Lutte contre Boko Haram. Paul Ayah Abine: « Les soldats tchadiens n’apporteront rien de positif »

Le Jour Jeudi le 22 Janvier 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Paul Ayah Abine. Dissident du Rdpc devenu opposant politique, le magistrat hors hiérarchie vient d’être nommé avocat général à la Cour suprême. Il revient sur cette nomination, ses nouvelles relations avec le pouvoir et se prononce sur la guerre contre Boko Haram.

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Comment vous sentez-vous depuis votre nomination comme avocat général à la Cour suprême ?

J’étais en détachement à l’Assemblée nationale pendant 11 ans. Ma réintégration dans la magistrature, quelque douze ans après s’accompagne de nouvelles taches. Je vois devant moi une tache énorme, exigeant un recyclage sérieux: la mise à jour des connaissances juridiques. Aussi faudra-t-il réaménager mon emploi du temps. Vous savez bien qu’à l’Assemblée nationale, on est en repos permanent sauf pour 90 jours au plus par an pour trois sessions ordinaires. Or, dans la magistrature, on travaille au quotidien sauf lors de la vacation judiciaire annuelle.

Vous attendiez-vous à être nommé?

Etant à l’Assemblée nationale, j’avais demandé d’aller à la retraite anticipée. Le ministère de la Justice a posé une fin de non recevoir. Mais la loi dispose qu’un magistrat élu est en détachement d’office pendant tout son mandat; une autre loi dispose qu’à la fin du détachement, on le réintègre « automatiquement» à son service précédant le détachement. J’avais pris tout de même les précautions pour déposer un dossier au ministère de la Justice afin de réintégrer ledit ministère. Mais pendant quinze mois, non seulement ma demande est restée sans suite mais j’ai passé 15 mois sans salaire. Je me considérais donc abandonné et, par conséquent, je ne m’attendais à rien. Quelle
surprise donc! Non seulement nommé, mais promu au grade le plus élevé dans la magistrature: magistrat hors hiérarchie premier groupe, indice 1.300!

Comment entendez-vous aborder ce nouveau défi?

Faire de mon mieux comme toujours: rendre justice à tous sans peur ni faveur.

On sait que vous avez été particulièrement critique à l’égard du régime Biya et du Rdpc, allez-vous vous taire définitivement ?

Ma promotion et ma nomination n’ont suivi qu’une logique normale. Mais voyons! Intégré dans la magistrature le 21 octobre 1978, j’ai fait une carrière de 24 ans avant d’aller en détachement à l’Assemblée nationale en 2002 en tant que magistrat de 4ème grade avec 6 ans d’ancienneté dans ledit grade. Un an après, et le 1er juillet 2003, je suis promu à la hors hiérarchie, deuxième groupe, indice 1.115. Si je suis promu au premier groupe à compter du 1er juillet 2012, cela veut dire que je suis resté à la hors hiérarchie 2ème groupe pendant 9 ans.

Il ne s’agit donc pas d’un fait hasardeux à votre avis…

Du fait du hasard, monsieur ? Il faudrait que le Camerounais se hâte pour acquérir des connaissances élémentaires du droit. La loi sur l’élection des députés à l’Assemblée nationale dispose qu’un magistrat élu est considéré comme étant en détachement pendant toute la durée de son mandant. La loi relative au détachement dispose qu’à la fin du détachement, le concerné réintègre automatiquement son service d’avant le début du détachement. Dans mon cas, le détachement a pris fin en septembre 2013. Je devrais réintégrer la magistrature automatiquement en octobre 2013. Me nommant en décembre 2014 signifie que j’ai accusé un retard de 15 mois par rapport à la loi. Et vous voyez la récompense dans tout cela? ... Pas très sérieux, n’estce pas? Quant à me « faire taire définitivement », l’avenir nous mettra à l’épreuve. Mais sachons d’ores et déjà que dans la magistrature, on est tenu à la neutralité et à la réserve. Il ne me sera plus désormais si loisible de m’exprimer aussi librement comme lorsque j’étais en politique. Mais n’oublions pas
qu’un homme juste ne doit jamais se taire face à l’injustice!

