Cameroun - Bakassi. Bakassi: irécit de la dernière attaque des pirates

Le Jour Vendredi le 02 Septembre 2011 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
En route pour Calabar au Nigeria, le reporter du Jour était parmi les 150 passagers du bateau de Corner Water Shipping Company tenu en respect durant deux heures en haute mer, le 27 août dernier. Le capitaine a été enlevé, puis libéré.

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Le « Monica Express », propriété de la Corner Water Shipping Company, basée à Limbé, vient à peine de dépasser les pêcheries d’Ebaka, en territoire nigérian, pour entrer à Orong Bar, et amorce la dernière ligne droite vers Calabar dans l’Etat de Cross River.
Il est alors 8h20 mn, ce samedi 27 août 2011. Les nuages cachent encore l’immensité de la mer. On ne peut rien détecter à plus de trois kilomètres. Sur le pont du bateau, le capitaine et les autres membres d’équipage, ne sont plus les seuls. Après huit heures de route, des passagers traumatisés par le mal de mer sont sortis du bâtiment pour respirer l’air frais, pour les uns, observer le ballet des pirogues de pêcheurs, pour les autres. Le reporter du Jour, quant à lui, s’apprête à voler au moins une image dans cette zone réputée dangereuse, où des bandes armées sèment la terreur.

Soudain, une grande pirogue à moteur se montre au loin. Elle vole au-dessus des eaux de la mer, de la gauche, vers le « Monica Express ». « Une belle image ! ». Les techniciens de l’équipage se regardent, et murmurent quelques mots, les uns aux autres. D’un geste de la main, le capitaine du bateau, Lottin Moukoko, est alerté. Il se relève, regarde au loin, et se rassoit, sans mot dire. Quelque chose d’anormal se passe sans doute. Avec ses hommes, il a l’habitude des mouvements suspects ici en zone hostile. Il est, en plus, formé pour gérer les frayeurs et donner espoir aux passagers. L’embarcation fonce toujours tout droit vers « Monica ». « A votre attention, s’il vous plaît ! Nous sommes attaqués par les militants. Couchez-vous sur le pont et ne faites aucun mouvement », lance l’un des techniciens. Aussitôt dit, tout le monde, pris de peur et de panique, obéit.

Le « Monica Express » vient d’être arraisonné. Il est environ 8h35mn. L’embarcation des assaillants, amarre du côté droit, d’un mouvement violent qui heurte les ballons de sécurité et de sauvetage. A l’intérieur de cette pirogue, sept personnes portant toutes des fusils de type kalachnikov, placent les chargeurs et se scindent en deux groupes. Quatre d’entre eux font irruption dans le bateau à partir de l’arrière. Ils montent sur le pont et menacent de tout faire sauter. Là, trente passagers couchés depuis plus de 15 minutes, n’ont toujours pas relevé la tête. Apparemment, ils sont déjà morts de peur. « Nous sommes en mission ici, parce que le propriétaire de ce bateau est têtu. Nous n’allons faire de mal à personne. Mais si vous essayez de contester notre autorité, vous allez payer un à un », lance le meneur de la bande. Un certain Ike. Qui affirme à haute voix qu’il est là pour le compte du « Commandant Jo ».

Tous otages
A ce moment précis, un pasteur lui aussi couché à même le pont, donne un peu de la voix, mais au fond de la gorge. L’on n’entend rien de la prière qu’il dit. Seul le nom « Jésus » est prononcé régulièrement de vive voix, avec emphase. Le second assaillant, posté près des tuyaux d’échappement, réaffirme que ordre est donné à tout le monde de garder le silence. « Notre ordre s’adresse bien à tout le monde. Les prières ne sont pas nécessaires. Aucune police ne peut vous aider à cet instant précis. Aucune armée ne peut vous libérer de nos mains parce que nous sommes les propriétaires de cette mer. Nous ne sommes pas venus vous faire du mal. Obéissez juste à nos ordres », insiste-t-il, avant de foncer tout droit vers la cabine où son « collègue » a engagé une chaude dispute avec le capitaine.

Puis, un coup de feu retentit à l’avant du bateau. « Ecoutez, nous ne sommes pas ici pour jouer. Ce bateau n’a pas payé l’impôt de sécurité. Jetez l’ancre immédiatement. Nous voulons 500.000 Naira (1,5 millions de F cfa ndlr) maintenant », lance un troisième assaillant, en pointant son arme vers les moteurs. Le capitaine Lottin Moukoko amorce une manœuvre qui irrite les « visiteurs ». Les choses s’emballent à la cabine. Eclats de voix. Le capitaine est bousculé et exfiltré. Vont-ils le tuer ? « Ecoutez, nous ne voulons pas détourner ce bateau vers le camp. Parce que cela va vous coûter trop cher. Par contre, nous allons partir avec le capitaine. Il va s’expliquer devant notre chef. Si tout se passe bien, nous allons le ramener vivant », reprend « Oga » Ike, le meneur du groupe. Le capitaine du « Monica Express » est fait otage. Il est conduit manu militari dans l’embarcation des assaillants et contraint de s’asseoir à même la pirogue ».

