Cameroun - Politique. Disgrâce : Les dessous du limogeage de Dipanda Mouelle

Dominique Mbassi | Repères Lundi le 13 Avril 2015 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
L’ex-premier président de la Cour suprême était devenu incontrôlable.

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N’ayant plus rien à craindre à son âge, il ne trouvait pas d’inconvénient à remettre en liberté les victimes de l’opération ‘’Epervier’’ dont il était convaincu de l’innocence.

 

Ce n’est pas tous les jours que Paul Biya lit la presse. Pour s’assurer de la publication de ses décisions. Au lendemain de la tenue de la dernière session du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) le 18 décembre 2014, le président de la République reçoit son numéro de Cameroon tribune paru tard ce vendredi après-midi et qui publie un volumineux encart sur l’intégration, les promotions et les nominations de magistrats entérinés à l’issue du conclave. Au terme de la lecture de l’encart spécial, Paul Biya n’a vu aucune trace des décrets concernant Alexis Dipanda Mouelle et les autres hauts magistrats de la Cour suprême (CS).

 

Croyant avoir été partiellement ‘’censuré’’, le Président pique une colère noire. Le SG/PR, coupable de n’avoir pas assuré la veille, subit alors les foudres présidentielles. Jusqu’à ce que les responsables de la rédaction du quotidien de la rue de l’aéroport, qui ont reçu la chemise des décrets tard, et pratiquement sommés de s’expliquer, fassent remarquer que ces décrets ont plutôt été publiés dans les pages normales.

 

La colère de Paul Biya trahit la sensibilité de sa décision de se passer enfin de la collaboration de Alexis Dipanda Mouelle, premier président de la Cour suprême. Cette agitation, croit savoir une source introduite, s’explique davantage par la manière dont la décision de se séparer de celui qui trônait depuis bientôt 25 ans à la CS a été prise.

Pendant les travaux de cette session du CSM attendue depuis presque 3 ans, les représentants de la Cour suprême, dont Clément Atangana, président de la Chambre administrative, sont priés de quitter la salle. Et c’est pendant leur absence, souffle une source judiciaire, que le dossier relatif au départ à la retraite des têtes couronnées de la plus haute juridiction camerounaise est examiné.

 

Les décisions les mettant à la ‘’retraite’’ ont donc, d’après la même source, été signées bien après tous les autres décrets. Clément Atangana, Alexis Dipanda Mouelle ou Martin Rissouck à Moulong apprendront à la radio, comme tout le monde, le décret présidentiel les mettant enfin à la retraite. Premier président de la Cour suprême depuis pratiquement un quart de siècle, M. Dipanda Mouelle, 75 ans environ, aurait dû prendre sa retraite une décennie plus tôt. Par la seule volonté de Paul Biya, il est resté en fonction, tout comme le procureur général près la Cour suprême, M. Rissouck à Moulong ou Clément Atangana.

 

D’après les informations de Repères, c’est principalement l’affaire Jean Marie Atangana Mebara qui a provoqué non pas le départ à la retraite mais le limogeage de M. Dipanda Mouelle et consorts. Et c’est le rapport du conseiller-rapporteur Bikoué sur le pourvoi en cassation formé par M. Atangana Mebara qui scelle la disgrâce. Ce proche du premier président rappelle qu’au moment où la décision du tribunal de grande instance du Mfoundi acquittant l’ancien SG/PR est rendue, la loi portant création du Tribunal criminel spécial (TCS) est déjà entrée en vigueur.

 

Or le ministère public s’est trompé de procédure en faisant appel devant la Cour d’appel, qui a condamné M. Atangana Mebara à 15 ans d’emprisonnement. Examinant le pourvoi de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, le conseiller-rapporteur Jean Jacques Bikoué souligne que le ministère public aurait dû saisir directement la Cour suprême. Les délais de saisine étant dépassés, désormais la décision du tribunal de grande instance du Mfoundi a acquis l’autorité de la chose jugée. En clair, sur cette affaire, M. Atangana Mebara doit être remis en liberté.