L’opinion vous aura à l’œil dans tous les cas…

Ce n’est pas à mon âge actuel que je faillirai à l’obligation de soumission à ma conscience.

Si vous aviez un message à adresser actuellement au Chef de l’Etat, que lui diriez vous?

Je proposerais au président de la République, avec force, d’assurer sa succession étant encore en vie. A entendre un pourcentage pas du tout négligeable des Camerounais s’exprimer, M. Biya, après trois décennies à la tête de l’Etat, s’est revêtu du symbole de rassemblement national. Ajoutons à cela son autorité du commandant-en-chef des forces armées. Il est donc en position de force dans le civil comme dans l’armée. Pendant que M. Biya vit encore, son successeur sera en mesure de consolider sa position sous la couverture et l’aval de son prédécesseur...
Dans le cas contraire, il y aura un vide dangereux en ceci que le nouveau-venu sera doublement inconnu, et devant les civils et aux yeux des forces armées. Peu importe qu’il assumera le rôle du commandant en-chef des forces armées. Il lui faudra du temps pour nouer et entretenir des liens solides avec ces forces armées qui ne lui devront rien en termes de promotions ou de nominations. Et c’est dans cette position de faiblesse que le successeur sera appelé à faire face en même temps aux rivaux également gonflés d’ambitions de gouverner. Une simple étincelle plongera le pays dans une conflagration impossible à éteindre.

Vous étiez invité à la cérémonie des vœux au président Biya. On note tout de même un changement de cap dans vos prises de position ces derniers temps....

Vous n’êtes pas sans savoir que je suis un homme de droit.Il va sans dire que le devoir d’assujettir à la loi m’incombe. Nous avons la loi fondamentale qui a créé les institutions républicaines. Il ne revient pas au magistrat, surtout au magistrat de haut rang, de bafouer le premier la légalité. Toute ma contribution pour un changement au Cameroun, bénéfique à tous, s’est toujours inscrite dans la légalité. Jusqu’à ce qu’il y ait une autre personne à la tête de l’Etat, tout citoyen ou sujet reconnaissant la loi doit accepter le chef de l’Etat actuel. Nous devons aussi commencer déjà à nous habituer à l’existence des institutions plutôt que de voir les personnes symboliques. On
présente les vœux au président de la République et non pas à une personne.

Jusqu'où le People Party for Action (Pap) est-il prêt à aller avec le Rdpc?

A vous de nous dire quand est-ce qu’on a entamé des pourparlers; et où on en est actuellement. Nous à PAP, nous sommes intègre aujourd’hui comme hier. Et nous comptons continuer à garder notre intégrité soigneusement et jalousement demain et toujours.

Continuez-vous de penser que le Rdpc est au bord de l'implosion?

Si vous voulez que je reprenne ce que vous connaissez déjà si bien, je n’ai pas peur du superflu. Après la commission de Musonge suivie des sanctions allant jusqu’aux exclusions – les toutes premières depuis la création du Rdpc- après tant de barons du parti en prison; après des rivalités répétées entre le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale; après la guerre des mots entre la Lekié et les nordistes; après tout ce que vous lisez au quotidien dans les journaux; est-ce qu’une telle question n’est pas purement rhétorique? Même les enfants dans le ventre savent non seulement que le Rdpc est au bord de l’implosion, mais ils savent que le Rdpc va voler en éclats après l’implosion qui suivra le départ de M. Biya.

Certaines langues affirment que vous avez béni le chef de l'Etat après votre nomination. C'est tout de même surprenant eu égard à vos critiques envers son système.

J’ai présenté des vœux de nouvel an au président de la République en tant que membre de la Cour suprême du Cameroun. Quand les institutions en charge du processus électoral ont déclaré un candidat élu, et qu’on a épuisé les recours en justice, il ne m’appartient pas en tant qu’un homme de droit d’aller à l’encontre de la loi. C’est cela d’ailleurs la différence entre les civilisés et les voyous. J’aurais présenté les vœux de la même manière si c’était M. Jean-Philippe Nguemeta qui portait le manteau du président de la République. Critiquer n’entérine pas la violation de la loi.

