Cameroun - Politique. Cameroun : Le Théâtre du Pouvoir, les Mises en Scène Édifiantes de Paul Biya

C’est un rituel immuable, un ballet protocolaire qui, à chaque départ du président Paul Biya, se transforme en une saynète silencieuse et grotesque. Sur le tarmac, devant les objectifs complices de la CRTV, le chef de l'État semble évoluer dans un film dont il serait le seul à connaître le scénario.
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Gesticulations, conversations muettes, instructions improbables chuchotées à l'oreille de ses collaborateurs… Le spectacle est permanent, écrit Jean Bruno Tagne.
Pourtant, le Premier ministre, le Secrétaire général de la présidence ou le directeur du cabinet civil ne sont pas des inconnus. Ce sont ses plus proches collaborateurs, ceux avec qui il est censé œuvrer quotidiennement pour la nation. Mais devant la caméra, c'est une autre partition qui se joue : celle d'un président "proche", "à l'écoute", "au travail". Une mise en scène soigneusement chorégraphiée où M. Biya est à la fois le metteur en scène et le premier rôle, dans un cinéma muet qui manque cruellement de panache.
La Poignée de Main Théâtrale : l'Anecdote Révélatrice d'Atangana Mebara
La profondeur de cette comédie du pouvoir nous est révélée par une anecdote livrée par un ancien artisan du régime. Nous sommes au milieu des années 2000. Jean-Marie Atangana Mebara est alors Secrétaire général de la présidence (SG/PR). Comme à l'accoutumée, une foule d'officiels et de journalistes est mobilisée pour le "bref séjour" à l'étranger du président.
La séquence suit son cours habituel jusqu'à ce moment de stupeur : Paul Biya, qui marchait déjà vers son avion, fait soudain demi-tour. L'assistance est interloquée. Que se passe-t-il ? Le vieux lion a-t-il oublié quelque chose ? Une crise politique majeure l'oblige-t-elle à rester ? Les cœurs battent la chamade, les regards se croisent, inquiets.
Le président revient alors droit vers son SG/PR, le visage grave. Il lui sert la main avec une solennité théâtrale et lui glisse, comme une confidence : « Monsieur le secrétaire général. J’ai oublié de vous saluer en partant. Je suis revenu pour ça. Si je ne le fais pas, ils diront dans leurs journaux que vous et moi avons des problèmes. »
Ce récit, publié par Atangana Mebara lui-même en 2018, est un coup de projecteur brutal sur la mécanique biyaïste. Ici, aucun geste n'est spontané, aucune intention n'est innocente. Tout est calcul, tout est communication – ou plutôt, tout est destiné à désamorcer une mauvaise communication. Le fond – le travail, la relation humaine – cède la place à la forme : l'apparence, le symbole, la gestuelle destinée à nourrir le bulletin de 20 heures.
Après cette démonstration, le président repart, laissant sur le tarmac un collaborateur à la fois amusé et désarçonné par ces simagrées, et un peuple devant son poste de télévision, condamné à décrypter les non-dits de ce théâtre d'ombres.
Alors que le Cameroun est en proie à de multiples crises, ces mises en scène, loin de rassurer, en disent long sur un système où l'image du pouvoir a pris le pas sur son exercice concret. Un spectacle permanent qui, à force de se répéter, finit par ressembler à une tragédie.
Cameroon: The Theatre of Power, Paul Biya's Telling Performances
It's an unchanging ritual, a protocol ballet that, with every departure of President Paul Biya, turns into a silent and grotesque little scene. On the tarmac, in front of the complicit cameras of CRTV, the Head of State seems to be moving in a film whose script only he knows. Gesticulations, mute conversations, improbable instructions whispered into the ears of his collaborators... The show is permanent.
Yet, the Prime Minister, the Secretary-General of the Presidency, or the Chief of Staff are not strangers. They are his closest collaborators, the ones with whom he is supposed to work daily for the nation. But in front of the camera, a different score is played: that of a "close", "attentive", "working" president. A carefully choreographed mise-en-scène where Mr. Biya is both the director and the lead actor, in a silent movie that sorely lacks panache.
The Theatrical Handshake: The Revealing Anecdote of Atangana Mebara
The depth of this comedy of power is revealed by an anecdote shared by a former architect of the regime. We are in the mid-2000s. Jean-Marie Atangana Mebara is then Secretary-General of the Presidency (SG/PR). As usual, a crowd of officials and journalists is mobilized for the president's "brief stay" abroad.
The sequence follows its usual course until that moment of stupor: Paul Biya, who was already walking towards his plane, suddenly turns back. The audience is baffled. What's happening? Did the old lion forget something? Is a major political crisis forcing him to stay? Hearts are pounding, worried glances are exchanged.
The president then comes straight back to his SG/PR, his face grave. He shakes his hand with theatrical solemnity and whispers, like a confidence: "Mr. Secretary-General. I forgot to say goodbye to you when leaving. I came back for that. If I don't do it, they will say in their newspapers that you and I have problems."
This account, published by Atangana Mebara himself in 2018, is a brutal spotlight on the Biya-style mechanics. Here, no gesture is spontaneous, no intention is innocent. Everything is calculation, everything is communication – or rather, everything is meant to defuse bad communication. The substance – the work, the human relationship – gives way to form: appearance, symbol, gestures meant to feed the 8 o'clock news.
After this demonstration, the president leaves, leaving on the tarmac a collaborator both amused and disconcerted by these antics, and a people in front of their television sets, condemned to decipher the unsaid of this theatre of shadows.
While Cameroon is grappling with multiple crises, these staged performances, far from being reassuring, speak volumes about a system where the image of power has taken precedence over its concrete exercise. A permanent spectacle that, by dint of repetition, ends up looking like a tragedy.
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Mouahna Divine
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