 

Mise au parfum de cette position que partage aussi le premier président, la Chancellerie alerte aussitôt par écrit Paul Biya. Cette note a le donc de renforcer la conviction que le conseiller-rapporteur Bikoué, et donc Alexis Dipanda Mouelle, sont devenus incontrôlables. Surtout que Edouard Etonde Ekoto vient d’être lavé de toute accusation par la Cour suprême. Et d’autres pourvois, comme ceux d’Olanguena, de l’affaire Marafa ou de Nguini Effa, sont en passe de connaître la même issue.

 

Une telle perspective décrédibiliserait à jamais l’opération ‘’Epervier’’. C’est ainsi que Paul Biya décide de se séparer de M. Dipanda Mouelle. « Rissouck à Moulong et Clément Atangana sont des victimes collatérales qui permettent d’accréditer la thèse d’une mise à la retraite », souffle un avocat visiblement bien au fait de ce dossier. Pour convaincre que le premier président et certains de ses fidèles ont bel et bien été sanctionnés par Paul Biya, il fait remarquer le sort réservé à tous ceux qui ont fait montre d’une quelconque volonté d’indépendance. Jean Jacques Bikoué a été nommé chef du centre de documentation juridique, judiciaire et multimédia de Yaoundé. Même si cette structure bénéficiant d’une autonomie administrative et financière peut conférer des avantages certains, mais il ne convient pas à un magistrat hors-hiérarchie 2è groupe, de surcroît conseiller à la Cour suprême. Surtout que cette structure, créée en 2012, n’a jamais fonctionné. Son prédécesseur à ce poste, Jean-Claude Awana, magistrat hors-hiérarchie 2è groupe, qui a été fait président de la Cour d’appel de l’Adamaoua, s’est presque tourné les pouces.

 

 

 Gilbert Schlick a été nommé parmi les 14 vice-présidents de la Cour d’appel du Centre. Une promotion qui confine le bénéficiaire dans un véritable garage. Pis, pour bien ‘’punir’’ l’ex-président du tribunal de grande instance du Mfoundi coupable d’avoir ouvert la brèche à l’indocilité des magistrats en déclarant Jean Marie Atangana Mebara non coupable, il n’est pas passé hors-hiérarchie comme la plupart de ses camarades de promotion de l’Enam. Preuve que les décisions concernant les magistrats de la Cour suprême ont au moins été prises dans la précipitation, Jean Pierre Mvondo Evezo’o, élevé à la hors-hiérarchie 1er groupe à l’issue de la session du CSM du 18 décembre, a été en même temps nommé conseiller à la Cour suprême. Comme si entre-temps on recherchait le meilleur profil susceptible de prévenir toute remise en liberté des victimes de l’opération ‘’Epervier’’, le patron de la magistrature attendra le 13 mars 2015 pour le nommer à la tête de la section spécialisée de la Cour suprême.

Pour mieux comprendre les enjeux de cette nomination, il suffit de se rappeler que « la chambre judiciaire statue souverainement sur les recours en cassation admis par la loi contre les décisions rendues en dernier ressort par les cours et les tribunaux de l'ordre judiciaire et les décisions des juridictions inférieures de l'ordre judiciaire devenues définitives dans les cas où l'application du droit est en cause. »

 

Il convient aussi de souligner que dans l’univers judiciaire camerounais, Jean Pierre Mvondo Evezo’o, qu’on dit très proche de Jean Foumane Akame, conseiller juridique de Paul Biya, apparait comme un faucon. Le bourreau de tous ceux qui, depuis le déclenchement de la première affaire Titus Edzoa en 1997, jusqu’aux interpellations de Jean Marie Atangana Mebara en 2010, ont été pris dans les fourches caudines de la Justice. Tantôt en tant procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi, tantôt comme procureur général près la Cour d’appel du Centre, tantôt comme directeur des affaires pénales et des grâces du Minjustice, il aura toujours été au cœur de l’opération ‘’Epervier’’. Il peut aujourd’hui se targuer de connaître sur le bout des doigts pratiquement toutes les affaires de l’opération ‘’Epervier’’. Et l’expérience du passé montre qu’il a toujours, contre vents et marées, été du côté du pouvoir. Un signal pour tous ceux dont les pourvois en cassation attendent depuis de longs mois à la Cour suprême.

 

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