Cameroun - Politique. Feuilles de route: Des leaders jugent l’évaluation de Paul Biya. Regards croisés de Charly G. Mbock, Owona Nguini, Jean M. Nintcheu, Vincent S. Fouda

Edouard Kingue | Le Messager Mardi le 11 Septembre 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
« Le gouvernement a été mis en mission pour l’atteinte les objectifs assignés à travers ses feuilles de route qui seront évaluées en août 2012 », claironnait début juillet avec des accents présidentiels, le directeur du cabinet civil, Belinga Eboutou. Le mois d’août est passé, charriant les eaux de pluies sur la piste des hommes. Depuis, on ne voit rien venir.

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L’évaluation des ministres par Paul Biya évaluée. Gadget présidentiel ou pétard mouillé ? Les feuilles de route sont dans les «sissonghos»

« Le gouvernement a été mis en mission pour l’atteinte les objectifs assignés à travers ses feuilles de route qui seront évaluées en août 2012 », claironnait début juillet avec des accents présidentiels, le directeur du cabinet civil, Belinga Eboutou. Le mois d’août est passé, charriant les eaux de pluies sur la piste des hommes. Depuis, on ne voit rien venir. Pourtant, le président semblait tenir particulièrement à ces feuilles de route qui, à défaut de conseils ministériels, sont estimées d’une importance vitale pour le développement du Cameroun selon Belinga Eboutou. Que s’est-il donc passé ? Le nouveau gadget présidentiel est-il passé subitement de mode comme une vulgaire marque de lessive ? L’évaluation des ministres a-t-elle été différée pour cause d’absence prolongée de Biya ?

Parti à l’étranger pour un bref-court-séjour-privé, personne ne possède l’agenda du président dont la rentrée (le couple présidentiel est rentré hier lundi 10 septembre, ndlr) marquera sans doute le branle-bas au sein du gouvernement dont l’inertie est proverbiale. Pourtant, selon le directeur du cabinet civil, « depuis l’élection présidentielle du 9 octobre 2011, les défis de l’émergence s’imposent à l’économie camerounaise. Le pays tout entier est entré dans une ère de changements. Changements dans les conduites managériales, changements dans les comportements ». Nous sommes donc au mois de septembre et l’opinion publique prise à témoin de la nouvelle trouvaille du prince, attend toujours que les copies corrigées des validations ministérielles soient rendues publiques avec les sanctions qui s’imposent : bon, passable, médiocre, à revoir…

Encore un slogan ? L’une des conclusions du séminaire ministériel du 10 juillet 2012 a porté sur le mode opératoire de l’évaluation annoncée des ministres. Le chef du gouvernement indiquait alors qu’ils seront jugés sur leurs résultats techniques plutôt que sur leurs activités politiques. « 15/20; 09/20; Pourquoi pas 02/20 ? Ces notes d’écoliers pourraient être infligées aux 36 ministres, titulaires d’un portefeuille, par le président de la République du Cameroun au cours du mois d’août 2012 », écrivions-nous à la suite du séminaire gouvernemental. Sur les critères d’évaluation concernant le niveau d’exécution des projets annoncés; les rapports entre les promesses faites par les ministres dans leurs feuilles de route et les attentes socio-économiques, la cohérence et la précision des objectifs énoncés et l’analyse des retards des exécutions des différents plans.

Certes, la compétence individuelle des membres du gouvernement n’est pas remise en cause. Beaucoup sortent de grandes écoles et ont un itinéraire professionnel connu. Il faut plutôt se demander sur quelle base ils ont été cooptés au gouvernement. Les postes qu’ils occupent sont-ils le résultat de leurs interventions et implications publiques passées dans divers domaines de compétence ?

Ce qui fait aussi problème, c’est l’incompétence d’équipe dans un gouvernement qui souffre d’un déficit criard de management, où le conseil de ministre est une vue de l’esprit. Être membre du gouvernement ne semble pas une destination de grande sérénité, encore moins de haute sécurité. Les ministres ne sont pas pris en main et suivis au jour le jour dans les comptes-rendus de leurs activités. La feuille de route présidentielle elle même est un chef d’œuvre de rhétorique qui s’appuie sur les grandes réalisations sans prises directes avec les besoins des populations dans leur quotidienneté.

