Cameroun - Sécurité. Insécurité a Douala: quand le grand banditisme fait de la résistance

Félicité FOSSI TOUKAM | Le Messager Jeudi le 22 Mars 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Il ne se passe pas de jours sans que des bandits ne fassent parler d'eux. Les populations terrorisées vivent la peur au ventre.

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1- Les populations dans l'étau des malfrats

Il ne fait aucun doute. Douala, la cité économique est aujourd'hui en proie à l'insécurité. Vols, viols, assassinats, cambriolages, arnaque...y sont récurrents.

Nul n'est à l'abri du grand banditisme. «Je dors la peur au ventre. Parce qu'à tout moment les bandits peuvent débarquer. Nous sommes en insécurité dans les quartiers», pense sylvain Fosto, un habitant de New-Bell. Une crainte partagée par la plupart des habitants de la métropole économique. «C'est le seigneur qui veille sur nous. Surtout que, nul ne sait quand les voleurs débarquent», déclare désespérément Sandrine Eyenga de la Cité Sic. Les quartiers Ndokoti, Nkongmondo, Cité Sic, New-Bell, Mambanda ... et Akwa sont des lieux par excellence de l'insécurité. Circuler dans ces quartiers de jour comme de nuit, nécessite une bonne dose de courage et de prudence. «Il faut avoir un œil avisé pour marcher ici au risque de voir son portefeuille, ses bijoux où ses pièces emportés», déclare Mathias Yimga rencontré dans une rue d'Akwa. Et d'indiquer que «Akwa est envahi par des enfants de la rue qui sèment la terreur et rendent la vie difficile aux passants».

Dans de nombreux cas, la plupart des agressions se font sous les regards impuissants des passants. «Nous ne pouvons rien faire. C'est une façon pour nous de nous protéger et d'éviter d'être dans leur collimateur», confie Yves Waffo, tenancier d'une agro alimentation au marché Ndokoti. Les riverains sont très souvent contraints de se lier d'amitié avec ces «délinquants» par peur de représailles. «C'est avec quelques billets, des présents et un semblant d'affection que nous payons notre tranquillité auprès de ces malfrats», explique avec regret Donald Essola. A Douala, le grand banditisme a le vent en poupe. On se souvient encore de l'assassinat du jeune Eric Money à Deido. La vingtaine dépassée, il avait été froidement abattu dans la nuit du 31 décembre 2011 par, dit-on, des individus à bord d'une moto, alors qu'il rentrait d'une virée nocturne. Son décès avait déclenché un conflit entre les habitants de Deido et les motos-taximen de la ville. Aujourd'hui, le phénomène est allé grandissant au point où même les hôpitaux, l'aéroport... et les églises sont devenus des poches d'insécurité.

Illustration: William Essengué, est abattu par des individus dans la nuit du mardi 10 au 11 janvier 2012 à l'aéroport international de Douala, alors qu'il accompagnait sa sœur cadette, qui retournait en Europe après un bref séjour au Cameroun. Les vols de véhicules des fidèles dans les paroisses de Ndog-bong et à la cathédrale sont autant d'indicateurs de la montée fulgurante du grand banditisme à Douala.


2.- Individualisation constante de la société

Selon le Dr Louis Roger Kemayou, sociologue et enseignant en Science de l'information et de la communication, la montée de l'insécurité au Cameroun et en particulier dans la ville de Douala découle du fait qu'on «assiste de plus en plus à une individualisation constante de la société». Une individualisation de l'environnement qui, selon lui va à l'encontre des valeurs socio-culturelles africaines dont les fondamentaux jadis reposait sur la solidarité communautaire. C'est fort de cette dilution, mieux encore de ce desserrement des liens sociaux, dit-il, que l'insécurité va grandissant dans la capitale économique. Une absence de sécurité accrue qui amène les populations à vivre constamment sous la menace et dans l'anxiété de voir leurs biens emportés du jour au lendemain par des individus sans foi ni loi.

