Cameroun - Sécurité. Contre enquête :La vraie affaire des 310 millions détournés au Mindef

Xavier Messè | Mutations Jeudi le 10 Décembre 2015 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le président Paul Biya, saisi par les instances du Centre inter-régional de coordination pour la sécurité dans le golfe de Guinée, établies à Yaoundé depuis un an, a fait débloquer 310 millions à cette structure pour son fonctionnement.

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L’opération a été réalisée depuis le mois d’août dernier. L’argent n’est jamais arrivé dans les comptes du Cic. Il se serait volatilisé dans  les tiroirs et les poches des responsables du Mindef, précisément à la Marine. Mutations a reconstitué les traces de ce polar digne de « l’affaire Dreyfus ».



Une enquête de Xavier Messè

Les faits


La rencontre entre le colonel sénégalais Abdourahmane Dieng et le contre-amiral Jean Mendoua se déroule à la manière de celle qui eut lieu entre le capitaine Alfred Dreyfus et le colonel Picquart, tous deux de l’armée française au début du XIXè siècle. La suite de cette rencontre donna naissance à un gros mensonge dont les conséquences  engendrèrent l’«Affaire Dreyfus», qui traversera par la suite tout le siècle par des conséquences dramatiques. Des similitudes sont nombreuses et frappantes avec le cas des deux premiers cités.

Le 14 octobre dernier, le contre-amiral Jean Mendoua convoque à son bureau, situé dans la zone dite Intendance à Yaoundé, le colonel Abdourahmane Dieng, directeur exécutif du Centre inter-régional de coordination (Cic), une école inter-Etats créée par les chefs d’Etat de la zone du Golfe de Guinée et gérée collectivement par la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) et la Commission du Golfe de Guinée (Cgg). La 2ème institution citée, à qui il revient de nommer cette fois le directeur exécutif, avait ainsi porté son choix sur le colonel gendarmerie sénégalais.

La rencontre entre les deux officiers est fixée à 19h. Le colonel Dieng, 51 ans, a le statut de diplomate et à ce titre couvert par l’immunité. Il est protégé, et ne peut donc déférer qu’à une invitation du ministre en charge des Affaires étrangères au Cameroun. Il accepte cependant de se rendre à cette rencontre, par respect de la hiérarchie militaire.

Mais l’échange entre les deux hommes sort rapidement de la courtoisie diplomatique, pour se muer en injonctions de la hiérarchie teintées de menaces à peine voilées sur Abdourahmane Dieng. Le contre-amiral Jean Mendoua, visiblement tendu, sort d’un tiroir de son bureau une feuille de papier. Elle est griffonnée de deux lignes, constituées de lettres et de chiffres. On y lit une curieuse distribution des sommes, à l’origine non identifiée :

«Cabinet du contre-amiral : 232 millions de francs Cfa (Jean Mendoua)

«Centre inter-régional de coordination : 77.751.000 Cfa (colonel Dieng).»

Mme Koumou Okono est lieutenant de l’armée. Son physique et sa mise contrastent avec les habitudes des hommes en tenue. Elle se dirige modestement vers le colonel Dieng, assis devant le contre-amiral. Elle pose devant lui un sac débordant de billets de banque, et lui tend ensuite un document à signer d’avoir reçu la somme d’argent signalée plus haut. Le colonel Dieng mesure les risques immédiats, et ceux à venir : le refus de signer équivaut à un acte de désobéissance à la hiérarchie militaire, mais sortir de ces lieux, avec un sac plein d’argent, est aussi un risque à cette heure de la nuit. Il signe avoir reçu cette somme, mais promet de la transporter le lendemain.

Règlement de contes

Durant sa formation militaire en France, le Sénégalais s’était spécialisé en criminologie et en études graphologiques. Il sait que le plus difficile, en lieu redouté, est d’en partir ; le reste pourra se gérer par la suite. Il sort de l’intendance militaire d’abord sans dommage, contacte Mme Kounou Okono le lendemain, lui précise que cette somme d’argent ne saurait entrer dans le compte du Cic parce que ne correspondant à aucun chapitre des recettes attendues de la part des contributions camerounaises. Aussi préfère-t-il communiquer son compte bancaire personnel pour y loger cet argent.

Le lieutenant Koumou Okono fait effectivement virer la somme dans le compte personnel du colonel Dieng logé à Ecobank, agence poste centrale à Yaoundé gérée par Flavie Bifounou. Pour cette dame, le colonel Dieng est naturellement un client privilégié : la marine lui remet tous les mois une dotation avoisinant le million de francs Cfa, en  plus de son traitement mensuel en dollars assuré par la Cedeao depuis Abuja, au Nigeria. Tout ceci confère au directeur exécutif du Cic un statut de client Vip.

Le jour où Abdourahmane Dieng ordonne à Flavie Bifounou de retourner cet argent à son envoyeur, celle-ci oppose un refus catégorique, argumentant que «le contre-amiral avait ordonné que le compte ayant reçu le virement soit suspendu de mouvements pendant dix jours». Le propriétaire du compte, le colonel Dieng, s’étonne par ailleurs qu’un «montant initial de 310 millions de francs, représentant les charges camerounaises liées au pays de siège et relatifs au protocole de fonctionnement du Cic, soit amputé sans explication de 232 millions de francs par le contre-amiral Jean Mendoua, qui n’est nullement mandaté par les trois institutions qui supervisent la structure». Pour lui, il s’agit rien moins que d’un détournement de fonds publics.

Et la tournure des événements préoccupe au plus haut niveau le colonel Claude Ebeni Ebozo, chef de service des affaires générales. De sa carrière sereine et à ce poste sensible, il a vu des affaires passer. Il en connaît des molles et des dures et sollicite alors la compréhension, la clémence et la compréhension d’Abdourahmane Dieng : «Mon colonel, votre argent a mis du temps dans mes coffres. Je ne connaissais pas votre numéro de compte, je l’aurais déposé là-bas depuis longtemps… Couvrez-nous, mon colonel, je vais demander aux officiers qui ont pris l’argent de vous le restituer.»


 

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