Selon Charly Gabriel Mbock qui estime qu’après trente ans de paperasserie, ce ne sont moins les feuilles qui intéressent les Camerounais que la route, « le dilatoire managérial n’est d’aucune efficacité opérationnelle pour une nation en impatience de résultats ». C’est du vaudou politique s’exclame Sosthène Fouda. En conséquence de cela, il apparaît selon Owona Nguini que « c'est l'ensemble de la gouvernance du Renouveau National, c’est-à-dire du "Régime Biya", qui doit être évalué ». Alors que Jean Michel Nintcheu se demande « qui va évaluer l’évaluateur ». Nous nous sommes donc rapprochés de ces analystes pour décrypter ce concept de feuille de route qui semble avoir pris les chemins de sissonghos.

Edouard Kingue



Focal: Biya n’a pas inventé le fil à couper le beurre

En France, le gouvernement Fillon entendait évaluer ses ministres par un cabinet spécialisé. Cette méthode de management vient des États-Unis ou les Américains définissent le ‘merit rating’ comme un processus par lequel la direction d’une entreprise observe le comportement d’un individu et mesure ses résultats pendant une période donnée. Dans les entreprises américaines, l’évaluation des performances a pour but inavoué de maintenir les employés sous le contrôle psychologique de la direction. C’est un peu la vieille méthode de la carotte et du bâton. La crainte qu’elle inspire aux salariés renforce leur soumission. Au cours de sa première campagne électorale pour la présidentielle, Nicolas Sarkozy avait annoncé que s'il était élu président, il rendrait compte des résultats de ses engagements auprès des Français. Il avait basé sa mission sur le chiffre. De la même manière, il souhaitait que son gouvernement soit évalué sur des critères précis et soit noté au résultat.

Pour la première fois en France, des ministres devaient être évalués. Comme dans certaines entreprises privées, il leur était demandé de faire du chiffre. Pour mettre en œuvre ce bulletin d'évaluation, le gouvernement avait fait appel à un cabinet en stratégie, Mars & Co pour déterminer les critères d'évaluation. Les ministres avaient reçu des lettres de mission leur détaillant précisément la feuille de route à suivre. Chacun devait réfléchir à la stratégie à adapter pour atteindre les objectifs imposés. Le président et le Premier ministre souhaitaient instaurer une politique de résultats. Ainsi par exemple, Brice Hortefeux alors à l'Immigration et à l'identité nationale, devait être jugé sur le nombre de sans-papiers renvoyés dans leur pays d'origine. Christine Albanel, la ministre de la Culture, devait inciter les gens à se rendre au musée. Son évaluation fut basée sur le nombre de visiteurs de musées les jours où ils sont gratuits. Il était aussi question qu'elle augmente la part de marché des films français en France ou qu'elle réduise le nombre de piratages de musique ou de films sur Internet.

En France, on a pensé à l’époque Sarkozy que cette évaluation des ministres est une simple opération de marketing parce qu'un remaniement ministériel répond à des logiques politiques et non mathématiques. L'évaluation des ministres vite abandonnée s’est avérée le dernier gadget à la mode pour vanter la culture de résultats de Nicolas Sarkozy mais n’a eu aucune conséquence concrète sur l'activité gouvernementale. La preuve, cinq ans plus tard, les Français l’évalueront et le pousseront gentiment à la porte de sortie…

Edking


Mathias Eric Nguini Owona (politologue): «C'est l'ensemble de la gouvernance régime Biya, qui doit être évaluée»



Que pensez-vous de l’évaluation attendue de la feuille de route des ministres et de la publicité faite autour de cette affaire ?

L'idée d'évaluer les membres du gouvernement n'est pas en soi une idée particulièrement neuve, mais même si cela n'est pas originale, une telle initiative a le mérite de rentrer dans les exigences d'un management sérieux qui requiert d'apprécier le niveau de compétence et de performance des acteurs composant une équipe (ici le gouvernement) devant mettre en œuvre avec cohérence, consistance et pertinence, un ensemble d'activités ressortissant de la gestion gouvernementale des affaires publiques. Bien entendu, cette activité d'évaluation doit permettre de dresser un bilan en partie double (actifs-passifs) de l'action des membres du gouvernement, action appréciée ici à partir de la fiabilité du cadrage que constitue la feuille de route ou ‘roadmap’ de chaque département ministériel.


Avec cette approche managériale, la fonction de ministre ne perd-elle pas en crédibilité ?