Dans la pirogue des assaillants, c’est tout un arsenal militaire qui accueille les regards furtifs. Deux cartons pleins de chargeurs de Kalachnikov sont posés l’un sur l’autre, un sachet en nylon transparent contenant beaucoup d’argent, des paquets de cigarettes, du chanvre indien, plusieurs bidons de carburant. Il y a aussi une arme collective supportée par un mat, des munitions en bandoulière. Au milieu de ce dispositif, un assaillant fait la sentinelle. Il regarde au loin, en mer, pour répérer un éventuel bâtiment militaire nigérian volant au secours du bateau immobilisé. D’une main, il tient fermement son arme, et de l’autre, un mégot de chanvre. « Ce n’est pas une blague. Si quelqu’un essaie de s’approcher d’ici, je l’arrose immédiatement de balles », menace-t-il.

Une heure est déjà passée depuis le début du siège du « Monica Express ». Pour refaire leur moral, les assaillants sortent un paquet de chanvre indien qu’ils se partagent. La fumée est pleine sur le pont et dans l’embarcation. Qui sont alors ces jeunes gens dont l’âge varie entre 18 et 23 ans ? Des « militants », croient savoir les membres de l’équipage, au moment où ils ont signalé l’attaque du bateau. De sa poche, « Oga » Ike avait sorti un drapeau blanc portant l’inscription en anglais « Niger Delta Militants », pour « Militants du Delta du Niger ». Voici donc des pirates, en action, en haute mer. Le meneur est un jeune de 20 ans à peu près. Il est mince et sec. Il a les yeux rouges. Son visage couvert de crasse laisse imaginer que sa dernière douche remonte à plusieurs jours. Il porte une tenue de gendarme camerounais, avec le grade de major. L’on apprendra plus tard que tous les militants du Delta du Niger arborent toujours les tenues de leurs victimes arrachées à la vie par les armes.

Tous les sept hommes qui tiennent le « Monica Express » arborent des amulettes autour du corps, avec des chaînes en cauris aux pieds. Ils ont chacun enroulé autour de la tête, un bandeau blanc ; un blanc de guerre frappé de plumes d’oiseaux et de cornes d’animaux. Armes à la main, ils sont sans pitié. « Nous n’avons peur de personne en ce moment, ça ne nous coûte rien de faire sauter la tête aux récalcitrants qui ne veulent pas nous dépanner », disent-ils. Sur ces mots, ils s’apprêtent à faire le plein d’argent dont ils ont besoin sur le bateau parti du port de Limbé autour de minuit. Le capitaine reste toujours retenu dans l’embarcation des pirates. Des techniciens sont séquestrés en cabine. Une heure et vingt minutes se sont déjà écoulées, depuis le début de l’attaque. Tous les 150 passagers sont couchés. De temps en temps, ils reçoivent l’ordre de se relever, selon les humeurs des pirates.

Contributions « volontaires »

Les pirates sont disposés à laisser partir « Monica Express ». Mais, pas à n’importe quel prix. Revenus en cabine quelque temps après le début du rapt, le capitaine a été soulagé de tout son argent : 200.000 F cfa. Les assaillants en veulent encore : 1.300.000 F cfa. « Nous partons avec le capitaine. Quant à vous autres, nous vous demandons uniquement un dépannage. Que chacun donne ce qu’il peut donner ». Comme un seul homme, les passagers se relèvent et se mettent à « dépanner » leurs ravisseurs. Trois cent mille, cent mille, cinquante mille par-ci, quatre cents mille, trente mille, trente mille Naira, cent dollars américains, trois cents euros par-là. Le reporter du Jour a versé 10.000 F cfa lors de ces dons « volontaires ». Le pasteur qui a mis un terme forcé à ses prières, se montre moins pingre : 100.000 F cfa dans le sac des pirates.

L’assaillant qui reçoit les dons amorce sa descente sous le pont, où 120 autres personnes vont être invitées à contribuer. Un passager pris de panique à l’intérieur, et qui voulait contribuer au plus vite, a été stoppé à l’entrée. « Il faut que je te tue pour donner une leçon aux autres », crie « Oga » Ike, en pointant son arme vers sa victime, qui a embarqué à Limbé avec son épouse et sa fille. Les autres assaillants prient Ike de ne pas verser du sang pour rien, et de continuer à percevoir les dons. Les hommes de la mer font irruption à l’intérieur du bateau. Une femme enceinte, meurtrie par la chaleur des moteurs et l’alerte aux pirates, avance pour contribuer. Contre son gré, elle est plutôt gratifiée de plusieurs billets 10.000 francs par les « visiteurs ». Il n’y a pas de choix à faire.

On ne sait combien d’argent a été collecté à l’intérieur du bateau. Les pirates sont de nouveau sur le pont. Une heure et quarante minutes sont passées. « Vous savez que nous sommes des frères. On ne va pas vous faire de mal comme on vous l’a dit depuis notre arrivée. Vous êtes libérés. Nous vous souhaitons un bon voyage, avec l’aide de Dieu. Mais nous allons au camp avec le capitaine voir le chef ». Tous les passagers se relèvent. Les pirates quittent le pont et foncent vers leur embarcation. Le moteur hors-bord vrombit. Le capitaine du « Monica Express » jette un regard impuissant vers son bateau. Il est conduit en vitesse vers un horizon perdu en haute mer. En cabine, les techniciens s’activent. A 40 km/h environ, le bateau mouille vers Calabar. A 11h30mn, le « Monica Express » jette l’ancre au quai du port de Calabar. Des marins nigérians attendent. La police aussi. A 20h, le capitaine Lottin Moukoko est libéré, et déposé au bord de la mer, à Calabar.


Denis Nkwebo,
de retour de Calabar

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