour encadrer et fortifier une plus large et libre circulation des biens et des personnes. Cela devra, à terme, accoucher d’un espace monétaire et d’un marché continental mieux structurés sur lesquels l’Union africaine s’appuiera pour développer sa compétitivité. Je ne crois pas que l’Onu puisse changer, car elle reste et demeure une institution au service des intérêts de grandes puissances et de leurs alliés les plus fidèles. Néanmoins, l’Onu reste le seul organe qui a la responsabilité d’œuvrer pour la paix dans le monde. La consolidation de sa crédibilité passe par le respect de ses missions originelles, qui se résumaient en la défense des intérêts des plus faibles. L’Onu devrait redevenir la voix des sans-voix, conformément à l’esprit qui sous-tendait sa création.

Que pensez-vous de la «Françafrique», de la Francophonie et du Commonwealth ?

Premièrement, il s’agit d’organisations dont le but exprimé est de mettre, ensemble, des pays autour d’une table pour discuter de questions et de problèmes qui les concernent. Vu sous cet angle, on peut dire qu’il s’agit de regroupements destinés à créer des pôles de leadership et de lobbying voués à la défense des intérêts des membres faibles par les membres puissants, qui peuvent facilement faire entendre leur voix sur des questions de grande importance. Pour moi, ces organisations devraient promouvoir le partage du savoir, des découvertes, des compétences, de la culture, etc. afin de cultiver la compréhension et la tolérance interplanétaire pour un monde plus juste et plus fraternel.

Quels sont vos vœux aux Camerounais, en cette année 2011?
Je formule le vœu que chacun de nous, croyant ou non, soit abondamment béni par Dieu tout-puissant en 2011. Puissions-nous recevoir la santé, la prospérité, le succès dans toutes les sphères de la société sur les plans académique, professionnel ainsi que le succès dans toutes nos initiatives. Puisse 2011 être, pour notre pays, l’année de réconciliation nationale, de la paix, de la liberté et de la vraie démocratie.
Je voudrais lancer un vibrant appel à tous les patriotes camerounais en âge de voter : allez vous inscrire massivement sur les listes électorales afin d’exercer votre devoir de citoyens en participant aux élections. Le faisant, vous contribuerez à la réalisation des grandes mutations politiques et sociales que connaîtra notre pays au cours de cette année. Je prie pour la paix et la prospérité, dans notre pays, et remercie Dieu tout-puissant qui nous a fait grâce d’une armée républicaine qui est restée fidèle aux intérêts de l’Etat et de la nation. Puisse le Seigneur lui accorder davantage de clairvoyance au cours de cette année, afin qu’elle reste le fidèle serviteur de la nation au-delà des régimes politiques appelés à passer, fatalement.

Entretien mené par Jean Francis Belibi

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