Le cadre du Conseil des ministres comme instance régulière de contrôle et de suivi hebdomadaire de l'action des membres du gouvernement est le cadre le plus approprié d'évaluation de l'efficacité mais aussi de la légitimité de ceux qui occupent ces hautes charges publiques. Malheureusement, le management gouvernant camerounais marqué par le souci d'affirmer et d'assurer l'emprise du prince présidentiel sur la gouvernance des ministres a complètement réduit à néant cette instance de délibération mais aussi d'évaluation. Les ministres ne peuvent qu'être fragilisés par de telles pratiques qui tendent à les réduire en simples servants du César-Président qui peut même demander au grand intendant ministériel gérant la « maison du président », de jouer au « garde-chiourmes » en tançant les ministres pour le compte du président et en lieu et place de ce dernier posé en grand maître insondable et impénétrable de l'Etat.


Dans cette foulée, n’est-il pas urgent d’évaluer la gouvernance du Renouveau ?

En fait, dans un système étatique sérieux et moderne, l’évaluation des structures de l'exécutif ne concerne pas seulement les membres du gouvernement, elle s'étend aussi au Premier ministre et ne peut être complète si l'action gouvernante n'est pas évaluée au niveau du président de la République lui-même. En conséquence de cela, il apparaît que c'est l'ensemble de la gouvernance du Renouveau national, c’est-à-dire du régime Biya, qui doit être évaluée, cela devant aller bien au-delà d'une auto-évaluation gouvernementale ou même présidentielle. Ici, les autres pouvoirs constitutionnels (le législatif et le judiciaire) doivent jouer leur rôle pour que la séparation des pouvoirs ne soit pas un vain mot. Les citoyens et la société civile sont aussi appelés à évaluer l'action gouvernementale et présidentielle en usant du contrôle citoyen ou de l'interpellation républicaine.

Propos recueillis par Edking


Dr Vincent-Sosthène Fouda (homme politique): «La publicité faite autour de ces non-feuilles de route participe du vaudou politique»



Que pensez-vous de l’évaluation attendue de la feuille de route des ministres et de la publicité faite autour de cette affaire ?

Permettez-tout d'abord que nous situions ce qu'est une feuille de route dans l'action managériale d'un gouvernement. C'est une initiative horizontale qui concrétise l'engagement d'un gouvernement à travers un discours de politique générale. Cet engagement lui-même est contenu soit dans un programme politique (celui du président de la République) soit dans le discours de politique générale prononcée par le Premier ministre devant la représentation nationale. Ici, nous n'avons ni l'un ni l'autre. La publicité faite donc aujourd'hui autour de ces non-feuilles de route au regard de ce qui précède participe du vaudou politique. En effet, il s'agit de vendre une enveloppe vide à un peuple médusé et en souffrance qui, éternellement, cherche du contenu dans un contenant.


Avec cette approche managériale, la fonction de ministre ne perd-elle pas en crédibilité ?

Non, bien au contraire, si la politique générale fixe un cap, les ministres ont donc les moyens de rendre compte de leur action. Pour cela, il faut en dehors du discours de politique générale, une opposition qui a une colonne vertébrale institutionnelle solide capable d'interroger les ministres, il faut une société civile qui sache de quoi il s'agit. Il s'agit alors pour les uns et les autres de savoir ce qui est bon pour la société non seulement pour ceux qui gouvernent mais aussi pour ceux qui ont confié leur destin au gouvernement et enfin pour ceux qui aspirent gouverner. Comment remettre en perspective le sens de l'action engagée depuis la formation du gouvernement Yang Philémon? Que mettons-nous dans les «grandes réalisations" ? Tout cela participe de ce qu'on appelle la pédagogie gouvernementale pour montrer la cohérence de ce qui est fait.


Dans cette foulée, n’est-il pas urgent d’évaluer la gouvernance du Renouveau ?

Il est difficile dans l'état actuel de notre pays de parler d'urgence d'évaluer la gouvernance du renouveau dans la mesure où tous les mécanismes pouvant et devant aller vers cette direction sont absents de nos institutions. Pouvons-nous et devons-nous parler d'urgence au bout de 30 ans? Si l'on veut évaluer, alors il faut être capable de proposer des alternatives ; ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il n'y a pas de mode de gouvernance du Renouveau face à l'ampleur de la tache, chaque jour, nous nous avançons un peu plus vers le précipice sans qu'il y ait une seule institution qui tire la sonnette d'alarme! Les rapports incestueux entre une certaine opposition et le pouvoir attentiste continuent de plus belle, la société civile tarde à s'exprimer, les institutions religieuses sont au garde à vous, le monde intellectuel quant à lui est subitement amnésique! Il revient à tous ses corps de se mobiliser et ainsi il sera possible à notre pays de parler d'évaluation parce qu'une alternative sera déjà possible.