Hier, poursuit-il, «ce n'était pas seulement la famille nucléaire qui était garante de l'éducation d'un enfant. L'enfant appartenait à la communauté toute entière et celle-ci, se chargeait de rattraper les loupes de la famille en matière d'éducation de leur progéniture». Selon le sociologue, nous sommes actuellement à l'ère de l'individualisme catégorique de la société. Par conséquent, argue-t-il, il ne viendrait pas à l'idée d'une personne d'accepter qu'un concitoyen fasse des remontrances au fruit de ses entrailles. «Aujourd'hui lorsque vous voulez remonter les bretelles à un enfant qui n'est pas le vôtre, ses géniteurs sont les tout premiers à vous demander de quoi est-ce que vous vous mêlez», constate le sociologue. Ceci étant, poursuit-il «le jeune enfant est livré à lui-même. Et son éducation se fait si ce n'est pas par la télévision, par la rue». Jusqu'ici, constate Dr Louis-Roger Kemayou, rien n'est fait pour endiguer le phénomène et amener les familles à se prendre en charge ainsi que leurs progénitures.

Au-delà de l'individualisation de la société, la permissivité de l'espace médiatique «fait en sorte que l’enfant soit exposé a toutes formes de productions écrites et audio-visuelles qui lui confèrent un état d'esprit le prédisposant à des actes nuisibles et répréhensibles par la loi», explique le sociologue. L'éducation, base motrice de la construction d'une société normale, a foutu le camp. Même les éducateurs devant redresser les enfants sont aujourd'hui, selon Louis-Roger Kemayou, des «fonctionnaires que des missionnaires, parce que, choisir d'enseigner c'est un sacerdoce et on n'est plus là à regarder les aléas. Pis de raconter à ses élèves qu'on aurait pu gagner mieux sa vie dans un autre domaine et que c'est par dépit qu'on est entré dans l'enseignement. Dans cette posture, l'enseignant ne se présente plus comme un modèle, et ces derniers sont prêts à tout pour avoir beaucoup d'argent sans passer pas des canaux décents».

Conséquence, la jeunesse perd ses repères et bienvenue la croissance de l'insécurité.


3.- Démission des pouvoirs publics

Assurer la sécurité des personnes et des biens fait partie des missions régaliennes de l'Etat. Une tâche importante et cruciale qui a d'ailleurs suscité la création de nombreuses structures en charge de la sécurisation des habitants partout où ils se trouvent. Parmi, elles, le Bataillon d'intervention rapide (Bir), Groupement spécial d'opération (Gpo) et le groupement d'intervention polyvalent de la gendarmerie nationale (Gipgn), les Equipes spéciales d'intervention rapides (Esir) de la police. Cependant, malgré ce renforcement du dispositif sécuritaire rien ne change. Au contraire, le phénomène s'accroît de manière exponentielle dans la ville de Douala. Selon les citadins, «c'est avec désinvolture que les forces de l'ordre travaillent et par conséquent, manquent à leurs devoirs». La plupart du temps, elles s'inscrivent aux abonnés absents lorsqu'elles sont sollicitées. Lorsqu'elles n'arrivent pas tout simplement sur les lieux avec retard. «Nous n'avons pas de carburant dans la voiture. Il n'y a personne à la base», entend-on souvent.

A la longue, les populations, lasses d'attendre une réaction significative des pouvoirs publics se sont organisées en comités de vigilance et groupes d'autodéfense. Et les malfrats pris en flagrant délit ou suspects, ont rarement le temps de s'expliquer. Poursuivis par la clameur publique, ils ont hâte de parvenir à un poste de police, devenu pour la circonstance un havre de survie. Au finish, la cadence et l'impact des forfaits que commettent les bandits dans la cité économique opposés au bilan de la répression montrent une réelle disproportion entre l'intensité du mal et l'efficacité de la thérapeutique. Aujourd'hui, n'est-il pas nécessaire de penser la politique de sécurisation sur la durée pour permettre l'instauration de la sécurité durable? Le grand banditisme à Douala et partout ailleurs sur le triangle national a cessé, depuis le début des années 1990, d'être un simple problème de maintien de l'ordre. Chaque fois que se relâchera l'autorité de l'État ou qu'il y aura des troubles socio-politiques, des jeunes désœuvrés, déscolarisés, on devra s'attendre à ce que l'insécurité reprenne de plus belle.


 

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