Cameroun - Cinema Ces films d’horreur qui inquiètent le pouvoir de Yaoundé
Festival, projections, tournages interdits, intimidation et réalisateur enlevé à l’affiche du cinéma au Cameroun.
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Le cinéma camerounais vient de vivre une grosse frayeur : un jeune réalisateur, Richard Djif, comme on l’appelle sur les plateaux de tournage a été enlevé dans sa chambre d’étudiant dans la nuit de samedi 23 mars 2013, à la cité universitaire baptisée Bonamoussadi, au quartier Ngoa-Ekellé à Yaoundé. Pendant plus d’une semaine, le jeune homme a été privé de liberté, mais, gavé de toutes sortes de brimades au point où, à sa découverte, il tenait à peine débout. Son seul tort est d’avoir réalisé un film au titre évocateur et qui semble déranger : « 139… Les derniers prédateurs ». Un film en mémoire de Pius Njawe dans lequel l’on retrouve de grands noms de la comédie camerounaise tels qu’Alain Bomo Bomo, André Bang et Jacobin Yarro. Dans « 139… Les derniers prédateurs », se noue le drame d’une dynastie dans la tourmente d’une fin de règne qui a duré 139 ans.
Cette œuvre de Richard Fofié Djimeli a reçu l’accord de diffusion du ministère des Arts et de la Culture, après un visionnage effectué par la commission de visionnage et de censure du même ministère, qui donne son ok. Le film a donc été projeté dans plusieurs salles au Cameroun. Mais, en retour, le feedback est surprenant : « M. Fofié Djimeli : ton cercueil ne sera pas de trop. Les amis de Njawe et autres Addec feront le déplacement du cimetière. Le film du complot s’arrêtera et notre longévité survivra ». Telles sont entre autres menaces que le cinéaste a reçues, bien avant d’être enlevé. A qui le cinéma camerounais fait-il tant peur? Au gouvernement de Yaoundé? Frank Olivier Ndema, réalisateur et promoteur d’un festival de cinéma refuse de laisser prospérer cette assertion. Pour lui, ce film fait peur « aux zélés, aux gens qui veulent prendre le pouvoir par des voies pas catholiques, aux gens qui manipulent les artistes dont ils savent qu’ils sont francs et directs ».
Et pourtant, quelques semaines auparavant, c’est un autre scénario qu’a vécu le cinéma camerounais. Le film de Jean Pierre Bekolo Obama, réalisateur ayant pignon sur rue au Cameroun et à l’étranger, « Le Président, comment sait-on qu’il est temps de partir ? » est implicitement interdit. Pour être plus explicite, la menace est venue de l’ambassade de France au Cameroun, qui a craint d’être à l’origine d’un incident diplomatique entre les deux pays. Jean Pierre Bekolo a soumis son film à l’appréciation des Français pour que celui-ci soit diffusé dans les salles de l’institut français du Cameroun (Ifc).
Et, les mêmes causes pouvant produire les mêmes effets, Le réalisateur de « Quartier Mozart » a conclu que son film ne sera pas diffusé au Cameroun. D’ailleurs, il n’a pas manqué de lancer un cri d’alarme : « Qu’on laisse mes acteurs tranquilles ». Ceux-ci, avait confié le réalisateur des « Saignantes » dans une interview sur ces mêmes colonnes, que ses acteurs subissaient des menaces et du chantage de la part des personnes très haut placées. Même si une polémique enfle sur le fait qu’il a décidé de se passer de la commission de visionnage et de censure. Pour lui : « aucun film qui passe à l’institut français ou à l’institut Goëthe n’est soumis à la commission de visionnage et de censure. Et les deux instituts ont obtenu cette liberté de diffuser les films sans passer par la commission de visionnage et de censure du ministère, dans le cadre de mon film en particulier », explique le Franco-camerounais.
La réaction semble musclée de la part de Frank Olivier Ndema : « C’est une erreur qui sera réprimandée bientôt car les textes seront appliqués. Nul n'est sensé ignorer la loi. Certains pèchent par ignorance et d'autres le font exprès. Sous prétexte de "vouloir" s'en sortir ils font n'importe quoi et courent de grands dangers en allant contre la loi. » Le promoteur de « Yaoundé tout court » pense qu’il ne faut donner aucun prétexte au gouvernement de les empêcher de rester libres de leurs choix de créativité. Donc « entourons nous de tous les arguments pouvant aller en notre faveur. Maintenant nous avons une nouvelle caste de "commerçants" qui viennent avec des slogans pompeux juste pour vendre leurs films du genre: sauvons le cinéma camerounais, etc. », martèle Frank Olivier Ndema, qui semble bien trouver des arguments au gouvernement.
En 2011 déjà, un film, puis, tout un festival avaient été interdits au Cameroun. Des réalisateurs français avaient même été interpellés dans la ville de Mbandjock, la ville sucrière de la région du Centre. Le film de Franck Bieleu décriant la «maltraitance» des travailleurs dans les plantations de la Php à Penja dans le département du Moungo, région du Littoral, n’a pas pu être projeté à la Fondation Muna le 26 avril 2011. « Le gouvernement nous empêche de nous exprimer », avait confié à l’agence française (Afp) Franck Bieleu, le réalisateur du documentaire. Le premier Festival international du film des droits de l’homme avait été interdit le 11 avril 2011 par le préfet du Mfoundi, Jean Claude Tsila, pour menace à l’ordre public. Qu’il s’agisse des épisodes d’avril 2011 ou ceux en cours en ce moment, l’on pourrait reprendre ces propos de l’alliance Ciné, organisatrice du festival de cinéma sur les droits de l’homme : « En interdisant le festival, les autorités [camerounaises] auront démontré, non sans talent, que les droits de l’homme restent un sujet qui dérange au Cameroun ». Un propos que les autorités camerounaises peuvent bien démentir.
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