Propos recueillis par Edking



Jean Michel Nintcheu (député, homme politique): «Qui va évaluer celui qui évalue ?»



Que pensez-vous de l’évaluation attendue de la feuille de route des ministres et de la publicité faite autour de cette affaire ?

Je n’attends rien du tout de cette évaluation. Evaluer 10 mois après leur prise de fonction des ministres vise à jeter l’opprobre de l’échec généralisé et avoué sur les autres tout en essayant de masquer son propre échec. Les différents discours démagogiques de campagne et les termes contenus dans le programme de candidat Biya constituent déjà des feuilles de route. A charge pour les différents ministres de les mettre en application. Dans des pays qui se respectent, le conseil ministériel est le lieu approprié pour évaluer l’action des ministres. C’est pour cela qu’il se tient régulièrement et le plus souvent hebdomadairement dans des pays comme le Gabon, la Côte d’Ivoire, la France, les Etats-Unis, le Grande Bretagne et bien d’autres. Il n’y a que dans des monarchies achevées comme le Cameroun où en trente années de règne, on a tenu à peine une dizaine de conseils de ministres.


Revenons à cet épouvantail. Qui est chargé de l’évaluation de ces ministres ?

Le secrétaire général des services du Premier ministre qui est devenu manifestement plus puissant que son patron pour des raisons connues ou le directeur du cabinet civil à la présidence de la République qui est devenu surpuissant et qui outrepasse ses prérogatives et ses attributions au point de conduire les délégations ministérielles ? Qui va évaluer celui qui évalue ? Il s’agit tout simplement d’un gadget ridicule destiné essentiellement à divertir les Camerounais sur les grands sujets de l’heure en cette veille de fin de règne trentenaire essentiellement marquée par une vision oligarchique de la nation et par une gouvernance perpétuelle de l’agitation permanente et sans résultat. Vous comprenez donc que cette idée délirante n’est que de la fumisterie et de l’enfumage.


Avec cette approche managériale, la fonction de ministre ne perd-elle pas en crédibilité ?

Vous semblez dire qu’avant ce gadget, la fonction ministérielle avait un poids véritable dans la prise de décision dans notre pays. Ce n’est pas vrai. Les ministres ont été de tout temps infantilisés par le monarque d’Etoudi. Prenons un cas simple et fort illustratif. Le Premier ministre qui est nommé le même jour que tous les autres ministres, n’a toujours été que le premier des ministres. C’est à peine s’il est associé aux décisions sensibles prises au sommet de l’Etat. Il en est tout juste informé par le secrétaire général de la présidence de la République et accessoirement par le président de la République qui, si l’on s’en tient aux déclarations faites dans le cadre de l’affaire du Bbj 1 et 2, traite parfois des questions financières directement avec le ministre des Finances sans en informer ou associer à la décision, le Premier ministre encore moins le secrétaire général de la présidence de la République qui est pourtant censé être son plus proche collaborateur.


Dans cette foulée, n’est-il pas urgent d’évaluer la gouvernance du Renouveau ?

Pas seulement. Il faudrait surtout évaluer la gouvernance de M. Biya qui a régné sans partage durant une trentaine d’années avec le résultat connu de tous: un taux de chômage record à plus de 80% de la population active, un taux de pauvreté estimé à 40% de la population, ce qui signifie que 8 millions de Camerounais vivent avec moins de 500 Fcfa par jour, un taux de sous-emploi de 75%, la cession des entreprises de souveraineté aux monopoles publics étrangers sans contrepartie évaluable, le passage du Cameroun de pays à revenu intermédiaire à pays pauvre et très endetté, un endettement record qui n’a par ailleurs servi à rien, une paupérisation exaspérante, un climat d’affaire prohibitif, une justice aux ordres qui transforme les procès de l’Opération Epervier en comédie sur fond d’épuration politique, l’absence de démocratie, des élections truquées où l’on observe régulièrement le vote des décédés comme celui de feu Andzé Tsoungui décédé en 2006 mais qui a voté trois fois lors de la mascarade de la présidentielle d’octobre dernier, une liberté d’expression de façade sur fond d’interdiction systématique des meetings de l’opposition, une diplomatie absente et d’éclipse, etc. Et pour terminer, quand un homme divorce plus de 37 fois en trente années de règne, le problème, ce n’est plus les femmes qui partent mais plutôt le mari qui les renouvelle à tour de rôle.