Peut-on penser qu'il s'agit d'un pur réalisme ?

Il s’agit du respect de la légalité, de chercher un avenir meilleur pour les Camerounais dans la loi (la justice) et dans la paix.

Quels sont désormais vos rapports avec les membres du Scnc?

Nous prendrons un autre rendez-vous pour aborder un sujet si important! Pas de mélange!

Vous semblez tout de même avoir démissionné du poste de président de ce mouvement sécessionniste. Pourquoi?

La réponse est renvoyée à une date ultérieure.

Peut-on servir le Cameroun en étant sécessionniste?

La réponse réside dans un avenir pas si lointain.

Comment cela est-il possible?

On saura.

Un mot sur l'actualité nationale marquée par Boko Haram

On ne peut ne pas condamner les tueries de Boko Haram ou de tout autre groupe terroriste. La vie humaine est sacrée et personne n’a le droit de l’ôter à autrui. Ceci est d’autant vrai quand il s’agit des innocents. Nous devons toujours privilégier la paix dans toute circonstance. Ce disant ne réduit en rien cette vérité que l’homme de la paix est celui qui se bat pour l’existence continue de la paix. L’homme de la paix ne maintient pas la paix, il la cultive. Le jardin de la paix c’est le dialogue. Le dialogue est le contraire de posture dominatrice. Celle-ci malheureusement est la plupart du temps le noyau des valeurs nuisibles chéries par nos dirigeants. Prenons par exemple le problème anglophone

Est-ce que vous n’exagérez pas un peu ?

Voici un groupe de paisibles citoyens qui ne sont pas contents. Ils demandent depuis longtemps le dialogue pour pouvoir exposer leurs mécontentements et peut-être présenter des revendications, voire des propositions pour un avenir meilleur. Le refus caractérisé et catégorique de les entendre finira par radicaliser quelques uns entre eux. Qu’est-ce qui va se passer? Dès qu’un seul parmi eux fera recours à la violence ? Des personnes étrangères à la cause mais qui vont récolter des bénéfices individuels ou même de groupes vont saisir l’opportunité et se servir. Etant en dehors de contrôle de ceux qui sont plutôt pour le dialogue, ils ne s’arrêteront devant rien pour atteindre leurs buts. En ce moment là, on parlera de terroristes.

Que proposez-vous donc ?

Le peu que l’on puisse dire est que toute hostilité se termine par un règlement autour d’une table. Tout homme raisonnable privilégiera le dialogue direct pour empêcher les pertes en vies humaines et des dégâts matériels. En dialoguant, on établit les causes menaçant la paix et on les déracine. On abat un arbre une fois pour toute si l’on le déracine. On n’abat pas un arbre en coupant les branches. Le monde devrait apprendre des leçons de l’Iraq, de l’Afghanistan, de la Somalie... On ne peut rien régler par la force. Moins encore quand il s’agit des terroristes, en ce qu’un seul terroriste est capable de semer la terreur – de tuer plusieurs personnes. Déclarer la guerre aux terroristes donc est une aberration. On ne fait pas la guerre contre un ennemi au visage invisible! Si bien que la présence des soldats tchadiens n’apportera rien de positif contre Boko Haram. A mon avis, il est de l’intérêt de tous de chercher à savoir qui sont les Boko Haram et quelles sont leurs doléances. En le faisant, on pourrait éviter le pire, et sauver entre temps les vies humaines. L’orgueil et des injures qui ne servent à rien et qui ne profitent à personne!

Les chefs d'Etat se sont mobilisés en France avec l'affaire Charlie Hebdo. Etes-vous Charlie Hebdo ?

Je suis pour le dialogue, la justice et la paix!
 

Propos recueillis par Jean-Philippe Nguemeta

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