Propos recueillis par Edking


Charly Gabriel Mbock (écrivain, homme politique): «Feuilles de route ou feuilles mortes ?»



Que pensez-vous de l’évaluation attendue de la feuille de route des ministres et de la publicité faite autour de cette affaire ?

La notion d’évaluation et le processus qu’elle enclenche impliquent un souci louable de reddition des comptes. Cette pratique est de règle dans tout contexte de bonne gouvernance, car l’exercice suppose un contrat de société et de management dont les termes soient si clairs que chacun puisse suivre ce qui se fait en son nom sur une sorte de tableau de bord. Il faut donc saluer l’initiative du gouvernement, si l’option est effectivement d’ouvrir la route des résultats et non de couvrir la route de feuilles mortes.

Au Cameroun, c’est le président de la République qui définit la politique. Son gouvernement l’exécute. Il peut donc paraitre surprenant qu’il soit demandé aux membres dudit gouvernement, exécutants désignés, de concevoir ou d’élaborer une politique qui est censée avoir déjà été définie par le chef de l’exécutif. Dans les pays d’où les mots signifient les choses qu’ils disent, c’est en fonction d’une compétence établie qu’on devient membre d’un gouvernement. Car les parcours sont tels qu’on sait déjà ce qu’on peut attendre de tel ou de tel en l’appelant au gouvernement. L’intéressé (e) a été entendu (e) à plusieurs reprises sur les questions nationales. Ses positions son connues, et l’on ne doute plus de ce qu’il /elle est appelé (e) à faire. En somme, on n’est membre d’un gouvernement que si ledit gouvernement se reconnait dans les convictions et prises de position du promu.

C’est dire qu’en dehors des séances d’acclimatation et d’ajustement que sont les conseils des ministres, l’on ne devrait plus organiser de longues évaluations pour se mettre au travail. Les assises du gouvernement sont donc un cas de curiosité managériale qui mérite attention : elles traduisent une volonté déclarée de mettre les sons en partition pour éviter les cacophonies administratives. Elles expriment surtout le souci de faire équipe par solidarité gouvernementale. Elles confirment néanmoins une crainte que nous avons exprimée en 1990 sur l’une des tares de notre administration : l’incompétence d’équipe. Car pris individuellement, la plupart de nos ministres ont un palmarès personnel digne d’intérêt. Nous ne leur ferons donc pas injure en laissant douter de leurs qualifications, bien que certaines de ces dernières s’avèrent aussi plurielles que parfois singulières. Mais le drame de l’incompétence d’équipe est tel que certains consacrent plus d’énergie à saborder le travail des autres qu’à faire efficacement le leur. L’évaluation des feuilles de route est donc un exercice ambigu, à la fois louable et embarrassant.
Cette trouvaille peut en effet signifier que dans une équipe de sport, le Coach organise des séances de dissertation pour que chaque joueur décrive sa perception et sa conception des directives du Coach, en vue de leur mise en application. C’est oublier qu’un match se gagne sur le terrain, pas dans les vestiaires. A quoi sert-il donc d’évaluer la qualité d’une stratégie, les considérants d’une équipe ou les spécificités d’un équipement conçus et définis ailleurs, et par quelqu’un d’autre, du moment que le public, lui, attend que le match commence? Le dilatoire managérial n’est d’aucune efficacité opérationnelle pour une nation en impatience de résultats. Et le destin d’une nation se joue dans un match qui ne prévoit pas de troisième mi-temps.

Or qu’observe-ton ?

Une équipe déjà réputée pléthorique va passer le plus clair de son temps à s’entendre parler dans les vestiaires… Imaginez donc une équipe de footballeurs composée de mille-pattes : cette équipe va passer les 45 premières minutes à lacer ses godasses gauches, et les 45 autres minutes à ajuster ses godasses droites. La pléthore (des pattes) est telle qu’en 90 mn, personne ne sera sorti des vestiaires. Forfait garanti. Et vive les mille-pattes du « Renouveau » dans l’immersion de l’inertie. Feuilles de route ? Après trente ans de paperasserie, ce ne sont manifestement plus des feuilles qui intéressent les Camerounais ; c’est la route. Mais pour qu’il y ait une route, il fallait déjà qu’elle fût conçue dans une vision autre que minimaliste. Il fallait encore que le chef de l’exécutif national n’eût pas confondu longévité et performance managériale. Quand la réussite qu’on s’attribue se définit par le temps passé à la tête d’une équipe, les résultats des matches à livrer s’évaluent au temps perdu dans les vestiaires. Une compétence de gâchis n’en est pas une.


Avec cette approche managériale, la fonction de ministre ne perd-elle pas en crédibilité ?

Qui a dit qu’au Cameroun l’on cherchait à crédibiliser la fonction de ministre ? Nous en comptons une soixantaine ; mais selon les confidences de palais que vient de nous livrer un grand prévenu, le Cameroun n’en aurait véritablement que quinze, les autres étant « des fonctionnaires » a qui l’on aura complaisamment donné le titre…de ministre. C’est dire le peu de crédit que le chef de l’exécutif en personne accorderait à ceux qu’il crédite ostensiblement d’une fonction qu’il se sera appliqué à dépouiller secrètement de toute crédibilité. Cette manière de gestion des compétences nationales signifie qu’on se sert des fonctions contre les métiers : moins pour permettre aux compétences de s’exprimer que pour tenir des intelligences, les compromettre pour, à l’occasion, les soumettre au chantage judiciaire par le spectre de leur privation de liberté. C’est sans doute pourquoi dans le Cameroun du Renouveau, être membre du gouvernement ne semble pas une destination de grande sérénité, encore moins de haute sécurité. L’actualité judiciaire de ces dernières années le prouve à suffisance.


Dans cette foulée, n’est-il pas urgent d’évaluer la gouvernance du Renouveau ?

Il y a trente ans qu’il semble urgent d’attendre. Les Camerounais connaissent la formule récurrente que le chef de l’exécutif oppose à tous les impatients qui attendent fébrilement de la nivaquine pour cause de paludisme, un peu de riz pour cause d’insuffisance alimentaire, ou quelque augmentation de salaire pour cause de vie chère : « J’en suis conscient, soyez patients ! ». Un patient, c’est quelqu’un qui pâtit, donc qui souffre. Il y a donc trente ans que les Camerounais sont dans la souffrance. Pourquoi serait-il subitement urgent d’évaluer des « feuilles » dites de route quand on a, pendant trente ans, tranquillement prospéré par l’inertie? Point n’est besoin d’être catastrophiste pour constater que la plupart des indicateurs sociaux virent au rouge. Et rien n’autorise de penser que notre économie de surendettement est la bouée qui garantira notre « émergence » dans trente ans, donc après trente ans d’immersion. Mais on nous dit que le calcul est fait : nous savons que nous ne serons plus là, en 2035, quand vous autres devrez gérer votre lourd héritage de dettes.


Que voulez-vous donc évaluer?

Avant-hier, nous avons entendu parler des « contrats de performance ». Nous avons vu signer des contrats. Mais à l’horizon, aucun signe de performance. Hier, nous avons entendu parler de « Gestion par objectifs basée sur des résultats ». Nous avons vu les slogans publicitaires des objectifs. Les seuls résultats visibles sont encore le baccalauréat à 8 de moyenne sur 20, l’éclairage au délestage et ses factures d’obscurité, la pénurie d’eau courante dans nos métropoles urbaines, et la fuite de cerveaux. Même les Lions sportifs qu’on nous citait en exemple par récupération sont désormais irrécupérables, comme l’ont prouvé les jeux olympiques de Londres. Comment prétendre jouer au football et gagner avec une équipe de mille-pattes ? Certaines parenthèses peuvent durer un siècle ; nous n’avons encore pâti que de trente ans de vestiaires. Mais le forfait est consommé, en confirmation de la forfaiture managériale.

Evaluer la gouvernance du « Renouveau », dites-vous ? Le Cameroun a certes un gouvernement ; cependant le Cameroun ne peut techniquement parler de gouvernance au regard de ses multiples déficits en la matière. Le «Renouveau» affiche plutôt un pressant besoin de renouvellement, pour sa propre gouverne. Mais le propre de la mal gouvernance c’est ni de s’apercevoir, ni de s’émouvoir de ses propres déficits, qui sont cumulatifs et multisectoriels. Qu’on ne s’en étonne pas : une ignorance qui se saurait ne serait déjà plus de l’ignorance, mais une amorce de savoir.

Propos recueillis par E.K. 

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